J.LACAN
gaogoa
XXIV -L’insu que sait
de l’une-bévue s’aile a mourre
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familiale (accueil provisoire) note
14 Décembre 1976
Je vous ai parlé la dernière fois du tore. Il en résulte qu’aucun résultat
de la science n’est un progrès. Contrairement à ce qu’on imagine, la
science tourne en rond, et nous n’avons pas de raison de pensez que les gens
du silex taillé avaient moins de science que nous.
La
psychanalyse notamment n’est pas un progrès. C’est un biais pratique pour
mieux se sentir. Ce mieux se sentir n’exclut pas l’abrutissement, tout
l’indique – avec l’indice de soupçon que j’ai fait peser sur le tout.
En fait, il n’y a de tout que criblé, et pièce à pièce. La seule chose qui
compte, c’est si une pièce a ou non valeur d’échange. La seule définition
du tout, c’est qu’une pièce vaut dans toute circonstance, ce qui ne veut
dire que circonstance qualifiée comme toute pour valoir, soit homogénéité de
valeur. Le tout n’est qu’une notion de valeur, le tout est ce qui vaut dans
son genre, ce qui dans son genre vaut un autre, la même espèce d’unité.
Nous
avançons là tout doucement vers la contradiction de ce que j’ai appelé l’une-bévue.
L’une-bévue
est ce qui s’échange malgré que ça ne vaille pas l’unité en question.
L’une-bévue est un tout faux. Son type, si je puis dire, c’est le
signifiant. Le signifiant-type, c’est-à-dire exemple, c’est le même
et l’autre. Il n’y a pas de signifiant plus type que ces deux énoncés. Une
autre unité est semblable à l’autre. Tout ce qui soutient la différence du
même et de l’autre, c’est que le même soit le même matériellement. La
notion de matière est fondamentale en ceci qu’elle fonde le même. Tout ce
qui n’est pas fondé sur la matière est une escroquerie - Matériel-ne-ment.
Le
matériel se présente à nous comme corps-sistant, je veux dire sous la
subsistance du corps, c’est-à-dire de ce qui est consistant, ce qui tient
ensemble à la façon de ce qu’on peut appeler un con, autrement dit une unité.
Rien de plus unique qu’un signifiant, mais en ce sens limité qu’il n’est
que semblable à une autre émission de signifiant. Il retourne à la valeur, à
l’échange Il signifie le tout, ce qui veut dire - il est le signe du tout,
soit le signifié, lequel ouvre la possibilité de l’échange. Je souligne à
cette occasion ce que j’ai dit du possible – il y aura toujours un temps où
il cessera de s’écrire, ou le signifié ne tiendra plus comme fondant la même
valeur, l’échange matériel. L’introduction du mensonge, c’est
lorsqu’il y a échange, mais non matérialité même.
Qu’est-ce
que l’autre comme tel ? C’est cette matérialité que je disais même à
l’instant, c’est-à-dire que j’épinglais du signe singeant l’autre. Il
n’y a qu’une série d’autres, tous les mêmes en tant qu’unités, entre
lesquels une-bévue est toujours possible, c’est-à-dire qu’elle ne se
perpétuera pas, et cessera comme bévue.
Tout
ça, c’est des vérités premières.
L’homme
pense. Ça ne veut pas dire qu’il ne soit fait que pour ça. Mais il est
manifeste qu’il ne fait que ça de valable. Valable veut dire, – ce
n’est pas une échelle de valeurs, laquelle tourne en rond - que ça entraîne
la soumission de la valeur d’usage à la valeur d’échange.
Il
est patent que la notion de valeur est inhérente au système du tore, et que la
notion d’une-bévue dans mon titre de cette année veut dire seulement qu’on
pourrait également dire le contraire.
L’homme
sait plus qu’il ne croit savoir. Mais la substance de ce savoir, la matérialité
qui est dessous, n’est rien d’autre que le signifiant en tant qu’il a des
effets de signification. L’homme parle-être, comme j’ai dit, ce qui ne veut
rien dire d’autre qu’il parle signifiant, avec quoi la notion d’être se
confond. Cela est réel.
Réel
ou vrai ? Tout se passe, à ce niveau tentatif, comme si les deux mots étaient
synonymes. L’affreux, c’est qu’ils ne le sont pas partout. Le vrai,
c’est ce qu’on croit tel. La foi, et même la foi religieuse, voilà le
vrai, qui n’a rien à faire avec le réel.
