Sous le titre de schizophasie,
certains auteurs (1) ont mis en relief
la haute valeur qui s'attache à certaines formes plus ou
moins incohérentes du langage, non seulement comme symptômes
de certains troubles profonds de la pensée, mais encore comme
révélateurs de leur stade évolutif et de leur
mécanisme intime. Dans certains cas, ces troubles ne se manifestent
que dans le langage écrit. Nous tenterons seulement de montrer
quelle matière ces écrits offrent à une étude
précise des mécanismes psycho-pathologiques. Ceci
à propos d'un cas qui nous a semblé original.
Il s'agit d'une malade, Marcelle C., âgée
de 34 ans, institutrice primaire, internée depuis un an à
la Clinique psychiatrique. Un an et demi auparavant elle avait été
internée une première fois mais était aussitôt
ressortie sur la demande de son père, petit artisan.
Mlle C. donne au premier abord l'impression d'une personne qui jouit
de l'intégrité de ses facultés mentales. Pas
d'étrangeté dans sa tenue. On ne remarque à
aucun moment de sa vie dans le service de comportement anormal.
Des protestations très vives à l'égard de son
internement semblent d'abord obvier à tout contact. Il s'établit
néanmoins.
Ses propos sont alors vifs, orientés, adaptés,
enjoués parfois. De l'intégrité de ses fonctions
intellectuelles, qui apparaît totale dans une conversation
suivie, nous avons poussé l'exploration objective par la
méthode des tests. Les tests ordinaires, portant sur l'attention,
la logique, la mémoire, s'étant montrés très
au-dessous de ses capacités, nous avons usé d'épreuves
plus subtiles, plus proches des éléments sur lesquels
porte notre appréciation quotidienne des esprits. Ce sont
les " Tests d'intention" : sens apparent et réel
d'un propos, d'une épigramme, d'un texte, etc... Elle s'y
est toujours montrée suffisante, rapide et même aisée.
Notons que, si loin qu'on aille dans sa confidence, le contact
affectif avec elle reste incomplet. A chaque instant s'affirme une
foncière résistance. La malade professe d'ailleurs
à tout propos : "Je ne veux
être soumise à personne. Je n'ai jamais voulu admettre
la domination d'un homme ", etc.
Quand nous en sommes à faire cette remarque,
la malade a pleinement extériorisé son délire.
Il comporte des thèmes nombreux dont certains typiques.
Un thème de revendication, fondé sur une série
d'échecs prétendus injustifiés à un
examen, s'est manifesté par une série de démarches
poursuivies avec une sthénie passionnelle, par la provocation
de scandales qui ont amené l'internement de la malade. Pour
le dommage de cet internement, elle réclame "vingt
millions d'indemnité, dont douze pour privation de satisfactions
intellectuelles et huit pour privation de satisfactions sexuelles".
Un thème de haine se concentre contre une
personne, Mlle G., qu'elle accuse de lui avoir volé la place
qui lui revenait à cet examen et de s'être substituée
à elle dans la fonction qu'elle devrait occuper. Ces sentiments
agressifs s'étendent à plusieurs hommes, qu'elle a
connus dans une période récente et pour lesquels elle
semble avoir eu des sentiments assez ambivalents, - sans leur céder
jamais, affirme-t-elle.
Un thème érotomaniaque à l'égard d'un
de ses supérieurs dans l'enseignement, l'inspecteur R., atypique
en ceci qu'il est rétrospectif, l'objet du délire
étant défunt et la passion morbide ne s'étant
révélée d'aucune façon de son vivant.
Un thème "idéaliste" s'extériorise
non moins volontiers. Elle a "le sens de l'évolution
de l'humanité". Elle a une mission. Elle est une
nouvelle Jeanne d'Arc, mais "plus instruite et d'un niveau
de civilisation supérieure". Elle est faite pour
guider les gouvernements et régénérer les moeurs.
Son affaire est "un centre lié à de hautes
choses internationales et militaires".
Sur quels fondements repose ce délire polymorphe
? La question, on va le voir, reste problématique et peut-être
les écrits nous aideront-ils à la résoudre.
Lors de ses deux internements la malade a été examinée
à l'Infirmerie spéciale. Les certificats du Dr. Logre
et du Dr. de Clérambault mettent en valeur le caractère
paranoïaque "soit ancien,
soit néoformé", admettent l'existence
d'un automatisme mental.
Néanmoins, la simple étude du cursus
vitae de la malade semble faire apparaître une volonté
de se distinguer de son milieu familial, un isolement volontaire
de son milieu professionnel, une fausseté du jugement, qui
se traduisent dans les faits. Ses études sont bonnes et il
n'y a rien à relever jusqu'à sa sortie de l'Ecole
normale primaire à 21 ans. Mais en possession d'un poste
en 1917, elle prétend régler son service à
sa façon, déjà revendique et même interprète.
