École Lacanienne de Psychanalyse

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Historique : 1995 - 2000



1995

L'absentéisme verbal de Louis Wolfson schizo


Gigantesque affirmation mystifiante, le texte de Louis Wolfson Le schizo et les langues dresse, page après page, un rempart contre toute transmission d'un sens compromettant. Ceux qu'on appelle des schizophrènes sont, pour reprendre l'expression proposée en 1975 par Lacan, des personnages finalement plutôt verbeux. Nous ne saurons pas ce qui anime Wolfson dans sa langue, ni même si sa langue est l'américain coloré d'accent yiddish. Les jeux verbaux de la schizographie depuis si longtemps connue des psychiatres sont la forme privilégiée de l'assertion schizophrénique, rien n'est donné à comprendre. Ce n'est pas pour autant que le sujet n'est pas très subtilement conscient de la situation qui est la sienne, mais grâce aux chatoiements du verbe, il coupe les ponts avec celui qui voudrait s'occuper de lui.

Il désarticule, déguise, ampute, dissocie, morcelle les termes dont il semble jouer. La schizophasie a ses lois, tout comme l'art de la fugue a les siennes. Les pivots sonores sont singularisés et remettent en cause tous les signifiés éventuels. Comme dans toutes les psychoses, le rapport à l'autre est profondément perturbé, et le traitement du message inversé en subit les conséquences. Nous reprendrons à notre compte la proposition de François Perrier, qui réfute qu'il y ait dans ce jeu avec le matériel verbal un rébus à déchiffrer, et considère qu'il s'agit d'une fugue inversée.

Autour du séminaire de Lacan de 1955 Structures freudiennes dans les psychoses, le débat sur la question de la forclusion en a atteint un autre, qui lui est lié : celui sur la dénégation. L'abord de la paranoïa a pu trop facilement se satisfaire de l'apparente simplicité de la définition de la forclusion, mais la schizophrénie n'a pu s'en accommoder comme seule référence, au point que la schizophrénie a disparu des échanges psychanalytiques lacaniens et qu'une suspicion est née sur son existence même : serait-elle autre chose qu'un fourre-tout nosographique américain ? Pourtant, ce que les psychiatres ont depuis le début du siècle repéré sous le nom de négativisme du schizophrène n'est pas l'effet d'un même traitement de la négation que celui que Freud a si magistralement décrit dans son article sur Schreber. Louis Wolfson schizo est dans une difficulté spécifique avec le jugement d'existence, il n'existe qu'en tant qu'il n'existe pas.

Dans cette difficulté à soutenir le jugement d'existence primordial qui instaure un dehors/dedans, une présence/absence, etc., le schizo rest en difficulté avec tout projet moïque. La défaillance de l'imaginaire entraîne un bouleversement de la fonction du moi, avec son cortège de manifestations : un corps en morceaux, une mère mécanique, mais surtout, une impossibilité d'être affecté en première personne. Pas d'insertion dans sa propre histoire, c'est bien en effet ce dont témoigne Wolfson, la dimension de l'historicité lui fait défaut. Le peu qu'il dit de ses hospitalisations semble bien rejoindre ce qu'on connaît de la pratique quotidienne en psychiatrie : la famille, les proches, viennent dire pour lui son passé et les événements de sa vie actuelle.

Dans quelle configuration particulière transfèrentielle se trouve alors l'analyste ? Comme dans toutes les psychoses, il n'st pas en place de semblant d?bjet a. Nous suivrons la proposition de François Perrier : le thérapeute n'est plus l'objet à l'accusatif mais la personne au génitif. Dans le cas de Renée dont parle Séchehaye, Renée ne mange pas des pommes, mais des pommes de maman. Pour Wolfson, dans Ma mère musicienne est morte..., n'est-il pas frappant de le voir, quinze ans après la période prostrée du Schizo et les langues, ne plus être enfermé chez lui , mais au contraire, courir dans New York d'un champ de course à l'autre, muni du cancer de maman ? Se tenir dans la position de la personne au génitif permet, au dire de Perrier, de faire renaître le sentiment de la réalité, qui n'est certes pas une aperception du réel, mais une ouverture sur le registre du vrai et du faux.

