Re: le virtuel vu par la psychanalyse 1


Subject: Re: le virtuel vu par la psychanalyse 1
From: zapone (zapone@club-internet.fr)
Date: Wed Dec 29 1999 - 01:47:18 CET


  ----- Message d'origine -----
  De : Emmanuel Bing
  À : lacan-list@linkline.be

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  Sans doute peut-on ressentir quelque agacement face au glissement de sens d'un mot tel que "virtuel" dont l'emploi banalisé fait l'objet d'un étonnant commerce. Bref, nous fait-on prendre des vessies pour des lanternes? Mais si le résultat ne nous semble pas à la hauteur de la promesse, peut-être en est-il ainsi parce que nous n'en voyons que l'ébauche, l'esquisse, le croquis. Le monde virtuel dont on nous rebat les oreilles reste au final virtuel, précisément parce qu'il est encore à venir. Nous n'en avons que l'annonce. Le pari (le rêve, le message) de l'informaticien, est plutôt de nous donner à penser ou à croire qu'il est en gestation. Work in progress, donc, dont il est peu probable que nous assistions au commencement du début de l'épanouissement : déjà bien si nous aurons une vue grand angle de l'enfantement!

  Il semble pertinent que Bing soulève la question des représentations du monde via l'art, où les erzast les plus fidèles - (même discours pour la photographie) - de Bosch à l'hypper-réalisme, nous procurent la même vison "virtuelle" du monde, en raison d'un singulier mouvement de balance, qui de toute façon permet à l'artiste de saisir le lien entre les décalages Imaginaire/Réel en fonction de l'environnement culturel d'une époque. Je veux dire par là qu'à son époque Bosch peignait une réalité de l'imaginaire des hommes en rapport avec la partie occulte du désir et de ses interdits, tout comme dans l'hypper-réalisme se peint le contrepoint des édifications romantiques imaginaires.
     A travers son micro-réalisme la science nous fait croire qu'elle nous donne accès à une vision plus tangible du monde, tandis que nos attachements culturels nous poussent (pour bon nombre) à vibrer encore devant un film d'aventure ou d'amour dont les scènes auront été tournées dans un lieu (Paris - Zagora - New-York, etc) que nous croyons pouvoir reconnaître, alors que nous n'en voyons plus rien, et surtout pas, par exemple, les ouvriers qui en plantent le décor, les rues, les immeubles, avec leurs grues, leurs marteaux-piqueurs, dont notre imaginaire nous occultait du bruit, du froid l'hiver, et de la sueur. L'hyper-réalisme est une tentative anti-Bretoniennne. Il vise à ressusciter un monde que nous ne savons plus voir, en forçant le trait de notre quotidien. André Breton s'étendait souvent sur la notion de "patine". A savoir d'une sorte d'invisibilité du charme de l'objet consécutive à l'habitude, disons pour résumer, d'avoir vu ou revu, et de s'être approprié ces revisitations. Plus Lacaniennement on pourrait y voir une usure de l'oeil, de la pulsion scopique. Bref, si nous ne voyons plus la tour Effeil, le peintre hypper-réaliste nous la met en tableau, le tableau de l'objet dont nous pouvons croire, à force de voir, d'usure en usure, de, métonymies en métonymies, qu'il n'est pas un représentant du but de la pulsion. Mais Breton était sans doute un post-romantique. Il n'y a qu'a lire Nadja. Ce n'est pas parce qu'on fait du multimédia avant garde en insérant des photos en place et lieu de la description Balzacienne, que pour autant on s'affranchit de ce qui porte le message, l'histoire dont nous avons été tissés.

  Le pessimisme de Bing me parait plus intéressant. Non parce qu'il parait davantage fondé que parce que l'époque à fait un saut par rapport à ce qui précède. La question blanche introduite, soulève discrètement le question de la pérennité de l'art. Et bien sûr aussi, puisqu'on parle de per, de sa possibilité de péricliter, via les nouvelles technologies, qui apportent la dimension du leurre.

  Ceci posé, Emmanuel Bing ne semble pas se mettre à la place des enfants de l'informatique, qui ont toujours plus ou moins appris leur imaginaire (et pourquoi pas leur mathématique, sur Amstrad puis Nintendo). Dans son texte, il y est dit : "On continue de tripoter une souris ou demanipuler une souris". Le terme même : "on continue" est à pointer. Voudriez-vous que l'on procède autrement? Sans doute. mais ceci n'est alors que question de patience. Car les outils se forment, sont en train de se former. On peut raisonnablement supposer que dans un avenir proche, trente ans (c'est dérisoirement proche, c'est souvent la distance qui nous sépare de nos pères), dans trente ans donc, raisonnablement, nous pourrons y aller de la voix, plus de claviers, plus de souris. Vous parlerez. A vide. Mais même à vide, vous serez transcrit.

  Il est vrai que ces réflexions n'apportent aucune réponse à ce qui s'y trouve évoqué de la dimension du "leurre". Sans doute quelques uns connaissent ce système de pêche. En tous cas, bien avant le net, des tentatives eurent lieu pour tenter de créer des mondes virtuels et s'amuser de la confusion de nos sens une fois qu'on les soumet à différents types de leurres. Pour les parisiens, le musée Grévin en est une tentative. Outre ses statues de cire où vient très récemment de s'y incarner lara Croft, il propose comme attraction la salle des miroirs (peut-être qu'elle ne s'appelle pas comme ça, peu importe) où, grâce à un jeu de miroirs, on espère que le participant se trouvera transposé, impliqué, dans un autre monde. Il s'agit d'une entreprise virtuelle bien avant le net. (La prestidigitation et la magie pourraient être traitées de la même façon :dans les deux cas, pour le spectateur ou le participant l'expérience demeure virtuelle, ce qui change surtout c'est le dégré d'implication, l'adhésion, la croyance).

