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Transcription artisanale et singulière établie d'après la version sonore originale disponible en archive sur Lutecium | |
Le docteur Lacan ordonne quatre croquis au tableau. Les deux premières figures, là, je me les suis tapées sans avoir besoin de plus de repères, vous allez voir que la troisième, tout à fait sur la droite, il a fallu que je me batte avec un petit papier à la main. Est-ce que ça s'entend ou pas ce que je raconte ? Il est là encore le... ça ne marche pas ? [- Si, ça marche !] Bon. Alors jentre dans le vif du sujet, quoique j'aie bien sûr envie plutôt de parler d'autre chose. Dire par exemple que, que j'ai pas à me plaindre, enfin que, que... que je donne enfin, du même coup que je vous donne, je m'en excuse, je vous donne à manger du foin, c'est du foin, tout ça. C'est des trucs qui s'entrecroisent et qui ne passent pas, enfin. De sorte que je n'aie pas à me plaindre en ce sens que, de deux choses l'une : ou on me rend mon foin tout de suite, c'est ce qui arrive, comme ça, mon foin tel quel, enfin, c'est pas du tout quelque chose qu'on ne supporte pas, on me le ressert tel que, tel que je l'ai proposé - c'est ce qui arrive à certains - et alors il y a des personnes par exemple, que ce foin chatouille tellement à l'entrée de la gorge qu'elles me vomissent du Claudel, par exemple. C'est parce qu'elles l'avaient déjà là, enfin !
Je suis embêté, je suis embêté parce que la
personne à qui j'ai fait vomir du Claudel a téléphoné,
à Gloria naturellement, au moment... pour lui demander où
se tenait mon séminaire. Je suis absolument désolé,
enfin, j'espère qu'elle a fini par le savoir, elle est peut-être
là. En tout cas si elle n'est pas là, qu'on lui porte mes
excuses, parce que Gloria l'a envoyée aux pelotes, et c'est pas
du tout ce que... ce que j'aurais désiré, pourquoi est-ce
qu'elle ne serait pas venue manger du foin avec tout le monde... Bon,
bon, eh bien mon foin en question, enfin, c'est ce que vous savez qui
est à l'ordre du jour, n'est-ce pas, par mon fait c'est le noeud
borroméen. On les a prises autrement, il doit y avoir des raisons pour ça. Il doit y avoir des raisons pour ça, parce qu'on ne voit pas du tout pourquoi - enfin on ne voit pas au premier abord - on ne voit pas pourquoi on n'aurait pas essayé de serrer, de serrer le point, de faire le point, si vous voulez, avec ça, plutôt qu'avec des choses qui se coupent. C'est un fait que ça ne s'est pas passé comme ça. Quel sort ça aurait eu si ça s'était passé comme ça ? Il est probable que, il est probable que ça nous aurait dressés tout différemment. C'est pas du tout que ceux qu'on appelle les philosophes, c'est-à-dire, mon Dieu, ceux, ceux qui essayent de dire quelque chose à notre... à nos états, enfin, d'y répondre, c'est pas du tout c'est qu'on n'ait pas trace que ces histoires de noeuds justement ça ne les ait pas intéressés, parce que, il y a vraiment, il y a vraiment très longtemps que des personnes qui se trouvent curieusement avoir autant qu'on le sache, s'être classées depuis longtemps autant qu'on le sache, parmi les femmes, enfin ce que j'appelle les femmes, - et c'est au pluriel comme vous le savez, enfin il y en a quelques-uns qui sont là depuis longtemps -, les, les femmes, elles s'y entendent, à ça, à faire des trames, des tissus. Et ça, ça aurait pu mettre sur la voie, c'est très curieux que, bien au contraire, ça ait inspiré plutôt intimidation. Aristote, enfin, en parle et c'est très curieux qu'il ne l'ait pas pris pour objet. Parce que ça aurait été un départ qui n'aurait pas été plus mauvais qu'un autre. Qu'est-ce qu'il y a, qu'est-ce qu'il y a qui fait que, les noeuds, les noeuds, ça s'imagine mal ? Ça, comme ça, parce que c'est fait d'une certaine façon, ça se... ça se soutient (0).