Différentes sessions :

Paris , 28 et 29 janvier 1995
L'ASSERTION SCHIZOPHRÉNIQUE
Anne-Marie Ringenbach, Dominique de Liège, Yan Pelissier, George-Henri Melenotte.
discutants : Mayette Viltard, Fran?ois Dachet.

Tours, 25 et 26 f?vrier 1995
UNE FUGUE INVERSÉE
Anne-Marie Vindras, François Dachet,
Roland Léthier, Michèle Duffau.
discutants : Monique Sauveur, Anne-Marie Ringenbach.

Strasbourg, 25 et 26 mars 1995
COMMENT NIER ?
Danielle Arnoux, Jean-Paul Abribat,
Françoise Jandrot-Louka, Christine Toutin-Thélier.
discutants : Christiane Dorner, Guy Le Gaufey, George-Henri Melenotte.

Bordeaux, 27 et 28 mai 1995
PAS D'HISTOIRE
Jean-Hervé Paquot, José Attal,
Christiane Dorner, Eliane Sokol.
discutants : Jean-Louis Sous, Jean-Paul Abribat, Janine Germond.

Paris, 17 et 18 juin 1995
LES OBJETS DU PSYCHANALYSTE
Catherine Webern, Guy Le Gaufey,
Mayette Viltard, Marie-Magdeleine Chatel.
discutants : José Attal, Yan Pelissier.

Textes de Louis Wolfson :
Le schizo et les langues, ed. Gallimard, 1970
Ma mère musicienne est morte... , ed Navarin, 1984
Point final à une planète infernale, (manuscrit non publié)
Quelques extraits sont sortis dans la revue Change N?32/33, 1977, dirigée par Pierre Jacerme, dans le numéro intitulé : "La folie encerclée" , sous le titre : La bombe et l'épileptique sensoriels le schizophrène et les langues étrangères ou Point final à une planète infernale.
-Trois ( ?) lettres à Pierre Jacerme (sans date, inédites) .
Quelques écrits à propos des textes de Wolfson:
Le sens perdu (ou le "schizo et la signification"), Piera Castoriadis-Aulagnier, Topique N°7-8, 1972
Le sentiment de la langue (I), Judith Milner, Change N?29
Frontières de langue : de quoi rient les locuteurs ? (II) , Judith Milner, Change N?32/33 (1977)
"Le schizolexe", Alain Rey, Critique, septembre 1970
"La double version", Pierre Jancelme, Change N?32/33, 1977
"Les opérations transformationnelles de Louis Wolfson", Françoise Davoine; Montréal, (Psychanalyse et Traduction, Presses de l'université de Montréal, Août 1978
"Pour une lecture de Wolfson", A. Fontaine, Littoral, N?23_24, 1987
"Louis Wolfson : un psychotique en quête d'auteur", M. Walter et P. Dejean, Nervure, T. VII, le cabinet de lecture N
"L'implantation du signifiant dans le corps", A. Fontaine, L'unebévue , automne-hiver 1993
"Un lettrage des ?crits de Wolfson", Yan Pelissier, Cahiers de lectures freudiennes N?3, Lysimaque, février 1993
Critique et clinique, Gilles Deleuze, ed. Minuit, 1993
7 propos sur le 7ème ange, Michel Foucault, Fontfroide-le-Haut, fata morgana, 1986

Quelques textes sur la schizophrénie
La psychologie du moi et les psychoses, Paul Federn, Puf, 1979
La machine à influencer, Victor Tausk
Dementia praecox ou groupe des schizophréniesEugen Bleuler, epel/grec, 1993
Écrits inspirés et langue fondamentale, Dossier de Béatrice Hérouard, L'unebévue, suppl.N?
La Chaussée d'Antin, François Perrier
"A la recherche des principes d'une psychothérapie des psychoses", Serge Leclaire, L'évolution psychiatrique, 1958
La folie Wittgenstein, Françoise Davoine, Epel,1992