Après quelques années elle se met en tête d'accéder
au professorat d'une école de commerce, réclame à
cet effet un changement de poste puis un congé et, en 1924,
abandonne purement et simplement son poste, pour venir préparer
son examen à Paris. Là, elle gagne sa vie comme employée
comptable, mais se croit persécutée dans toutes ses
places et en change douze fois en 4 ans. Le comportement sexuel
auquel nous avons fait allusion, le caractère très
foncier des rébellions exprimées par la malade viennent
s'ajouter à l'impression qui se dégage de l'ensemble
de son histoire pour faire admettre une anomalie évolutive
ancienne de la personnalité, de type paranoïaque. Pour
faire le bilan des phénomènes élémentaires
"imposés" ou dits d'action extérieure, il
nous a fallu beaucoup de patience. Ce n'est point en effet seulement
la réticence ou la confiance de la malade qui interviennent
dans leur dissimulation ou leur divulgation. C'est le fait que leur
intensité varie, qu'ils évoluent par poussées
et qu'avec ces phénomènes apparaît un état
de sthénie à forme expansive, qui d'une part leur
donne certainement leur résonance convaincante pour le sujet,
d'autre part en rend impossible, même pour des motifs de défense,
l'occultation.
La malade a présenté durant son séjour
dans le service une de ces poussées, à partir de laquelle
ses aveux sont restés acquis : elle nous a dès lors
éclairé sur les phénomènes moins intenses
et moins fréquents qu'elle ressent dans les intervalles et
sur les épisodes évolutifs passés.
Les phénomènes "d'action
extérieure" se réduisent aux plus subtils
qui soient donnés dans la conscience morbide. Quel que soit
le moment de son évolution, notre sujet a toujours nié
énergiquement d'avoir jamais eu "des
voix" ; elle nie de même toute "prise",
tout écho de la pensée, des actes ou de la lecture.
Questionnée selon les formes détournées que
l'expérience de ces malades nous apprend à employer,
elle dit ne rien savoir de ces "sciences
barbouilleuses où les médecins ont essayé de
l'entraîner".
Tout au plus s'agit-il d'hyperendophasie épisodique, de mentisme
nocturne, d'hallucinations psychiques. Une fois la malade entend
des noms de fleurs en même temps qu'elle sent leurs odeurs.
La malade, une autre fois dans une sorte de vision intérieure,
se voit et se sent à la fois, accouplée dans une posture
bizarre avec l'inspecteur R.
L'éréthisme génital est certain.
La malade pratique assidument la masturbation. Des rêveries
l'accompagnent et certaines sont semi-oniriques. Il est difficile
de faire la part de l'hallucination génitale.
Par contre, elle éprouve des sentiments d'influence
intensément et fréquemment. Ce sont des "affinités
psychiques", des "intuitions",
des "révélations
d'esprit", des sentiments de "direction".
"C'est d'une grande subtilité
d'intelligence", dit-elle. De ces "inspirations",
elle différencie les origines : c'est Foch, Clemenceau, c'est
son grand-père, B. V., et surtout son ancien inspecteur M.
R.
Enfin, il faut classer parmi ces données imposées
du vécu pathologique, les interprétations. Dans certaines
périodes, paroles et gestes dans la rue sont significatifs.
Tout est mise en scène. Les détails les plus banals
prennent une valeur expressive qui concerne sa destinée.
Ces interprétations sont actuellement actives mais diffuses
: "j'ai cru comprendre qu'on a
fait de mon cas une affaire parlementaire... mais c'est tellement
voilé, tellement diffus".
Ajoutons ici quelques notes sur l'état somatique
de la malade. Elles sont surtout négatives. Il faut retenir
: une grippe en 1918. Un caféinisme certain. Un régime
alimentaire irrégulier. Un tremblement net et persistant
des doigts. Une hypertrichose marquée des lèvres.
Règles normales. Tous autres appareils normaux. Deux lipothymies
très courtes dans le service sans autre signe organique qu'une
hyperhémie papillaire qui a duré une huitaine de jours.
Bacillose fréquente dans la lignée maternelle.
Venons-en aux écrits très abondants. Nous en publions
un choix et le plus possible intégralement. Les chiffres
qui s'y trouvent insérés serviront lors des commentaires
qui vont suivre, à renvoyer aux textes. |
| 1. Paris le 30
avril 1931 |
Mon cher papa, plus
de quatre mois que je suis enfermée dans cet asile de
Sainte-Anne sans que j'aie pu faire l'effort nécessaire
pour te l'écrire. Ce n'est pas que j'aie quoi que ce
soit de névralgique ou de tuberculeux, mais on t'a fait
commettre l'an dernier de telles sottises mettant, en malhonnête,
à profit ta parfaite ignorance de ma réelle situation
(1) que j'ai subi le joug de la défense (2) par le mutisme.