(Le docteur Lacan parle ici du noeud africain qu'il tient en main), mais c'est une fois que c'est mis à plat que c'est pas commode à manier, et c'est probablement pas pour rien, enfin que, avec ces noeuds c'est toujours des choses qui font tissu, c'est-à-dire qui font surface, qu'on a essayé de fabriquer. C'est probablement que la chose mise à plat, la surface, c'est très lié, enfin, à toutes sortes d'utilisation. Oui. Que les noeuds s'imaginent mal, je vais tout de suite vous en donner une preuve. Bon. Vous faites une tresse, une tresse à deux, vous n'avez pas besoin d'en faire beaucoup, il suffit que vous entrecroisiez une fois, puis une seconde, au bout de deux, vous retrouvez vos deux dans l'ordre. Nouez-les maintenant bout à bout, à savoir le même avec le même. Eh bien, c'est noué. C'est même noué, on peut dire, deux fois. Ça fait double boucle. Ca tient ensemble les... ce que vous avez rejoint, c'est-à-dire, comme l'a un jour mis en titre de mon dernier séminaire de l'année dernière mon fidèle Achate, il a appelé ça "les ronds de ficelle". Je ne sais pas si dans le texte j'avais appelé ça comme ça ou autrement, c'est probable que je l'avais appelé comme ça, mais il l'a mis en titre. Bon. Bien. Faites maintenant une tresse à trois. Avant que vous retrouviez dans une tresse à trois, les trois brins - appelons ça des brins, aujourd'hui, par exemple - les trois brins dans l'ordre, il faut que vous fassiez six fois le geste d'entrecroiser ces brins, moyennant quoi, après que vous ayez fait six fois ce geste, vous retrouvez les trois brins dans l'ordre. Et là, de nouveau, vous les joignez. Eh bien, c'est quand même quelque chose qui ne va pas de soi, qui ne s'imagine pas tout de suite : c'est que, si une fois ce noeud que je vous ai dit tout simplement être un noeud borroméen, à savoir tel qu'il est sous sa forme la plus simple, celui qui est là à gauche, ça ne va pas de soi qu'ayant tressé comme dans le premier cas, voyez à la fin du compte que ça tient d'un double noeud, ça ne va pas de soi qu'il suffise que vous rompiez un de ces brins pour que les deux autres soient libres. Parce qu'au premier regard, ils ont l'air très bien tortillés l'un autour de l'autre et on pourrait présumer qu'ils tiennent tout aussi bien que dans la tresse à deux. Eh bien pas du tout : vous voyez tout de suite qu'ils se séparent. Il suffit qu'on coupe un des trois pour que les deux autres s'avèrent n'être pas noués. Et ceci reste vrai quel que soit le multiple de six dont vous poursuiviez la tresse. Il est bien certain en effet que, puisque vous avez retrouvé vos trois brins dans l'ordre au bout de six gestes de tressage, vous allez également les retrouver dans l'ordre quand vous en ferez six de plus. Ça vous donnera, si vous en faites six de plus, ce noeud borroméen-là C'est-à-dire que ce que vous voyez ici passer une fois, à l'intérieur des deux autres noeuds, dont vous pouvez voir qu'ils sont - c'est pour ça que je les ai présentés comme ça - libres l'un de l'autre, vous faites ça, en réalité ici, vous voyez, deux fois. Et c'est toujours un noeud dit borroméen, en ceci que quel que soit celui que vous rompiez, les deux autres seront libres. Avec un tout petit peu d'imagination, vous pouvez voir pourquoi, c'est parce que, prenons ces deux-ci par exemple : (le rouge et le vert sur ce croquis) Ils sont tels que, disons pour dire des choses simples, qu'ils ne se
coupent pas, qu'ils sont l'un au-dessus de l'autre. Vous pouvez vous apercevoir
que c'est vrai pour chaque couple de deux. Bon. Voilà deux façons
de faire le noeud borroméen, mais qui ne sont en réalité