Freud :
Schreber
Pour introduire le narcissisme
L'inconscient
La dénégation
Lacan :
Structures freudiennes dans les psychoses
Introduction au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud
Commentaire
Réponse au commentaire, Ecrits, Seuil, 1966.
Le sinthome
Conférence de Genève sur le symptôme
Le Bloc-Notes de la psychanalyse, 1976




1998
Raymond Roussel ce pauvre petit malade


"Ce pauvre petit malade" ? la phrase de Janet à propos de Roussel est devenue célèbre. Il serait trop facile d'y voir un point de vue propre à Janet. Il ne faisait que rester conforme à toute l'élaboration de la psychiatrie du XIXe siècle à l'égard de la création artistique dès l'instant où elle s'accompagnait de troubles.

Mais de qui nous parle Janet ? Du cas Martial. Qui est Martial ? Le héros littéraire de Roussel. Pour Janet comme pour tous les lecteurs et voisins de Roussel, le piège Roussel fonctionne, le piège à origine.

Cette œuvre inclassable où hasard et procédé butent l'un sur l'autre est un appel, voire une convocation au rassemblement. Roussel nous casse, nous défait, nous explose. Appel au sens unifié, entrée en guerre contre la dispersion. Le psychiatre cherche la maladie, le critique, la pensée de l'auteur, et la mécanique démarre. L'exégèse se déclenche à tous coups, seulement, c'est l'opération même rendue impossble par Roussel. Recherche d'une clé unique, des intentions signifiantes originaires, du non-dit, de l'expérience première, qu'y avait-il avant, à l'origine, quel sens caché ? Echec des phénoménologues. Le chat dans le baquet continue de frôler la tête coupée de Danton jusqu'à ce que les lèvres frémissent en produisant des bruits qui semblent bien être des discours de l'orateur, les fusées font du point avant, du surjet, du point de chausson, et on cherche, on cherche... une structure, un inconscient. Quel excès, quel excès !

Excès encore, un tel manque de talent, ces longs poèmes si démesurément ennuyeux, cet effet de platitude infinie, serait-ce de la poésie ? Pas une aspérité, un éclat, une lueur, qui laisserait supposer que par là, en arrière sûrement, il y aurait une lumière. Mais rien, on se cogne au texte comme les spectateurs devaient se heurter aux rails en mou de veau des machines théâtrales rousseliennes et les huaient.

Et que penser de cette vie hors du commun que nous fait partager François Caradec dans la biographie, les quatre repas pris à la file, invariablement de 12h 30 à 17h 30, les voyages enferm? dans son yacht de la route? son immense fortune évaporée, ses excè!s excentriques si conformes à son oeuvre, son homosexualité, son suicide ? Faut-il y chercher une secrète cohérence ? Que penser de cette oeuvre qui s'entasse dans des caisses, accumulation d'archives entre-ouvertes aujourd'hui seulement ?

Alors et les psychanalystes ? Disent-ils quelque chose ? propos de cette oeuvre, cette vie insensée, ou sombrent-t-ils eux aussi sans avoir l'air d'y toucher, dans les glauques labyrinthes du génie malade ?

Peut-être véritablement Roussel avait-il inventé une nouvelle perversion ? On vous le dit, Roussel, il ne faisait que ça, unebévue après unebévue, il avait réussi son coup, A en mourir, il n'avait pas un brin d'nconscient. Enfin, allez-y voir...


Différentes sessions :

Paris, 20 et 21 juin 1998
BIEN AVANT LA LANGUE, ON PARLAIT
Intervenants : Yan Pelissier, Catherine Webern, Anne-Marie Vanhove, Mayette Viltard
Discutants : Ninette Succab, François Dachet

Toulouse, 11 et 12 octobre 1998
UN EFFET DE PLATITUDE
Intervenants : Claude Mercier, François Dachet, Françoise Jandrot, Xavier Leconte
Discutants : Christine Toutin-Th?lier, Jean-Hervé Paquot

Tours
UNE CONFUSION ORDONNÉE
Intervenants : Luc Parisel, Jean-Paul Abribat, Anne-Marie Vindras, Janine Germond
Discutants : Lucienne Chautru, Martine Gauthron.