J'ai appris toutefois que le médecin de mon cas, à
force de lenteur t'a mis en garde contre la chose grotesque
et je vois qu'il a, sans plus soif d'avatars (3), mis les choses
en parfaite voie de mieux éclairci (4) et de plus de
santé d'État (5).
Daigne (6) intercepter les sons de la loi pour me faire le plus
(7) propre de la terre sinon le plus (7) érudit. Le sans
soin de ma foi (8) fait passer Méphisto (9) le plus (7)
cruel des hommes mais il faut être sans doux dans les
mollets pour être le plus prompt à la transformation.
Mais il est digne d'envie qui fait le jeu de la manne du cirque.
On voit que etc. |
| 2. Paris ce 14
mai 1931: |
Monsieur le Président
de la République P. Doumer en villégiaturant dans
les pains d'épices et les troubadoux,
Monsieur le Président de la République envahie
de zèle,
Je voudrais tout savoir pour vous faire le (15) mais souris
donc de poltron et de canon d'essai (16) mais je suis beaucoup
trop long à deviner (17). Des méchancetés
que l'on fait aux autres il convient de deviner que mes cinq
oies de Vals (18) sont de la pouilladuire et que vous êtes
le melon de Sainte vierge et de pardon d'essai (19). Mais il
faut tout réduire de la nomenclature d'Auvergne car sans
se laver les mains dans de l'eau de roche on fait pissaduire
au lit sec (20) et madelaine est sans tarder la putin de tous
ces rasés de frais (21) pour être le mieux de ses
oraies (22) dans la voix est douce et le teint frais. J'aurais
voulu médire de la tougnate (23) sans faire le préjudice
de vie plénière et de sans frais on fait de la
police judiciaire (24). Mais il faut étonner le monde
pour être le faquin maudit de barbenelle et de sans lit
on fait de la tougnate (25).
Les barbes sales sont les fins érudits du royaume de
l'emplâtre judice (26) mais il faut se taire pour érudir
(27) la gnogne (28) et la faire couler sec dans si j'accuse
je sais ce que j'ai fait (29).
(31) A londoyer (30) sans meurs on fait de la bécasse
(31) mais la trace d'orgueil est le plus haut Benoît que
l'on puisse couler d'ici longs faits et sans façon. Le
péril d'une nation perverse est de cumuler tout sur le
dos de quelqu'un et faire de l'emplâtre le plus maigre
arlequin alors qu'il est préjudice à qui l'on
veut, bonté à coups redoublés à
qui l'on ne voulait pas pour soi.
Mais je vous suis d'accord pour le mot de la gloire du Sénat.
Cureur (32) était de sa "c'est ma femme qui l'a
fait " (33) le plus érudit de tous mais le moins
emprunté.
A vous racler la couane je fais de la mais las est bonne il
nous la faut bondir (34) mais je suis de ce paillasson qui fait
prunelle aux cent quoi j'ai fait de l'artichaut avec ce fin
bigorneau. Mais il faut passer brenat te fait le plus plein
de commères, de compère on fait le ventre pour
le faire suler de toi.
A moi d'avoir raclé la couane te fait la plus seule mais
s'il est un tourteau c'est pour bonheur ailleurs et pas dans
ces oraies-là elles sont trop basses.
A vous éreinter je fais de l'âme est lasse à
toujours vous servir (35) et voir grimper les échelons
à qui ne peut les gravir en temps et en heure. Il faut
pour cela être gentille amie de l'oracle du Désir
et si vous êtes le feu de vendredettes (37) je vous fais
le sale four de rat, de rat pâmé (38) et de chiffon
de caprice.
La tourte est le soin qu'on a pour l'adolescent quand il fait
ses dents avec le jarret d'autrui (39). Son préjudice
est celui qu'on n'éteint pas d'un coup d'ombrelle (40).
Il faut le suivre à l'essai quand on l'a érudit
(41) et si vous voulez le voir pâmer allez sans plus tarder
avenue Champs-Elysées et si doré frisson (42)
de la patrouille des melons de courage mais de naufrage plein
le jarret (44).
A vos souhaits maître ma pâme (45) à vos
jarrets (46) et ma désinvolture à vos oraies plus
hautes (47).
Bastille Marcelle (48) autrement dit Charlotte la Sainte, mais
sans plus de marmelade je vous fais le plus haut fiston de la
pondeuse et de ses troupeaux d'amis verts pour me ravir le fruit
de sentinelle et pas pervers. Je suis le beau comblons d'humour
de sans pinelle et du Vautour, le peloton d'essai (49) et de
la sale nuire pour se distinguer à tous rabais des autres
qui veulent vous surpasser parce que meilleur à fuir
qu'à rester.