qu'une seule, c'est à savoir de les tresser un nombre indéfini
de fois multiple de six, ça sera toujours un aussi authentique
noeud borroméen. Eh bien, cette infinité déjà réalisée virtuellement puisque vous pouvez la concevoir, cette infinité, ne se limite pas là. Tel l'exemple que je vous en donne au tableau sous la forme de cette façon, on ne peut pas dire que les instruments soient commodes, bon... ! sous la forme de cette façon de l'inscrire, c'est à savoir que vous voyez, la boucle, si je puis dire, est double, et que
Vous pourriez aussi bien le dessiner en faisant ici revenir la boucle
dont vous voyez qu'elle passe sous un des niveaux de mes ronds de ficelle
et de revenir toutes les deux, elle ferait le tour, alors, d'un de ces
ronds, et reviendrait ici s'inscrire en croisant par en-dessous les deux
boucles qui se trouvent ici à cause de l'arrangement être
parallèles et donner une forme en somme en croix. Si vous arrangez
le noeud borroméen de cette façon - j'espère que
j'ai été... j'ai fait imaginer ce que pourrait être
ce dessin, si vous voulez que je le trace, je vous le tracerai - il devient
entièrement symétrique et il a l'intérêt de
nous représentifier sous une autre forme la matérialisation
qu'il peut donner sous cette forme à la symétrie, précisément
- la symétrie, en deux mots n'est-ce pas, la / symétrie
d'un autre côté - c'est-à-dire de nous montrer qu'il
y a une façon de présenter le noeud borroméen qui,
dans son tracé même, nous impose le surgissement de la symétrie,
à savoir du deux. rond de droite
Moyennant quoi, vous voyez que ce qui en résulte, c'est ceci : à savoir qu'un des ronds tire le noeud plié en deux, la boucle pliée en deux dans ce sens ----- > tandis que l'autre se présente ainsi, que vous avez là, manifeste, peut-être d'ailleurs moins saillant à vos yeux, le quelque chose qui fait que, à trois, ces noeuds, vous ne pouvez pas les dénouer, mais qu'il suffit qu'un, un quelconque d'entre eux manque pour que les deux autres soient libres.
C'est même une des façons les plus claires d'imager ceci
que vous pouvez, si vous faites passer votre rond à l'intérieur
du noeud que j'appelle... la boucle que j'appelle "boucle pliée",
si vous faites passer une autre boucle pliée de la même façon,
vous pourrez nouer un nombre indéfini de ces ronds de ficelle et
qu'il suffira qu'un soit rompu, qu'un fasse défaut, qu'un manque,
pour que tous les autres se libèrent. Moyennant quoi, moyennant
quoi, ce qui ne peut que vous venir à l'esprit, c'est que, puisque
ce que vous avez ajouté un nombre indéfini de fois, ce sont
des noeuds pliés pris les uns dans les autres, vous n'êtes
pas forcés de terminer par ce que vous voyez ici fonctionner, à
savoir un simple rond de ficelle.
à savoir qu'à partir de là vous pouvez réaliser cette boucle, c'est-à-dire que du maniement à trois du noeud borroméen - dont vous voyez qu'il peut fonctionner sur un beaucoup plus grand nombre - du maniement à trois vous faites surgir cette figure dont je vous ai dit qu'elle présentifiait la symétrie dans le noeud borroméen-même. C'est-à-dire qu'elle y inscrit le deux. Ce qu'il faut souligner, avant de clore cette démonstration, disons figurée, ce qu'il convient de souligner, c'est ceci. C'est que à chacun de ces trois ronds de ficelle - pour les appeler ainsi de la façon qui image le mieux - à chacun de ces ronds de ficelle vous pouvez donner par une manipulation suffisamment régulière, vous ne pourrez pas vous étonner de la patience qu'il vous faudra, à chacun des trois, à savoir aussi bien à ce rond de ficelle-là qu'à ce rond de ficelle-là aussi, vous pouvez donner exactement la même place qui est celle que vous voyez ici figurée du troisième.