La
psychanalyse, il faut bien le dire, tourne dans le même rond - c’est la forme
moderne de la foi, de la foi religieuse. A la dérive, voilà où est le
vrai quand il s’agit de
réel, parce que manifestement -depuis le temps on le saurait, si ce n’était
pas si manifeste - il n’y a pas de connaissance, il n’y a que du savoir au
sens que j’ai dit d’abord, à savoir qu’on se goure. Une bévue, c’est
ce dont il s’agit. Tournage en rond de la philosophie – il s’agit de
substituer un autre sens au terme de système du monde, qu’il faut bien
conserver quoique de ce monde on ne peut rien dire de l’homme, sinon qu’il
en est chu. Nous allons voir comment – ça a beaucoup de rapport avec le trou
central du tore.
Il
n’y a pas de progrès. L’homme tourne en rond si ce que je dis de sa
structure est vrai, à savoir que la structure de l’homme est torique. Non
pas du tout que j’affirme qu’elle soit telle - je dis qu’on peut essayer
de voir où en est l’affaire, ce d’autant plus que nous y incite la
topologie générale. Le système du monde jusqu’ici a toujours été
sphéroïdal. On pourrait peut-être changer.
Le
monde s’est toujours peint jusqu’à présent, pour ce qu’ont énoncé les
hommes, à l’intérieur d’une bulle. Le vivant se considère lui-même comme
une boule, mais avec le temps il s’est quand même aperçu qu’il n’était
pas une boule, mais une bulle. Pourquoi ne pas s’apercevoir que ce
qu’on voit du corps vivant est organisé comme ce que l’autre jour j’ai
appelé trique, et qui n’est rien d’autre qu’un tore (figure
1). C’est à ça qu’aboutit ce que nous connaissons du corps comme
consistant - on appel- le ça ecto, ça endo, et autour il y a le méso. Ici la
bouche, ici la bouche postérieure.
Nous
sommes toriques, ou, avec élision de l’o, triques. Cela nous amène à
considérer que l’hystérique, dont chacun sait qu’il est aussi bien mâle
que femelle, l’hystorique, si je puis me permettre ce glissement, n’a
en somme pour la faire consister qu’un inconscient C’est la radicalement
autre, elle n’est même qu’en tant qu’autre. Je la féminise pour
l’occasion, mais comme vous allez voir que je vais mettre mon poids de
l’autre coté.
Car
c’est mon cas. Moi aussi, je n’ai qu’un inconscient. C’est même pour ça
que j’y pense tout le temps. C’en est au point que je pense l’univers
torique, ça ne veut rien dire d’autre. Je ne consiste qu’en un inconscient
auquel je pense nuit et jour, ce qui fait que l’une-bévue devient inexacte
– je fais tellement peu de bévues ! Bien sûr, j’en fais de temps en temps,
il m’arrive de dire dans un restaurant - Mademoiselle en est réduit à
ne manger que des écrevisses à la nage, Tant que nous en sommes à faire une
erreur de ce genre, ça ne va pas loin. En fin de compte, je suis un hystérique
parfait, c’est-à-dire sans symptômes, sauf de temps en temps cette erreur de
genre.
Il
y a tout de même quelque chose qui distingue l’hystérique de moi. Je vais
essayer de vous le présenter grâce à la trique que j’ai introduite la dernière
fois. Si, prenant deux tores qui font chaîne,
vous faites une coupure ici (figure 2),
vous obtenez la trique, sauf que ceci est maintenant à l’intérieur.
La
différence entre l’hystérique et moi - qui, en somme, à force d’avoir un
inconscient, l’unifie avec mon conscient – est que l’hystérique est
soutenue dans sa forme de trique par une
armature, distincte de son conscient, et qui est son amour pour son père-(figure
3), Tout ce que nous connaissons de cas énoncés par Freud concernant
l’hystérie, qu’il s’agisse d’Anne O, d’Emmy
von
N., d’Emmy von R., le confirme. La monture est la chaîne, la chaîne des générations.
Ca
ne veut pas dire qu’on puisse schématiser le retournement d’un tore autour
d’un autre par une trique. Il y a peut-être quelque chose qui fait obstacle.
La chaîne inconsciente s’arréte-t- elle au rapport des parents ? Est-il, oui
ou non, fondé, ce rapport de l’enfant aux parents ?
Si je pose la
question de ce que c’est qu’un trou, il faut me faire confiance- ça a un
certain rapport avec la question. D’intuition, le trou est un trou dans la
surface. Mais une surface a un
endroit et un envers, ce qui signifie qu’un trou, c’est le trou de
l’endroit plus le trou de l’envers. Or, il existe la bande de Moebius,
qui a pour propriété de conjoindre l’endroit avec l’envers
(figure
4). Est-ce à dire qu’une bande de Moebius est un trou ? Elle en a bien
l’air. Ici, il y a un trou. Mais est-ce un vrai trou ?
