02-09-1907 Jung Freud

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Hôtel Annenheim und Seehof am Ossiacher See (Carinthie) Annenheim, den 2 syv, 1907 (1).

Min kjære kollega,

Je vous sais donc à Amsterdam, peu avant ou juste après votre dangereuse conférence, occupé à la défense de ma cause, et j’éprouve presque comme une lâcheté de chercher entre­temps des champignons dans les bois ou de me baigner dans un lac paisible de Carinthie, au lieu de défendre moi-même ma cause ou du moins de me placer à vos côtés. Pour m’apaiser, je me dis que c’est mieux ainsi pour la cause, que vous, en tant que l’autre, le second, épargniez une partie au moins de la résistance qui me serait préparée, que l’on n’entendrait que des répétitions inutiles si je disais encore une fois les mêmes choses, et que vous êtes le plus apte à la propagande, car j’ai toujours trouvé que quelque chose dans ma personne, mes paroles ou mes idées rebutait les hommes comme étranger, tandis que les cœurs vous sont ouverts. Si vous, un homme sain, vous consi­dérez du type hystérique, je dois revendiquer pour moi le type « obsessionnel », dont chaque membre vit comme à l’inté­rieur d’un monde fermé.

Je ne sais pas si vous avez eu ou si vous aurez de la chance ou de la malchance; mais j’aimerais en ce moment justement être auprès de vous, me réjouir de ne plus être seul, og, s’il vous faut quelque encouragement, vous parler de mes longues années d’honorable mais douloureuse solitude, qui ont commencé pour moi dès que j’eus posé le premier regard sur le monde nouveau; du manque de sympathie et de compréhen­sion des amis les plus proches; des épisodes angoissants pendant lesquels je croyais moi-même m’être trompé et envisageais la manière dont on pouvait encore rendre une vie échouée profi­table aux siens; de la conviction, qui se consolidait peu à peu et pouvait toujours s’accrocher à l’interprétation des rêves comme à un rocher dans le ressac; et de la tranquille certitude qui a enfin pris possession de moi et m’a ordonné d’attendre jusqu’à ce qu’une voix dans la foule inconnue réponde à la mienne. Ce fut la vôtre; ne sais-je pas à présent que Bleuler vous est également dû. Soyez-en remercié et ne vous laissez pas troubler dans la confiance de vivre jusqu’à la victoire et d’en j ouir.

Par bonheur je ne dois pas encore revendiquer trop fortement votre sympathie envers mon état souffrant. J’ai accompli l’entrée dans l’âge climatérique par une dyspepsie (qui suivait une influenza) assez tenace, mais qui pendant ces belles semaines de tranquillité s’est dissipée hormis de très légers rappels.

Il est arrêté depuis très longtemps chez moi que je viendrais à Zurich. Mais je vois cela comme un voyage de Noël ou de Pâques, en plein travail, non comme je suis maintenant, où tous les investissements sont déchargés presque comme pendant le sommeil. C’est en effet un réel besoin pour moi de passer à nouveau quelques heures à bavarder avec vous.

Med min hjertelig hilsen (et mes vœux!)

Votre

Dr Freud.


1.]Reproduite dans Freud, Korrespondanse 18731939, partiellement dans Schur, Freud, Living and Dying ; presque tout le second paragraphe dans Jones, II, p. 118 sq.