A quoi donc me sert ce noeud, ce noeud borroméen à trois ? Il me sert, si je puis dire à inventer la règle d'un jeu, de façon telle que puisse s'en figurer le rapport du Réel très proprement à ce qu'il en est de l'Imaginaire et du Symbolique. C'est à savoir que le Réel, au regard de ce que nous repérons dans une certaine expérience comme l'Imaginaire et le Symbolique, c'est ce qui en fait trois. Ça en fait trois, et rien de plus. Il est frappant que jusqu'ici il n'y ait pas d'exemple, il n'y ait pas d'exemple qu'il n'y ait jamais eu un dire qui pose le Réel, non pas comme ce qui est troisième, car ce serait trop dire, mais ce qui, avec l'Imaginaire et le Réel, fait trois. Ce n'est pas tout ! ... (3). avec l'lmaginaire et le Symbolique fait trois... ce n'est pas tout ! Par cette présentation, ce que j'essaie d'accrocher, c'est une structure telle que le Réel, à se définir ainsi, soit le Réel d'avant l'ordre, que la nodalité nous donne ce quelque chose qui, à le dire d'avant l'ordre ne suppose nullement un premier, un deuxième, un troisième. Et comme je viens de vous le souligner, même pas un moyen avec deux extrêmes. Car même dans la première forme du noeud borroméen, celle que je vous ai... dont je vous ai montré qu'elle permet de figurer comme terme moyen nouant deux extrêmes, ce cercle plié, que je vous montre ici, même dans ce cas n'importe lequel des trois cercles peut jouer ce rôle.
C'est-à-dire que ce n'est nullement lié, si ce n'est pour
vous le faire imaginer, la figure de gauche n'était là que
pour vous rendre accessible ceci, qu'il y a moyen dans le cercle plié
; mais n'importe lequel des deux autres peut remplir la même fonction,
les autres prenant dès lors la position d'extrêmes. A quoi
ceci nous mène-t-il ? Il est premier, non pas au sens de ce qu'il serait le premier à être premier, puisque comme chacun le sait il y en a un autre qui est dit tel, mais s'il est dit tel, le deux, c'est d'une façon qui est bien singulière, puisqu'il n'est pas dit, d'aucune façon, qu'on puisse y accéder à partir du Un. Ne serait-ce que de ceci que comme on l'a remarqué depuis longtemps, dire qu'un et un ça fait deux, c'est du seul fait de la marque de l'addition, supposée réunion, c'est-à-dire déjà le deux. En ce sens, le deux est quelque chose d'un ordre, si l'on peut dire, vicieux, puisqu'il ne repose que sur sa propre supposition. Joindre par un plus deux uns, c'est déjà installer le deux. Mais tenons-nous en simplement pour l'instant à ceci, c'est que ce que le noeud borroméen nous illustre, c'est que le deux ne se produit que de la jonction de l'un au trois. Ou plus exactement, disons que, si l'on dit que, comme on l'a fait humoristiquement, que "le numéro deux se réjouit d'être un pair", ce n'est certainement pas sans raison, il se réjouit, il aurait tort de se réjouir d'être un pair, car s'il se réjouissait pour cela, ça serait dommage pour lui, il ne l'est sûrement pas, mais qu'il soit engendré par les deux impairs un et trois, c'est en somme ce que le noeud borroméen nous fait saillir, si je puis dire. Vous devez tout de même bien sentir le rapport que cette élucubration a avec notre expérience analytique. Freud est assurément génial. Il est génial en ceci que ce que le discours analytique a fait saillir sous sa plume, c'est ce que j'appellerai des termes sauvages. Lisez Psychologie des masses et Analyse du Moi et très précisément au chapitre L'Identification, pour saisir ce qu'il peut y avoir de génial dans la distinction qu'il y formule de trois sortes d'identification, c'est à savoir celles que j'ai dénotées, que j'ai mises en valeur, [...4.] du trait unaire, de l'Einzige Zug, et la façon dont il les distingue de l'amour en tant que porté à un terme qui, assurément, est bien celui qu'il s'agit pour nous d'atteindre, à savoir cette fonction de l'Autre en tant qu'elle est livrée par le père, et d'un autre côté, l'autre forme, celle de l'identification dite hystérique, à savoir du désir au désir, en tant