Paris , 12 et 13 décembre 1998
F? ET MIS? DU SIGNIFIANT : NOTRE FOLIE ROUSSEL
Intervenants : José Attal, Marie-Magdeleine Lessana,
Michèle Duffau, Anne-Marie Ringenbach
Discutants : Yan Pelissier, Catherine Webern

Bibliographie
Raymond Roussel, Locus solus, coll. L'imaginaire, Gallimard
et sa biographie : François Caradec, Raymond Roussel, Fayard

Par ailleurs, deux ouvrages seront un peu le fil à plomb des sessions :
Michel Foucault, <>I> Raymond Roussel, folio essais
Frédéric Gros, Création et folie, une histoire du jugement psychiatrique, Perspectives critiques, PUF



1999

George Bataille la fuite de l'être


D'Histoire de l'œil, le premier livre publié par Georges Bataille aux Larmes d'éros, sa dernière publication, il y a une constante tout du long : l'œil, petit globe de nuit d'une étrange lumière jaillit, désignant le vide d'où elle vient et y adressant fatalement tout ce qu'elle éclaire et touche, écrit à son propos Michel Foucault. Un œil bien malmené par l'édition de l'œuvre de Georges Bataille, puisqu'on a cru possible de désolidariser le texte de sa base iconographique. Son biographe officiel ne s'en émeut pas plus que ça puisqu'il prend les Larmes d'éros, objet de tant de soins de la part de Bataille, pour un texte sans grand intérêt témoignant de la fatigue extrême de l'auteur ! C'est que l'œil, petit globe blanc refermé sur sa nuit dessine le cercle d'une limite que seule franchit l'irruption du regard, écrit encore Foucault. Et chez Bataille, cet œil retourné, révulsé, arraché, énucléé, toujours présent dans ses écrits "qui passent pour des romans érotiques" dit Lacan à son séminaire L'objet de la psychanalyse, est une figure de l'être, et Lacan ajoute : "L'histoire de l'œil est riche de toute une trame bien faite pour nous rappeler, si l'on peut dire, l'emboîtement, l'équivalence, la connexion entre eux de tous les objets a et leur rapport central avec l'organe sexuel", pour rappeler enfin qu'Œdipe, devant la révélation, "sur l'écran crevé de ce qu'il y a derrière, et avec ses yeux par terre, Œdipe s'arrachant les yeux nous révèle le drame générateur de la fondation de la loi". "Arraché au lieu de son regard, retourné vers son orbite l'œil n'épanche plus maintenant sa lumière que vers la caverne de l?s?Foucault).

Comme le remarque Michel Leiris, Bataille prenait l'analyse des formes ou l'analyse iconographique comme point de départ de la plupart de ses articles. En créant la revue Documents, en 1929, Bataille amorçait une rupture choquante avec les usages : music hall afro-américain, jazz, cinéma, stars, vedette de la chanson, imagerie populaire style Fantomas, monuments anachroniques des jardins, livres enfantins, masques de Mardi gras, cette revue tournait "l'une de ses faces vers les hautes sphères de la culture (dont Bataille était bon gré mal gré un ressortissant par son métier comme par sa formation) et l'autre vers une zone sauvage où l'on s'aventure sans carte géographique ni passeport d'aucune espèce", écrit Leiris. C'est que les formes hirsutes, figurations celtiques du cheval, etc. représentent une réponse de la nuit humaine, burlesque et affreuse, aux platitudes et aux arrogances des idéalistes. Et cette passion anti-idéaliste court dans tous les écrits de Bataille. Il place le lecteur dans l'obligation de ne pas se détourner de tout ce qui vient choquer son aspiration vers l'idéal. Dans Le bas matérialisme et la gnose, les divinités monstrueuses qui sont représentées sur ces pierres ?un acéphale entre autres, motif auquel il accordera plus tard une haute importance emblématique sont "la figuration de formes dans lesquelles il est possible de voir l'image de cette matière basse, qui seule par son incongruité et par un manque d'égard bouleversant, permet à l'intelligence d'échapper à la contrainte de l'idéalisme", écrit toujours Leiris.