Mes hommages volontaires à Monsieur Sa Majesté
le Prince de l'Ironie française et si vous voulez en
prendre un brin de cour faites le succès d'accord de
Madelaine et de sans tort on fait de l'artisan pour vous démoder,
portefaix. Ma liberté, j'en supplie votre honnête
personne vaudra mieux que le barême du duce le mieux appauvri
par parapluie d'escouade.
Je vous honneurs, Monsieur Ventre vert (50). A vous mes saveurs
de pétulance et de primeur pour vous honorer et vous
plaire. Mercière du Bon Dieu pour vous arroser de honte
ou vous hantir de succès solide et équilibré.
Marais haute de poissons d'eaux douces. Bedouce. |
| 3. Paris, ce 4
juin 1931 : |
Monsieur le Méricain
(51) de la buse et du prétoire.
S'il est des noms bien mus pour marquer poésie le somme
des emmitouflés (52) oh ! dites, n'est-ce pas celui de
la Calvée (53). Si j'avais fait Pâques avant les
Respans (54), c'est que mon Ecole est de vous asséner
des coups de butor tant que vous n'aurez pas assuré le
service tout entier. Mais si vous voulez faire le merle à
fouine (55) et le tant l'aire est belle qu'il la faut majorer
de faits c'est que vous êtes as (58) de la fête
et qu'il nous faut tous pleurer (56). Mais si vous voulez de
ce lieu-ci sans i on fait de l'étrange affaire c'est
que combat est mon souci et que, etc. |
| 4. Paris, le 27
juillet 1931 : |
Monsieur le
Préfet de Musique de l'Amique (61) entraîné
de style pour péristyliser le compte Potatos et Margoulin
réunis sans suite à l'Orgueil, Breteuil.
J'aime à voir conter le fait de l'Amérique en
pleurs, mais il est si doux faits qu'on fait longue la vie des
autres et suave la sienne au point, qu'il est bien cent fois
plus rempli celui qui vit de l'âcre et du faussaire et
fait sa digne existence de la longue épître qu'il
a cent fois sonné dans son gousset sans pouvoir de ce
"et" faire un beau "maîtrisez-moi (62)
je suis cent fois plus lâche que pinbèche mais
faites la fine école et vous êtes le soleil de
l'Amérique en pleurs.
Mais à scinder le tard on fait de l'agrégée
en toutes les matières et si matelotte est fait de boursiers
et de bronzes à tout luire, il faut de ce "et con
?" (63) faire un "salut à toi, piment tu nous
rends la vie suve et, sans toi, j'étais pendant aux buttes
de St-Clément."
Le sort "tu vois ma femme, ce qu'on fait de la sorte"
te fait le plus grand peintre de l'univers entier, et, si tu
es de ceux qui font : poète aux abois ne répond
plus, mais hélas ! il est mûr dans l'amur de l'autre
monde, tu feras, je crois Jésus dans l'autre monde encore,
pourvu qu'on inonde le pauvre de l'habit du moine qui l'a fait
(64).
Mon sort est de vous emmitoufler si vous êtes le benêt
que je vois que vous fûtes, et, si ce coq à l'âne
fut le poisson d'essai (65), c'est que j'ai cru, caduque que
vous étiez mauvais (66).
Je suis le frère du mauvais rat qui t'enroue si tu fais
le chemin de mère la fouine (67) et de sapin refait,
mais, si tu es soleil et poète aux longs faits, je fais
le Revu, de ce lieu-là j'en sortirai. J'avais mis ma
casse dans ta bécasse. Lasse de la tempête, j'achète
votre tombe Monsieur (67).
Marcelle Ch. aux abois ne répond pas aux poètes
sans foi, mais est cent fois plus assassin que mille gredins.
Genin. |
| 5. |
Le 10 novembre,
on demande à la malade d'écrire une courte lettre
aux médecins en style normal. Elle le fait aussitôt
en notre présence, et avec succès. On lui demande
ensuite d'écrire un post-scriptum en suivant ses "inspirations".
Voici ce qu'elle nous donne :
Post-Scriptum inspiré. Je voudrais
vous savoir les plus inédits à la marmotte du
singe (78) mais vous êtes atterés parce que je
vous hais au point que je vous voudrais tous sauvés
(79). Foi d'Arme et de Marne pour vous encoquiner et vous
faire pleurer le sort d'autres, le mien point (80).
Marne au diable.
Enfin cette lettre, véritable "art poétique",
où la malade dépeint son style : |
| 6 - Paris, le
10-12-1931: |
"Ce style que
j'adresse aux autorités de passage, est le style qu'il
faut pour bien former la besace de Mouléra et de son
grade d'officier à gratter."
Il est ma défense d'Ordre et de Droit.