que toutes les trois, ces formes d'identification, il les distingue. Que, ainsi présenté, ça ne soit qu'un noeud d'énigmes, je dirai raison de plus pour travailler, c'est-à-dire essayer de donner à cela une forme qui comporte un algorithme plus rigoureux. Cet algorithme, c'est précisément celui que je tente de livrer dans le trois-même, en tant que ce trois comme tel fait noeud. C'est évidemment la raison, si je puis dire, raison pour travailler. Mais raison qui, si je puis dire, n'est pas sans nous porter tort, non pas parce que les ronds de ficelle, c'est déjà une figure torique, sinon tordue, c'est bien plus loin encore de ce fait très singulier que même la mathématique n'est pas arrivée à trouver encore l'algorithme, l'algorithme le plus simple, à savoir celui qui nous permettrait, en présence, certes, d'autres formes de noeuds que celle du noeud borroméen, de trouver ce quelque chose qui nous livrerait pour les noeuds, en tant qu'ils intéressent pIus d'un rond de ficelle, car pour un seul rond de ficelle se nouant à lui-même, elle l'a c't algorithme ! je pourrais facilement, je l'ai déjà fait, vous mettre au tableau la figure de quelque chose qui aurait à peu près le même aspect que la figure centrale et qui ne serait néanmoins qu'un seul rond de ficelle, je dis "à peu près" car évidemment elle ne serait pas pareille... à un seul rond de ficelle elle peut savoir ce qui est homéomorphique, à plusieurs ronds de ficelle l'algorithme n'est pas trouvé. Ce n'est pas pourtant une raison pour abandonner une tâche qui n'engage rien d'autre que ce deux qui est ce qu'il y a de plus intéressé dans la figure de l'amour comme je viens de vous le rappeler. L'amour, j'espère que déjà vous vous sentez plus à l'aise, l'amour, c'est passionnant. Dire ça, c'est simplement dire une vérité d'expérience, mais le dire comme ça, ça n'a l'air de rien, mais c'est quand même, c'est quand même faire un pas. Parce que, pour qui a un petit peu, enfin, ses esgourdes ouvertes, c'est pas du tout la même chose que de dire que c'est une passion. D'abord il y a des tas de cas où l'amour ça n'est pas une passion. Je dirai même plus : je mets en doute que ce soit jamais une passion. Je le mets en doute, mon Dieu, à cause de mon expérience. A cause de mon expérience - qui ne tient pas seulement à la mienne - je veux dire que mon expérience dans le discours analytique me donne assez de matériel, pourquoi ? Pour qu'en somme je puisse me permettre de faire ce dont j'ai défini la dernière fois le savoir, à savoir l'inventer. Ce qui ne vous met nullement à l'abri, surtout si vous êtes en analyse avec moi, de me le supposer, ce savoir, comme quelque chose que je n'inventerais pas. Mais si le savoir, même inconscient, est justement ce qui s'invente pour suppléer à quelque chose qui n'est peut-être que le mystère du deux, on peut voir qu'il y a quand même un pas de franchi, à oser dire que si l'amour est passionnant, ce n'est pas qu'il soit passif. C'est un dire qui, comme tel, implique en lui-même une règle. Puisque dire que quelque chose est passionnant, eh bien, c'est en parler, comme d'un jeu, où l'on n'est en somme actif qu'à partir des règles. Il y a quand même quelques personnes qui se sont aperçues de ça depuis longtemps. A propos de tout ce qui se dit, il y a un nommé Wittgenstein, particulièrement, qui s'est distingué là-dedans. Donc, ce que j'avance, c'est que ma formule, là, l'amour est passionnant, si je l'avance, c'est comme strictement vraie. Oui. Strictement vraie : il y a tout de même longtemps que j'ai marqué là-dessus quelques réserves, c'est-à-dire que "strictement vraie" n'est jamais vrai qu'à moitié, qu'on ne peut, le vrai, jamais que le mi-dire. Il faudra quand même qu'on arrive, qu'on arrive avant la fin de l'année, à formuler ce que ça comporte et que je vous expliquerai plus tard. C'est que tout mi-dire, mi-dire du vrai, a la mort pour principe. Car le vrai - c'est quand même là quelque chose dont l'expérience analytique