La monstruosité est dans toute forme visible, et la mouche sur le nez de l'orateur, qui pour Hegel, serait une apparition fortuite devant simplement être rapportée aux imperfections de la nature est au contraire pour Bataille aussi choquante que l'apparition d'un fantasme I900 dans la continuité de l'univers scientifique ou que celle du moi dans toute métaphysique,écrit Raymond Queneau. La matière basse refuse de se laisser réduire.

Laissons à Pierre Klossowski le dernier mot. Bataille, nous dit-il, ne s'attribue ni ne peut s'attribuer jamais un énoncé (d'expérience) assez défini qu'il ne se réfère aussitôt à l'angoisse, à la gaieté, à la désinvolture : puis il rit et il écrit qu'il meurt de rire ou qu'il rit aux larmes , état dans lequel l'expérience supprime le sujet. Ce qui lui importe c'est cette modalité d'absence. Le langage manque parce que le langage est fait de propositions qui font intervenir des identités. A quoi répond un langage dont les propositions cesseraient de faire intervenir des identités ? Les contenus d'expérience que Bataille énonce comme autant de moments souverains : l'extase, l'angoisse, le rire, l'effusion érotique et sacrificielle, illustrent cette révolte qui n'est ici qu'un appel à l'autorité silencieuse du pathos sans but ni sens, en tant qu'appréhension immédiate de la fuite de l'être, et dont la discontinuité exerce une incessante intimidation du langage.


Quelques livres
Devant l'immense bibliographie de Georges Bataille, nous pourrions dire : Lire Bataille ! De fait, nous proposons quelques textes précis permettant peut-être plus clairement que d'autres de saisir le rapport essentiel du texte et de l'image dans l'œuvre de Bataille, et de l?, le rapport essentiel de lérotisme et de la mort.

G. Bataille, Histoire de l'œil, collection L?maginaire, Gallimard, 1993.
G. Bataille, Les larmes déros, Nouvelle édition augmentée, Ed. Pauvert, reprint, 1981, 250 pages.
Revue Documents 1, 1929 & Documents 2, 1930, Revue littéraire d'avant-garde, reprint Ed. Jean Michel Place, Paris, 1991.
Carl Einstein, Ethnologie de l'art moderne, Ed. André Dimanche, Marseille, 1993.
Revue Critique, Hommage à Georges Bataille, 1963.
Introuvables ou presque
G. Bataille, Lascaux ou la naissance de l'art, Coll. Les grands siècles de la peinture, Ed. Skira, Genève, 1951,.
G. Bataille, La haine de la poésie, Les éditions de Minuit, Paris, 1947.
Michel Leiris, Miroir de la tauromachie, Illustration Masson. oct.nov. 1937, réédition Ed. Fata Morgana, 1981.
Œuvres complètes, utiles pour les notes et annexes qui permettent de saisir les montages produits par Bataille pour chaque texte, écrit, publié, parlé, rajouté, retranché, dispersé, accumulé, etc. On trouvera en particulier dans le Tome I : Histoire de l'œil, le tome VIII : Histoire de l'érotisme, livre posthume, version 1951? re-rédigée en 1953-54, le Tome IX : Lascaux ou la naissance de l'art, le Tome X : L'érotisme, 1957.



2000


Jean Genet des mots trop beaux


Jean Genet serait-il , dans sa vie et son œuvre, un théoricien ? Un théoricien de quelle théorie ? Une théorie de quoi ? Avec nos mots de psychanalystes, sans doute faut-il répondre : un théoricien de la déclaration de sexe ?

Au lecteur qui ne se résoud pas à abandonner l'idée répandue de l'existence de deux sexes, Genet se prête, il se prête à son erreur. Il s'y prête même à fond, si on veut du foin, qu'on en mange ! Mais tellement de foin, servi dans un tel plat d'artifice, avec une telle cérémonie, que les mots, tellement trop beaux, vont s'insinuer jusqu'en ces régions inexplorées où les idées trébuchent. Homme ou femme ? Décidez-vous.

