39 J
Burghölzli-Zurick, 19. VIII. 07.
Æret Professor!
Comme toujours vous touchez cette fois aussi dans le mille en accusant ma soif de notoriété d’être l’agent provocateur de mes accès de désespoir. Je me permets cependant de répliquer que mon sincère enthousiasme pour la vérité me donne le désir de trouver la façon de présenter vos doctrines qui serait la plus apte à les aider à percer. S’il n’en était pas ainsi, mon dévouement absolu à la défense et à la propagation de vos idées et ma vénération non moins absolue de votre personnalité apparaîtraient dans une lumière extrêmement singulière, ce que j’aimerais éviter, quand bien même la composante de profit personnel ne peut être réfutée que par quelqu’un qui ne voit pas clair. J’ai tout de même des pressentiments désagréables, car je ne dois pas prendre pour une bagatelle le fait de défendre une telle position devant un tel public. J’ai à présent terminé mon exposé et je vois que j’ai en général choisi la position que vous avez tenue pour la meilleure, la position intransigeante. On ne peut, si l’on veut être honnête, rien faire d’autre. Heureusement je viens aussi de terminer avec succès une analyse d’hystérie chez une personne inculte, ce qui m’a fortifié le moral.
Vous m’avez demandé dans une de vos dernières lettres de vous exprimer mon opinion sur le Dr Abraham. Je pose tout d’abord que je suis « jaloux » de lui, parce qu’il correspond avec vous [pardonnez cette sincérité, qui vous paraîtra certainement dépourvue de goût!). Il n’y a rien à objecter à A[braham]. Simplement je ne le trouve pas tout à fait sympathique. Je lui ai par exemple proposé de collaborer à mes travaux, ce qu’il a refusé. Mais maintenant il écoute attentivement ce que Bleuler et moi disons, comment nous examinons, etc. Ensuite il fait une publication. De tous nos divers assistants, lui s’est toujours tenu un peu à l’écart du grand œuvre, et entre ensuite soudain en scène, comme une existence à part, en publiant. Non seulement moi, mais aussi les autres assistants ont ressenti cela comme quelque peu désagréable. Il est intelligent, mais pas original, d’une remarquable capacité d’adaptation, mais l’intuition psychologique lui fait totalement défaut, ce pourquoi il est généralement très peu aimé des malades. Je vous prie de soustraire à ce jugement une note venimeuse personnelle. Mises à part ces dernières critiques, A[braham] est un homme agréable en société, très travailleur et extrêmement actif dans toutes les affaires bureaucratiques de l’établissement, ce que personne ne peut affirmer de moi. De là aussi peut provenir une gouttelette de venin, car sur ce dernier point mon chef a depuis longtemps atteint le sommet de la perfection.
J’aimerais vous demander encore un éclaircissement : concevez-vous la sexualité comme la mère de tous les sentiments? La sexualité n’est-elle pas pour vous simplement une composante de la personnalité (la plus importante il est vrai) et par conséquent le complexe sexuel la composante la plus importante et la plus fréquente du syndrome hystérique? N’y a-t-il pas des symptômes hystériques qui sont codéterminés par le complexe sexuel, mais conditionnés principalement par une sublimation ou par un complexe non sexuel (profession, situation, osv.)?
Dans ma petite expérience il est vrai que je n’ai vu que des complexes sexuels et je le dirai expressément à Amsterdam.
Recevez les salutations les plus cordiales de votre très dévoué
Jung.