  Pour s'appuyer toujours de ce que dit le même envoi : " Quand au reste, le virtuel pris dans le sens d'imaginaire décalé et à distance, propre, inodore, sans risques, je ne vois pas que le résultat soit si différent de ce qu'est la cinéma", ajoute Emmanuel Bing.

  (On ne peut pas cependant passer sous silence la jouissance de milliers de cybers-équipés qui jouent dans les muds en payant de leur sommeil, les joueurs de casino virtuel qui paient CB leur droit à se ruiner par cette opération virtuelle à ce qui a toujours été leur passion, les amateurs de rencontres dénudées qui via les web-cam, se donnent dans l'interactivité à (se) voir plus que dans les play-boy de magazines sur support papier où les filles sont figées par le médium photographique. etc.). mais c'est de peu d'importance.

  Le problème, alors, comme d'une équivalence de la notion d'une égalité virtuel/réel, gagnerait à être appréhendée par la notion "d'immersion".
  Il semble qu'il existe un léger décalage entre cette positon post-romantique, post-Bretonnienne de voir un un film qui nous prend aux tripes, et le degré d'implication, qui va peut-être toucher du côté des fondements les plus vivement profonds de notre être, à savoir d'une notion d'implication, plus prévalante, me semble-t-il, sur le net.
  Par rapport au cinéma, l'internaute est précisément, en tous cas parfois, quand il le décide, arraché à sa position de spectateur simple. (dont Arthaud tenta le dessiègement dans ses écrits sur le théâtre).

  Ce désir de ne pas se cantonner à ne rester que seulement spectateur est bien l'idéologie dont ont témoigné quelques récents messages qui retraçaient une saga d'usenet.
  Or, Il me parait qu'on y va davantage de son "fond' sur le net qu'en assistant à un film qui nous fait revivre des "choses" par procuration - ou encore à l'Opéra où l'on va costume et vison ne pas mourir vraiment en fin de représentation. (J'ai dit "le fond" pour poser qu'éventuellement on y engage plus qu'un bout, nous autres hommes).

  Néanmoins, le degré "d'implication" ne me semble pas pouvoir être écarté dans une discussion virtuel/imaginaire/réel.

  Certes, nous n'avons pas encore les odeurs par le net. La technique est pauvre, et le fantasme est de la développer pour justement créer un monde parallèle virtuel, qui pourrait rivaliser avec celui que nous vivons.

  Plus aseptique? Je laisserais de coté cette hypothèse. On peut souffrir d'un discours mal entendu autant que des effets toxicogènes d'une bactérie. Passons donc.

  Et revenons-en à ce présupposé d'immersion et d'implication via le net.
  Seuls trois types d'expériences paraissent pouvoir ici rivaliser avec lui.
  - L'expérience du voyage physique, plus ou moins seul, malgré l'infrastructure, comme les traversées du désert au XIXème par certaines femmes, ou Armstrong sur la lune.
  - La drogue. Le L.S.D. la mescaline, le Peyotl, dont tous les usagers témoigneront, depuis Arthaud, qu'il ne s'agit plus là de cinéma. (d'une certaine façon on se transporte en même temps que la scène que l'on crée pour y agir - et l'on n'en ressort pas forcément indemne).
  - Mais puisque nous sommes dans la Lacan-list, j'ajouterais le rêve dont nous partageons tous l'expérience. Chaque soir en effet nous nous endormons. Nos rêves sont toujours virtuels. (Et peut-être même multimédias :-) Même dans le sens ancien, pré-informatique. Ils nous dévoileront ou non quelque chose du possible. Ils nous tiennent, plus que nous les tenons.

  Mais vous, analystes, en deçà des associations, commencez-vous à voir en ce proche an 2000, des contenus manifestes se référant à l'univers du net?

  Zapone.

  Emmanuel Bing a écrit : "
  Virtuel ; il semble que la vulgarisation de l'informatique ait déplacé le sens du mot. Virtuel, dans le sens de possible, se désaccorde vers le sens de "représentation réelle de chose imaginaire". Mais alors la peinture serait elle aussi virtuelle, dans certains cas même fortement précise (Dali), l'hyperréalisme participerait lui aussi de la virtualité. Le déplacement du sens est tel que le mot devient valise, fourre-tout, finalement ne veut plus rien dire, ne signifie plus rien, mais en revanche signale une pauvreté, un appauvrissement du sens, du désir. On "visite" des "mondes virtuels". En réalité l'on agit sur l'image et le son par l'intermédiaire d'interfaces plus ou moins pratiques et pas tellement virtuelles. On continue de tripoter un clavier et de manipuler une souris. Je ne vois pas qu'il puisse y avoir la moindre opposition, par exemple, entre virtuel et réel. Le virtuel est virtuel : il appartient à l'avenir possible, en cela seulement il est réel. L'imaginaire existe, je l'ai rencontré.
  Quant au reste, c'est à dire le virtuel pris dans le sens d'imaginaire décalé et à distance, propre, inodore, sans risques, je ne vois pas que le résultat soit si différent de ce qu'est le cinéma."



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