Trop de grammaire pour une déclaration de sexe . Enfin, si un pédé, c'était comme cela, un être aussi léger, aussi fragile, aussi aérien, aussi transparent, aussi doux, aussi délicat, aussi brisé, aussi clair, aussi bavard, aussi mélodieux, aussi tendre, on pouvait le tuer, étant fait pour être tué comme un cristal de Venise n'attend que la main large du guerrier qui l'écrasera sans même se couper (sauf peut-être la coupure insidieuse, hypocrite, d'une aiguille de verre, aigue, brillante, et qui restera dans la chair). Si c'est cela un pédé, ce n'est pas un homme. Ça ne pèse pas lourd. C'est un petit chat, un bouvreuil, un faon, un orvet, une libellule dont la fragilité même est provocatrice et précisément exagérée afin qu'elle attire inévitablement la mort. En plus, Ça s'appelle Joachim.

Entraînés dans la région la plus asociale de notre âme, nous ne distinguons plus ce qui faisait nos certitudes. On croyait déméler les morts des vivants, mais toutes étaient mortes. Ce que nous voyions se promener dans la rue, étaient des ombres retranchées du monde. Les Tapettes sont un peuple pâle et bariolé qui végète dans la conscience des braves gens. Jamais elles n'auront droit au grand jour, au véritable soleil.

Mènerais-je une existence de vrai mort ? Ou de vraie morte ? Qu'est-ce qui parle au féminin ? Car Genet l'affirme, le féminin c'est ce qui rend sensible à la matière la plus dure et en même temps la plus délicate : les cors et les corps d'assassins. Le féminin, c'est-à-dire ce qui est un genre en grammaire ? pour ce qu'il en serait d'un genre des corps, on ne sait pas, ça laisse à désirer comme on dit en français.

Croirait-on trouver l'équilibre sur le socle ferme des couples d'oppositions, (les inversés ?) bourreau/assassin, mort/vivant, homme/femme, actif/passif, qu'on est vite renvoyé dans les limbes, là où on s'invertit. Querelle de Brest est écrit pour les invertis, alors à le lire, ça m'invertit. Car l?nversion , me dit Genet, est un mouvement int?rieur tr?s singulier, par lequel le cadavre de moi-m?me me contemple

Différentes sessions :

Paris, 24 et 25 juin 2000
UN ?E AUSSI AÉRIEN
Intervenants : Françoise Jandrot, Marie-Magdeleine Lessana,
Mayette Viltard, Anne-Marie Vindras ,
Discutants : Jean-Hervé Paquot, Ninette Succab

Toulouse, 7 et 8 octobre 2000
FOLIE MORALE ET MORALE FOLLE
Intervenants : Jean-Paul Abribat, Luc Parisel
Colette Piquet, Anne-Marie Ringenbach,
Discutants : Roland Léthier,


Tours, 18 et 19 novembre 2000
UNE CELLULE DOUCE
Intervenants : José Attal, Martine Gauthron
Xavier Leconte, Anne-Marie Vanhove
Discutants : Christine Toutin-Thélier, Roland Léthier

Paris , 16 et 17 d?cembre 2000
S'INVERTIR
Intervenants : François Dachet, Michèle Duffau,
Claude Mercier,Yan Pelissier
Discutants : Lucienne Chautru, Roland Léthier

Bibliographie

De nombreux textes inédits sont maintenant à l'IMEC et en train d'être accessibles

Parmi les ouvrages trouvables actuellement, il y a naturellement les Œuvres Complètes,
Œuvres complètes, NRF, Gallimard, 1979, cinq tomes
Tome I : Jean-Paul Sartre : Saint Genet, comédien et martyr.(plus ou moins trouvable)
Tome II : Notre-Dame-des-Fleurs Le condamné à mort Miracle de la rose Un chant d'amour.
Tome III : Pompes funèbres Le Pécheur du Suquet Querelle de Brest.
Tome IV : L'étrange Mot Ce qui est resté d'un Rembrandt déchiré en petits carrés... Le Balcon Les Bonnes Haute surveillance Lettres à Roger Blin Comment jouer " Les Bonnes " Comment jouer " Le Balcon ".
Tome V : Le Funambule Le Secret de Rembrandt L'atelier d'Alberto Giacometti Les Nègres Les Paravents L'enfant criminel.
Le journal d'un voleur
Le captif amoureux.
Fragments
L'arbalète