Il soutient le bien du Droit.
Il rigoureuse la tougne la plus sotte et il se dit conforme
aux droits des peintres.
Il cancre la sougne aux oraies de la splendeur, pour la piloter,
en menin, dans le tougne qui la traverse.
Il est Marne et ducat d' "et tort vous l'avez fait ?".
Ce m'est inspiré par le grade d'Eux en l'Assemblée
maudite Genève et Cie.
Je le fais rapide et biscornu.
Il est final, le plus sage, en ce qu'il met tougne où
ça doit être. Bien-être d'effet à
gratter. Marcel le Crabe. |
|
Le graphisme est régulier
du début à la fin de la lettre. Extrêmement lisible.
D'un style dit primaire. Sans personnalité mais non sans prétention.
Fréquemment, la fin de la lettre remplit la marge. Aucune autre
originalité de disposition. Pas de soulignages. Aucune rature.
L'acte d'écrire, quand nous y assistons, s'accomplit sans arrêt,
comme sans hâte. La malade affirme
que ce qu'elle exprime lui est imposé, non pas d'une façon
irrésistible ni même rigoureuse, mais sous un mode
déjà formulé. C'est, dans le sens fort du terme,
une inspiration.
Cette inspiration ne la trouble pas quand elle écrit une
lettre en style normal en présence du médecin. Elle
survient par contre et est toujours, au moins épisodiquement,
accueillie quand la malade écrit seule. Même dans une
copie de ces lettres, destinée à être gardée,
elle n'écarte pas une modification du texte, qui lui est
"inspirée".
Interrogée sur le sens de ses écrits, la maiade répond
qu'ils sont très compréhensibles. Le plus souvent,
pour les écrits récemment composés, elle en
donne des interprétations qui éclairent le mécanisme
de leur production. Nous n'en tenons compte que sous le contrôle
d'une analyse objective. Nous ne donnons, avec Pfersdorff(2),
à toute interprétation dite "philologique",
qu'une valeur de symptôme.
Mais, le plus souvent, à l'égard de
ses écrits, surtout quand ils sont anciens, l'attitude de
la malade se décompose ainsi :
a) Conviction absolue de leur valeur. Cette conviction semble fondée
sur l'état de sthénie qui accompagne les inspirations
et qui entraîne chez le sujet la conviction qu'elles doivent,
même incomprises de lui, exprimer des vérités
d'ordre supérieur. A cette conviction semble être attachée
l'idée que les inspirations sont spécialement destinées
à celui à qui est adressée la lettre. "Celui-là
doit comprendre. Il est possible que le fait de plaider sa cause
auprès d'un auditeur (c'est toujours l'objet de ses écrits),
déclenche l'état sthénique nécessaire.
b) Perplexité, quant à elle, sur le sens contenu dans
ces écrits. C'est alors qu'elle prétend que ses inspirations
lui sont entièrement étrangères et qu'elle
en est à leur égard au même point que l'interrogateur.
Si radicale que soit parfois cette perplexité, elle laisse
intacte la première conviction.
c) Une profession, justificative et peut-être jusqu'à
un certain point déterminante, de non-conformisme. "Je
fais évoluer la langue. Il faut secouer toutes ces vieilles
formes." Cette attitude de la malade à l'égard
de ses écrits est identique à la structure de tout
le délire.
a) Sthénie passionnelle fondant dans la certitude
les sentiments délirants de haine, d'amour et d'orgueil.
Elle est corrélative des états d'influence, d'interprétation,
etc.
b) Formulation minima du délire, tant revendicateur qu'érotomaniaque
ou réformateur.
c) Fonds paranoïaque de surestimation de soi-même et
de fausseté du jugement. Cette structure caractéristique
du délire nous est ainsi révélée de
façon exemplaire.
Voyons si l'analyse des textes eux-mêmes nous éclairera
sur le mécanisme intime des phénomènes "d'inspiration".
Notre analyse porte sur un ensemble de textes environ dix fois plus
étendus que ceux que nous citons.
Pour conduire cette analyse sans idées préconçues,
nous suivrons la division des fonctions du langage que Head a donnée
à partir de données purement cliniques (3)
(étude des aphasiques jeunes) (4).
Cette conception s'accorde d'ailleurs remarquablement avec ce que
les psychologues et les philologues obtiennent par leurs techniques
propres (5).
Elle se fonde sur l'intégration organique de quatre fonctions
auxquelles correspondent quatre ordres de troubles effectivement
dissociés par la clinique :
- troubles verbaux ou formels du mot parlé ou écrit
;
- troubles nominaux ou du sens des mots employés, c'est-à-dire
de la nomenclature ;
- troubles grammatiques ou de la construction syntaxique ;
- troubles sémantiques ou de l'organisation générale
du sens de la phrase.