Ce
n’est pas clair du tout, pour la simple raison qu’une bande de Moebius
n’est rien d’autre qu’une coupure. Si nous la coupons en deux, l’endroit
et l’envers redeviennent normaux. A partir du moment où il y a deux
tours, il y a un endroit distinct de l’envers. Une bande de Moebius est
capable de se dédoubler, de la façon suivante (figure
5) et c’est en quoi elle se montre compatible avec un tore.
Le
tore, de son coté, est capable d’être découpé selon une bande de Moebius
double Et c’est ce qui nous donne l’image du lien du conscient à
l’inconscient.
Le
conscient et l’inconscient sont supportés et communiquent par un bande
torique. Freud s’est acharné autour de ça, mais il n’a pas dit le dernier
mot. Il n’a nommément jamais énoncé ceci, que le monde est torique. Il
croyait qu’il y avait une vigilance qui reflétait point par point le cosmos,
et qu’il appelait la psyché. Il en était à ce qui est considéré comme vérité
commune, que la psyché est le reflet d’un certain monde.
J’énonce
que le monde est torique au titre, je vous le répète, d’une tentative. Je ne
vois pas en quoi je pourrais être sûr de ce que j’avance, quoiqu’il y ait
beaucoup d’éléments qui en donnent le sentiment, et d’abord la structure
du corps.
Que
tout être vivant se dénomme comme trique, c’est ce qu’un certain nombre
d’études anatomiques, d’ailleurs grossières, confirme. Le tore se
présente comme ayant deux trous autour de quoi quelque chose consiste, c’est
de simple évidence. Il en va de même pour le corps, et on le sait depuis
toujours, depuis qu’on a commencé de disséquer, et de faire de l’anatomie,
la plus macroscopique.
Une
sphère, pouvons-nous la considérer comme un trou dans l’espace ? C’est très
suspect, parce que ça suppose, le plongement dans l’espace qui ne va pas de
soi, C’est également vrai pour le tore, et c’est en quoi, à le diviser en
deux feuillets capables de faire un double tour, nous retrouvons la surface qui,
à nos yeux, est plus .assurée – en tout cas pour fonder ce qu’il en
est du trou.
Ce
n’est pas d’hier que j’ai fait usage de ces enchaînements. Déjà, pour
symboliser le circuit, la coupure du désir et de la demande, je m’étais
servi du tore. J’en avais distingué deux modes, à savoir ce qui faisait le
tour du tore et d’autre part ce qui faisait le tour du trou central,
identifiant la demande à l’un et le désir à l’autre. (figures
6 et 7)
J’ai
fait état la dernière fois de ceci, qui consiste en un tore dans un tore. Si
vous les marquez tous les deux d’une coupure, et si vous rabattez les deux
coupures concentriquement, vous ferez venir ce qui est à l’intérieur à
l’extérieur, et inversement ce qui est à l’extérieur viendra à l’intérieur
Cette transformation qui fait enveloppant ce qui est à l’intérieur n’est
pas sans avoir à faire avec la psychanalyse. La psychanalyse en effet
s’attache à mettre au dehors ce qui est à l’intérieur, à savoir
l’inconscient. Mais cela n’est pas sans poser de question.
Supposons trois tores, nommément le réel, l’imaginaire et le
symbolique. Qu’allons-nous voir à retourner le symbolique, en procédant par
une coupure ? Une disposition complètement différente du nœud borroméen (figure
8), A le retourner, le tore du symbolique enveloppe totalement
l’imaginaire et le réel C’est en quoi l’usage de la coupure par rapport
au symbolique risque de provoquer, à la fin d’une psychanalyse, une préférence
donnée en tout à l’inconscient. Mettre ainsi l’accent sur la fonction du
savoir de l’une-bévue par laquelle je traduis l’inconscient peut effective-
ment faire que la vie de chacun s’arrange mieux, mais c’est une structure de
nature essentiellement différente de celle du nœud borroméen.
Le
fait que l’imaginaire et le réel soient tout entiers inclus dans quelque
chose qui est issu de la pratique de la psychanalyse fait question en ceci que
ce n’est pas la structure du nœud borroméen.
Expérimenter une psychanalyse
marque un passage, à condition que mon analyse de l’inconscient en tant que
fondant la fonction du symbolique soit complètement recevable, De fait,
apparemment, et je peux le confirmer réellement, le fait d’avoir franchi une
psychanalyse ne saurait être
ramené à l’état antérieur, sauf à pratiquer une autre coupure, qui serait
équivalente à une contre-psychanalyse.
C’est
bien pourquoi Freud insistait pour que les psychanalystes refassent ce qu’on
appelle
couramment une tranche, c’est-à-dire qu’ils fassent une seconde fois la
coupure, restaurant ainsi le nœud borrornéen dans sa forme originale.
note:
bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou
si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance
de m'adresser un email. Haut
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