On trouve facilement les nombreuses petites rééditions, très bien dans leur présentation
Les poèmes, Le balcon, Le bagne, Les nègres, Splendid, etc.
Également : L'atelier de Giacometti,
et chez Adam Biro éditions : Giacometti portrait de Jean Genet Le scribe captif,
de Thierry Dufrène,
Quelques suggestions parmi des milliers :
Arnaud Malgorn, Jean Genet, Qui êtes-vous?, La Manufacture, deuxième édition, 1996.
Edmund White, Jean Genet, Biographies NRF Gallimard, 1993.
François Sentein, L'assassin et son bourreau, La Différence
Revue Europe août-septembre 96
Un chant d'amour, le cinéma de Genet. collectif, ed. Macula
On disposera également, pendant les sessions, de photocopies de quelques premières éditions, ou des éditions successives, permettant de lire les remaniements permanents que Genet faisait subir à ses textes

Le site Jean Genet sur Internet est intéressant. Filmographie et interview.




2001

Les bestioles d'âme d'Aby Warburg


Aby Warburg a fait école, et comme tous les fondateurs, il n'est jamais si bien trahi que par les siens. Il passe donc pour le fondateur d'une nouvelle histoire de l'art, une histoire iconologique. Enseveli sous les 65000 volumes de sa bibliothèque et ses trésors d'images, Warburg sommeille. Il n'est pas encore traduit en France, ou si peu, Les essais florentins. Une chance. Sans aucun doute, Georges Didi-Huberman et Philippe-Alain Michaud l'ont réveillé. Va-t-il se mettre en mouvement ? Va-t-il se fossiliser ?

Nous irons cette année à la rencontre d'Aby-le-psychologue. Oui, Aby est un grand, très grand psychologue. Aby est de son époque, celle des Fechner, des Freud, des Brentano, et les planches iconographiques de son Atlas Mnemosyne sont des feuillets riemanniens plutot que des expositions. Malheureusement, la plupart des textes disponibles font l'impasse sur les petites notes et textes dont Warburg émaille sa vie, et qui contiennent les bases de sa réflexion. Ses bestioles d'âme Seelentierschen sont des bestioles psychiques et la vie-mouvement bewegtes Leben se trouve à l'endroit de la métamorphose, entre excitation et sensation.

On voit très bien dans Gombrich, son biographe, comment la traduction déracine la pensée allemande de Warburg, la coupe de ses références de psychologie (pragmatique, empirique, scientifique, expérimentale, laissons ouvertes les hypothèses), pour la transporter dans un certain univers anglais du mental, c'est Brentano transformé en Stuart Mill, Fechner transformé en Darwin, Freud en Frazer.

Car Aby a suivi, dans sa jeunesse, des cours d'histoire de l'art, certes, mais aussi des cours de philosophie, des études complètes, semble-t-il, de psychologie, un début d'études de mèdecine, des séminaires sur la théorie des probabilités et sur les fondements logiques de la théorie des jeux. Et lorsqu'il écrit : «En outre, j'étais sincèrement dégoôté de l'histoire de l'art esthétisante. Il me semblait que la contemplation formelle de l'image, qui ne la considère pas comme un produit biologiquement nécessaire entre la religion et la pratique de l'art (ce que je ne compris que plus tard) donnait lieu à des bavardages si stériles qu'après mon voyage à Berlin en été 1896, je cherchai à me reconvertir dans la médecine ? c'est le mot «biologiquement» qu'il faut retenir. Il n'est pas darwinien, il n'est pas associationniste, il n'est pas jungien, ce qui le guide, ce n'est pas d'identifier des contenus picturaux, mais de s'attacher aux images et leur aura émotionnelle IMMÉDIATE. Warburg va même resserrer toute sa thèse à la seule exhibition des images de son Atlas Mnémosyne, par référence à l'immédiateté de leur efficacité dans la conscience.