A. - Troubles verbaux
Altération de la forme du mot, révélatrice
d'une altération du schéma moteur graphique - ou bien
de l'image auditive ou visuelle.
Au premier abord, ils sont réduits au minimum. Pourtant,
on rencontre des élisions syllabiques (61), portant souvent,
point remarquable, sur la première syllabe (26) (32) (51),
assez fréquemment l'oubli d'une particule, préposition
le plus souvent : "pour", "de", ou "du"
(9), etc. S'agit-il de ces courts barrages, ou inhibitions du cours
de la pensée qui font partie des phénomènes
subtils négatifs de la schizophrénie ? Le fait est
d'autant plus difficile à affirmer que la malade en donne
des interprétations délirantes. Elle a supprimé
cet "et", ou ce "de", parce qu'il aurait fait
échouer sa démarche. Dans des écrits, elle
y fait allusion (62).
Certaines formules verbales sont par contre certainement données
par les phénomènes élémentaires imposés
positifs, pseudo-hallucinatoires (63) ; la malade souvent spécule
sur ces phénomènes.
Le caractère imposé de certains phénomènes
apparaît nettement en ceci que leur image est si purement
auditive que la malade lui donne plusieurs transcnptions différentes
: la mais l'as (34), l'âme est lasse (37), qui s'écrit
encore "la mélasse" dans un poème que nous
n'avons pas cité. De même " le merle à
fouine " (55) " la mère la fouine (67). Les dénégations
de la malade, fondées sur la différence du sens, ne
peuvent annuler le fait, mais viennent au contraire renforcer sa
valeur.
On peut dès lors se demander si n'ont pas une même
origine certaines stéréotypies qui reviennent avec
insistance dans une même lettre ou dans plusieurs : dans la
lettre 1, le "d'Etat" (5)
; dans la lettre 2, le "d'essai" (16) (19) (49) (65) qui
s'accroche régulièrement à des mots terminés
en on, sur le modèle de "ballon d'essai", dans
plusieurs lettres, le " si doré frisson" (42) (60).
On peut se le demander encore pour toute une série de stéréotypies
qui viennent dans le texte avec un cachet d'absurdité particulièrement
pauvre, qui, dirons-nous, "sentent" la rumination mentale
et le délire. C'est là une discrimination d'ordre
esthétique qui ne peut cependant manquer de frapper chacun.
Les néologismes pourtant semblent pour la plupart d'une origine
différente. Certains, seulement, comme " londrer, londoyer
" (31), s'apparentent aux types néologiques que nous
fournit l'hallucination. Ils sont rares. Pour la plupart, nous devrons
les ranger dans les troubles nominaux.
B. - Troubles nominaux
Les transformations du sens des mots paraissent voisines
des processus d'altération étudiés par les
philologues et les linguistes dans l'évolution de la langue
commune. Elles se font comme ceux-ci par contiguïté
de l'idée exprimée et aussi par contiguïté
sonore ou plus exactement parenté musicale des mots ; la
fausse étymologie du type populaire résume ces deux
mécanismes : aussi la malade emploie "mièvre"
dans le sens qu'a "mesquin". Elle a fait une famille avec
les mots mairie et marier, d'où elle tire : marri et le néologisme
mairir.
Le sens est encore transformé selon le mécanisme normal
de l'extension et de l'abstraction, tels les jarrets [(39) (44)
(46), etc.], fréquemment évoqués, mot auquel
la malade donne son sens propre, et "par extension" celui
de lutte, marche force active.
Des mécanismes de dérivation réguliers produisent
les néologismes érudir (27) (41), enigmer, oraie [(22)
(47)], formé comme roseraie, et très fréquemment
employé dans le sens d'affaire qui produit de l'or, vendredettes
(37), qui désigne ce qui se rapporte à un cours qu'elle
suivait le vendredi, etc.
D'autres mots sont d'origine patoisante, locale ou familiale, voir
(28), et encore les Respans pour les Rameaux (54), le mot "nèche"
pour dire méchante, et les mots "tougne", d'où
dérivent tougnate (23) (25), tougnasse, qui sont des injures
désignant toujours sa principale ennemie, Mlle G.
Enfin noter l'usage de mots truculents : les emmitouflés
(52), les encoquinés, etc.
C. - Troubles grammatiques
On peut remarquer après examen que la construction
syntaxique est presque toujours respectée. L'analyse logique
formelle est toujours possible à cette condition d'admettre
la substitution de toute une phrase à la place d'un substantif.
Tel l'exemple suivant (56) : Mais si vous voulez faire le merle
à fouine et le / tant l'aire est belle qu'il la faut majorer
de faits /. c'est que vous êtes as de la fête et qu'il
nous faut tous pleurer." Les deux signes // isolent la phrase
jouant la fonction de substantif. Cette construction est très
fréquente (15) (24) (25) (29) (33) (73). Parfois, il s'agit
d'adjectifs ou de formules adjectives employées substantivement
(4) (8) (17) (21), ou simplement d'un verbe à la 3ème
personne : "le mena", "le pela", "le mène
rire".
