22-11-1914 Ferenczi à Freud

517 Fer

Papa, den 22 November 1914

Cher Monsieur le Professeur,

Mon long silence doit avoir pour cause une résistance ; mais je ne sais pas ce qui a pu l’actualiser.

Du point de vue analytique, mon état peut se caractériser à présent de la façon suivante : je me sens assez à l’aise dans la situation militaire homosexuelle; quelque chose en moi semble s’en accommoder parfaite­ment. La raison s’insurge toutefois contre cette façon de gaspiller la vie et le temps ; c’est pourquoi, à Budapest, j’ai mis en marche tout ce qui était possible pour accélérer ma mutation. – Les indispositions nocturnes et les rêves qui les accompagnent trahissent à peu près ceci : si mon travail de rêve réussit à réconcilier, d’une façon ou d’une autre, les courants homo­sexuel et hétérosexuel, alors je dors bien et me réveille frais et dispos ; sinon, mes malaises surviennent. — J’aimerais transcrire pour la Zeitschrift un rêve très intéressant qui, par ailleurs, explique un épisode biblique, celui de la chute de Sodome et Gomorrhe Il résulte de l’analyse que la femme de Loth a été changée en statue de sel non seulement parce qu’elle s’est retournée pour voir les villes en flammes, mais aussi parce que le sel symbolise en même temps le mode pervers de satisfaction sexuelle dans ces cités (le cunnilingus, osv.). (Explication, en même temps, de l’expression hongroise : « même un vieux bouc lèche volontiers du sel ».)

J’ai un peu plus à faire ici dans l’exercice de mes fonctions, car je prends mes tâches sanitaires au sérieux. Moyennant quoi, j’ai déjà été proposé pour une promotion par le commandant, de sorte qu’on me donnera bientôt le titre de « médecin-chef ».

Aujourd’hui, je reçois des visiteurs très chers de Budapest : Madame G. et sa sœur (2) viennent voir mon logement à Papa.

Entre-temps, mon incognito ici a été honteusement détruit : les jeunes dames m’ont fait inviter pour une conférence sur la psychanalyse. J’espère que je pourrai exprimer mon refus, avec mes regrets, en datant ma lettre de Budapest. – Je dois dire, d’un autre côté, qu’il y a beaucoup d’obstacles à une mutation en pleine guerre.

Je vous remercie de l’envoi des épreuves. Elles sont, pour ainsi dire, une exhortation à ne pas oublier la science. Il est curieux de voir combien me paraissent évidentes, maintenant, les idées révolutionnaires qu’elles recèlent.

J’ai eu ici une séance d’analyse. Mais la patiente n’est pas revenue après la première fois.

Possédez-vous déjà des renseignements détaillés sur le décès de votre frère ? Madame G. et moi-même avons tous deux pensé, malgré nous, à la prophétie de Jung s. Nous voulons espérer que le destin se satisfera d’un seul accident dans la famille.

Salutations cordiales de votre Ferenczi

1. Genèse, XIX, 1-26. Il n’a été trouvé aucune note de Ferenczi sur ce thème.

2. Sarolta Morando, née Altschul.

3. Allusion non éclaircie. Voir cependant 519 F et 520 F.