Cassirer fait fausse route en interprétant le projet de Warburg comme recherche concernant la permanence des formes. Warburg le dit lui-même, ce qu'il cherche à résoudre, c'est le problème de la mémoire comme matière organisée, problème qui doit trouver sa réponse par sa bibliothèque dont la finalité est d'être une collection de documents sur la psychologie des modes d'expression humaine. Papillons ou serpents, les livres et documents s'organisent selon la loi du bon voisin, chacun entraînant l'autre dans la danse.

Or, lorsque l'homme prend un outil, nous dit Warburg, il perd son sentiment organique du moi car il manie cet objet qui s'étend au-delà de sa limite organique. Par cet outil, il subit une extension tragique qui ne correspond pas à son être. Il y alors une Einfühlung avec la nature inanimée, il est uni à quelque chose qui ne coule pas dans ses veines, il est le tragique du costume, cet objet inanimé étranger auquel on est «uni». Toute sa vie, Warburg ne dément pas son souci de l'habit, cela va de son intérêt pour les Intermezzi de la Renaissance italienne, jusqu'aux tableaux vivants qu'il semble affectionner, à ses instructions précises données à son bottier ou son tailleur, et bien sûr, aux katcinas hopis. Et comme il le raconte si bien, sa perte du sentiment organique du moi, il l'éprouvait depuis sa jeunesse. Ceci le conduisit aussi bien chez les Indiens pueblos que dans la clinique psychiatrique de Binswanger. Sa thèse est solide : ce qui caractérise, dit-il, la pensée mythique, c'est qu'une excitation visuelle ou acoustique place dans la conscience, à la place de sa cause réelle, une cause biomorphe, dont les dimensions matérielles saisissables permettent une défense dans l'imaginaire. Quand une porte grince dans un courant d'air, cette excitation provoque chez le sauvage ou chez l'enfant un sentiment d'angoisse : c'est le chien qui gronde. Mais devant ce chien dans sa conscience, il peut élaborer sa défense. En perdant sa possibilité de produire une union «métamorphique» avec ses bestioles, bien que parlant des nuits entières avec les phalènes voletant dans sa chambre, Aby était sans défense, livré au monde-chaos et voulait abattre sa famille pour la protéger du fascisme, spartakiste en l'occurrence.

Et c'est par la séparation de la naissance, par la coupure du cordon, que l'homme se trouve livré au chaos, sans aide, hilflösigkeit. Il a recours, pour sa défense, à un état qui est «entre préhension et compréhension, entre change tropique et métaphore», un état mental entre l'image et son fonctionnement immédiat, direct, dans la conscience : c'est la une métamorphose, nous dit Warburg. Jusqu'à quel point est-elle consciente ? «Nous ne vivons rien d'autre que la métamorphose», dit-il. La métamorphose vient traiter la question de la cause. Comment ? L'espace de pensée abstrait entre le sujet et l'objet est fondé sur l'expérience vécue de la coupure du lien ombilical. La catégorie primitive de la forme de pensée causale est l'enfantement. Cet enfantement montre que l'énigme de l'enchaînement, constatable matériellement puisque l'enfant est attaché à la mère, est liée à la catastrophe inconcevable qu'est la séparation de l'une des deux créatures d'avec l'autre. La métamorphose met en jeu l'incorporation, ( du sujet dans l'objet ou de l'objet dans le sujet, communion ou sacrifice), acte logique par lequel, dans une phrase, nous dit Warburg, par la syntaxe, le sujet et l'objet peuvent s'amalgamer en cas de perte de la copule, ou par le son, se détruire mutuellement si l'accent change de place (Warburg se définissait d'ailleurs lui-même comme un petit bonhomme qui racontait des histoires en dialecte). La forme la plus voyante de cette métamorphose apparaît justement dans la danse du serpent des Indiens pueblos. Le serpent est un élément primitif très fort car il est à la fois comparaison et refoulement, mort et vie, visible et invisible, se métamorphosant en lui-même, en muant à l'identique, il est l'ambivalence même. Le serpent redouté cesse d'être effrayant quand on s?'unit «métamorphiquement» à lui. La cause vient alors se loger dans le devenir. C'est la grande conquète scientifique des «sauvages» , elle vient se placer «entre» l'énimal et l'homme.