Cette forme donne d'abord l'illusion d'une rupture de la pensée
; nous voyons qu'elle en est tout le contraire puisque la construction
reprend, après que la phrase, en quelque sorte entre parenthèses,
s'est achevée.
En des passages beaucoup plus rares, le lien syntaxique est détruit
et les termes forment une suite verbale organisée par l'association
assonantielle du type maniaque (60) (73), ou, par une liaison discontinue
du sens, fondée sur le dernier mot d'un groupe repris comme
premier du suivant, procédé parent de certains jeux
enfantins : tel (20) : ou encore cette formule : " vitesse
aux succès fous de douleur, mais ventre à terre et
sans honneur " (lettre non citée). La fatigue conditionne
en partie ces formes qui sont plus fréquentes à la
fin des lettres.
D. - Troubles sémantiques
Ils sont caractérisés par l'incohérence
qui paraît d'abord totale. Il s'agit en réalité
d'une pseudo-incohérence. Certains passages plus pénétrables
nous permettent de reconnaître les traits caractéristiques
d'une pensée où prédomine l'affectivité.
C'est d'abord essentiellement l'ambivalence. "J'ai subi, dit-elle,
le joug de la défense (2)" pour signifier exactement
le "joug de l'oppression" par exemple. Plus nettement
encore : "Vous êtes atterés parce que je vous
hais au point que je vous voudrais tous sauvés " (79).
Voir encore (80).
De la condensation, de l'agglutination des images, voici des exemples.
Dans une lettre non publiée : "Je vous serais fort avant-coureur,
écrit-elle à son député, de me libérer
de cet enfer." Ce qui veut dire que, pour exprimer sa reconnaissance,
elle le fera bénéficier de ces lumières spéciales
qui font d'elle un avant-coureur de l'évolution. De même,
ailleurs : "Je vous serais fort honnête de vouloir bien
procéder à un emprisonnement correct dans l'enseignement
primaire."
Le déplacement, la projection des images sont non moins avérés
après qu'on a interrogé la malade. Qu'elle interprète
(plus ou moins secondairement, ceci importe peu), un passage incohérent
comme exprimant une calomnie qu'on a dû répandre sur
elle, il se trouve que le discours lui attribue à elle-même
la phrase incriminée. L'inverse se produit non moins constamment.
La notion de la participation semble effacer ici celle de l'individu.
Et cette tendance de sa pensée pourrait relever de l'expérience
délirante du sentiment d'influence, si l'usage du procédé
que nous signalons, n'était nettement ironique et ne révélait
par là son dynamisme affectif.
En témoigne encore la profusion des noms propres dans ses
écrits (plusieurs à la suite, joints par le signe
= , pour désigner le même individu, par exemple), des
surnoms, la diversité et la fantaisie de ses propres signatures.
Notons que la malade se qualifie elle-même fréquemment
au masculin (7).
Dans une composition que nous lui avons demandée
sur un sujet technique qu'elle était censé connaître,
la relation se marquait bien entre le défaut de direction
et d'efficacité de la pensée et cette structure affective.
Ce travail, à peu près suffisant dans son contenu
général, montrait deux ou trois fois une dérivation
du discours, tout à fait hors de propos, et toujours sous
la forme de l'ironie, de l'allusion, de l'antiphrase. Ces formes,
où la pensée affective trouve normalement à
s'exprimer dans les cadres logiques, étaient ici liées
à la manifestation d'un déficit intellectuel qui ne
s'était pas révélé dans les tests, où
elle était passive.
Néanmoins, tout dans ces textes ne semble
pas ressortir à la formulation verbale dégradée
de tendances affectives. Une activité de jeu s'y montre,
dont il ne faut méconnaître ni la part d'intention,
ni la part d'automatisme. Les expériences faites par certains
écrivains sur un mode d'écriture qu'ils ont appelé
surréaliste, et dont ils ont décrit très scientifiquement
(6) la méthode, montrent à
quel degré d'autonomie remarquable peuvent atteindre les
automatismes graphiques en dehors de toute hypnose (7).
Or, dans ces productions, certains cadres peuvent être fixés
d'avance, tel un rythme d'ensemble, une forme sentencieuse (8),
sans que diminue pour cela le caractère violemment disparate
des images qui viennent s'y couler.
Un mécanisme analogue semble jouer dans les écrits
de notre malade, pour lesquels la lecture à haute voix révèle
le rôle essentiel du rythme. Il a souvent, par lui-même,
une puissance expressive considérable.
