28 J
Burghölzli-Zürich, 30. V. 07.
Æret Professor!
Aujourd’hui je ne peux malheureusement que répondre brièvement à votre si aimable lettre, car je suis constamment pris par toutes sortes d’affaires qui concernent la clinique.
Recevez avant tout mon chaleureux merci pour les nouveautés au sujet de Jensen. C’est à peu près comme on pouvait se l’imaginer. Qu’il accuse encore sa médecine, voilà qui est excellent et déjà artériosclérotique de façon inquiétante. Dans le cercle de mes connaissances on lit Gradiva avec volupté. Les femmes sont celles qui comprennent le mieux ce que vous faites, et généralement tout de suite. Seuls ceux qui ont une culture « psychologique » ont des planches devant les yeux.
J’écrirais très volontiers quelque chose pour votre recueil. Cette idée m’est très sympathique. Seulement je ne sais pas quoi. Il faudrait que ce soit quelque chose de convenable. L’article de la Zukunft ou quelque chose de ce genre serait trop mauvais; Harden me l’a extorqué. Je ne l’aurais jamais écrit spontanément. En ce moment ce sont les travaux expérimentaux qui me satisfont le plus, et ils ne sont guère adaptés à un cercle élargi de lecteurs. Il n’est toutefois pas exclu que la dementia praecox m’envoie, de sa profondeur inépuisable, quelque chose de bon. A cela s’ajoute comme obstacle que je suis pour l’instant tellement débordé de besognes administratives que je trouve à peine le temps nécessaire à mes propres travaux. A plus forte raison n’est-il pas question de me plonger dans le matériau. Une élaboration systématique de la dementia praecox est également impossible pour ces mêmes raisons, car il y faut un temps illimité. Aussi ai-je formé le projet, il y a quelque temps déjà, de modifier ma situation de telle sorte que j’aie davantage de temps libre, pour pouvoir m’adonner entièrement au travail scientifique. Mon projet, qui est vivement soutenu par le Pr Bleuler, est que soit adjoint à la clinique un laboratoire de psychologie, en tant qu’institut plus ou moins indépendant, dont je serais alors nommé directeur. De cette façon je serais indépendant, libéré des entraves du service dans l’établissement et je pourrais travailler exclusivement à ce que je voudrais. A partir de cette situation je tendrais alors à faire séparer le professorat de psychiatrie de la direction de l’établissement. Car les deux ensemble, c’est trop et cela empêche tout travail scientifique productif. Il est vrai que ce pas me ferait quitter la carrière proprement dite d’aliéniste d’asile, mais le dommage ne serait pas si grand. J’aurais de toutes façons le matériel. Et je peux imaginer que j’aurais assez de satisfaction avec le seul travail scientifique. Comme je peux le voir à mes rêves de la dernière période, ce changement a un fond souterrain « métapsychologique-sexuel », qui est transparent pour vous, et dont je me promets aussi une série de sensations de plaisir. Qui connaît votre science a goûté à l’arbre du paradis et est devenu voyant.
Je vous relaterai encore différentes choses prochainement.
Avec mes salutations les plus dévouées,
votre Jung.