peut nous donner le contact - ouais... le vrai n'a aucune autre façon de pouvoir être défini que ce qui en somme fait que le corps va à la jouissance, et qu'en ceci, ce par quoi il y est forcé, ce n'est pas autre chose que le principe, le principe par quoi le sexe est très spécifiquement lié à la mort du corps. Il n'y a que chez les êtres sexués que le corps meurt. Et ce forçage de la reproduction, c'est bien là à quoi sert le peu que nous pouvons énoncer de vrai. Je dirai même plus, comme il s'agit de la mort, c'est même pour ça que nous n'avons jamais que la vraisemblance, parce que cette mort, principe du vrai, cette mort chez l'être parlant en tant qu'il parle, c'est jamais que du chiqué. La mort, vraiment, pour l'avoir devant soi, c'est pas à la portée du vrai. La mort le pousse. Pour l'avoir devant soi, pour avoir affaire à la mort, ça ne se passe qu'avec le Beau où là, ça fait touche. J'ai déjà démontré ça dans un temps, du temps où je faisais L'Ethique de la Psychanalyse, et ça fait touche, pourquoi ? Parce que les choses étant dans un certain ordre rotatoire, ça fait touche en tant que ça glorifie le corps. Là le principe de la jouissance, ce qui est forcé, c'est le fait de la mort, et chacun sait... que ce soit au nom du corps que tout ça se produise, c'est bien ce que j'ai autrefois illustré de la tragédie d'Antigone, et ce qui curieusement est passé dans le mythe chrétien, car je ne sais pas si vous vous êtes bien aperçus que ce pourquoi c'est fait, toute cette histoire, cette histoire du Christ qui ne parle que de la jouissance, ces lys des champs qui ne tissent ni ne filent, qui traverse, lui, le mythe l'affirme, la mort, tout ça en fin de compte n'a de fin, ce que nous voyons enfin s'étaler sur des kilomètres de toile, n'a de fin que de produire des corps glorieux dont on se demande ce qu'ils vont faire pendant l'éternité, même mis en rond dans un cercle de théâtre, ce qu'ils vont bien pouvoir faire à contempler on ne sait quoi. C'est tout de même curieux que ce soit par cette voie, cette voie non pas du vrai mais du beau, que ce soit par cette voie que se soit pour la première fois manifesté le dogme de la Trinité divine, il faut dire que c'est un mystère ! C'est un mystère que... dont on s'est approché mais, mais pas sans un certain nombre de glissements. Si dans la logique d'Aristote, l'autre jour, je vous ai démontré l'irruption de, de je ne sais quelles théories de l'amour, de je ne sais quelles théories de l'amour où sont fort bien distingués l'amour et la jouissance, c'est déjà pas mal, hein ! C'est déjà pas mal, mais ça ne fait que deux, ça
ne fait pas du tout une trinité. Mais c'est bien amusant de lire
dans un traité De la Trinité d'un certain Richard de Saint
Victor, la même irruption, incroyable, enfin du retour de, du retour
de l'amour, le Saint-Esprit considéré comme petit ami, c'est
quelque chose que, que je vous prie d'aller voir dans le texte, enfin,
je vous le sortirai un jour, je ne vous ai pas traînés là
ce matin parce que, parce que j'ai assez à dire aujourd'hui, mais
ça vaut le coup, ça vaut le coup de toucher ça. Alors essayons de nous interroger sur ce qui pourrait arriver si on
gagnait sérieusement de ce côté que... que l'amour
c'est passionnant mais que ça implique qu'on y suive la règle
du jeu. Bien sûr, pour ça, faut la savoir. C'est peut-être
ce qui manque : c'est qu'on en a toujours été là
dans une profonde ignorance à savoir qu'on joue un jeu dont on
ne connaît pas les règles. Alors si ce savoir, il faut l'inventer
pour qu'il y ait savoir, c'est peut-être à ça que
peut servir le discours psychanalytique. En quoi ce noeud borroméen rejoint quand même le pourquoi
du fait que, que l'amour, enfin, c'est... c'est pas fait pour être
abordé par l'Imaginaire. Parce que le seul fait, le seul fait que
quand il bafouille, n'est-ce pas, faute de connaître la règle
du jeu, il articule les noeuds de l'amour, hein... |
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