L'hexamètre rencontré à chaque ligne (66) est
peu significatif et est plutôt un signe d'automatisme. Le
rythme peut être donné par une tournure sentencieuse,
qui prend parfois la valeur d'une véritable stéréotypie,
tel le schéma donné par le proverbe "A vaincre
sans péril on triomphe sans gloire", vingt fois sous-jacent
à quelque formule apparemment incohérente (31). Un
grand nombre de tournures propres à certains auteurs classiques,
à La Fontaine très souvent, soutiennent son texte.
La plus typique de celles-ci est la phrase délirante qui
précède le renvoi (53) et qui est calquée sur
la célèbre dystique d'Hégésippe Moreau
:
"S'il est un nom bien doux fait pour
la poésie,
Ah ! dites, n'est-ce pas celui de la Voulzie ?"
En faveur de tels mécanismes de jeux, il nous
est impossible de ne pas noter la remarquable valeur poétique
à laquelle, malgré quelques défauts, atteignent
certains passages. Par exemple, les deux passages suivants :
Dans la lettre (1), que nous n'avons pu donner que partiellement,
suivent presque immédiatement notre texte les passages suivants
:
"On voit que le feu de l'art qu'on a dans les
herbes de la St-Gloire met de l'Afrique aux lèvres de la
belle emblasée."
et s'adressant toujours à son père :
"Crois qu'à ton âge tu devrais être au retour
de l'homme fort qui, sans civilisation, se fait le plus cran de
l'aviron et te reposer sans tapinois dans le plus clair des métiers
de l'homme qui se voit tailler la perle qu'il a faite et se fait
un repos de son amant de foin."
Voir encore (39) (40) (50) (64) (67).
Au terme de notre analyse, nous constatons qu'il est impossible
d'isoler dans la conscience morbide le phénomène élémentaire,
psycho-sensoriel ou purement psychique, qui serait le noyau pathologique,
auquel réagirait la personnalité demeurée normale.
Le trouble mental n'est jamais isolé. Ici, nous voyons le
mécanisme essentiel reposer sur une double base :
- un déficit intellectuel, qui, si subtil soit-il, se traduit
dans les productions intellectuelles, la conduite, et fonde certainement
la croyance délirante ;
- un état de sthénie passionnelle qui, diversement
polarisée en sentiments d'orgueil, de haine ou de désir,
prend sa racine unique dans une tendance égocentrique.
Cet état émotionnel chronique est susceptible de variations,
selon plusieurs périodes. Périodes longues, qui révèlent
une corrélation clinique avec la fréquence des phénomènes
élémentaires d'action extérieure. Périodes
courtes, qui sont déterminées par l'expression écrite
des thèmes délirants.
Dans ces états d'exaltation, les formulations conceptuelles,
que ce soit celles du délire ou des textes écrits,
n'ont pas plus d'importance que les paroles interchangeables d'une
chanson à couplets. Loin qu'elles motivent la mélodie,
c'est celle-ci qui les soutient, et légitime à l'occasion
leur non-sens.
Cet état de sthénie est nécessaire pour que
les phénomènes dits élémentaires, eussent-ils
la consistance psycho-sensorielle, entraînent l'assentiment
délirant, que la conscience normale leur refuse.
De même, dans les écrits, la formule rythmique seule
est donnée, que doivent remplir les contenus idéiques
qui se présenteront. Dans l'état donné de niveau
intellectuel et de culture de la malade, les conjonctions heureuses
d'images pourront se produire épisodiquement pour un résultat
hautement expressif. Mais le plus souvent, ce qui viendra, ce seront
les scories de la conscience, mots, syllabes, sonorités obsédantes,
"rengaines", assonances, "automatismes" divers,
tout ce qu'une pensée en état d'activité, c'est-à-dire
qui identifie le réel repousse et annule par un jugement
de valeur.
Tout ce qui, de cette origine, se prend ainsi dans le texte, se
reconnaît à un trait qui en signe le caractère
pathologique : la stéréotypie. Ce trait est manifeste
parfois. On ne peut ailleurs que le pressentir. Sa présence
nous suffit.
Rien n'est en somme moins inspiré, au sens spirituel, que
cet écrit ressenti comme inspiré. C'est quand la pensée
est courte et pauvre, que le phénomène automatique
la supplée. Il est senti comme extérieur parce que
suppléant à un déficit de la pensée.
Il est jugé comme valable, parce qu'appelé par une
émotion sthénique.
Il nous semble que cette conclusion, qui touche aux problèmes
les plus essentiels que nous pose le fonctionnement pathologique
de la pensée, valait l'analyse phénoménologique
minutieuse, que seuls des écrits pouvaient nous permettre.
J. LéVY-VALENSI, Pierre MIGAULT et Jacques
LACAN.
Annales Médico-Psychologiques,
1931. |
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