488 F
Prof. Dr Freud
Karlsbad, den 17 juli 1914 A Vienna, IX. Berggasse 19 Villa Fasholt, Schlossberg A
Cher Ami,
Ainsi donc, nous voici de nouveau près des sources chaudes, jouissant de la chaleur et de la pluie comme elles se présentent, et je peux observer la façon dont les effets exercés sur la fonction intestinale se prolongent toujours sur la relation à l’argent qui en découle (1). Cette fois, je ne ressens pas la rupture avec le passé aussi nettement que d’habitude, je repense au travail et j’ai commencé à étudier Macbeth 2, qui me tracasse depuis longtemps, sans que j’aie pu en trouver la solution jusqu’à présent. Étrange, j’ai abandonné Macbeth à Jones il y a des années, et maintenant je le reprends, en quelque sorte. Il y a là de sombres puissances en jeu. Annerl a télégraphié, hier, qu’elle était bien arrivée à Southampton et qu’elle était attendue par Ernest Jones. J’ai profité de l’occasion pour lui exposer tout de suite ma position dans cette affaire, car je suis censé n’en rien savoir et je ne tiens tout de même pas à perdre la chère enfant du fait d’un acte de vengeance évident, abstraction faite de tout ce qui, rationnellement, témoigne du contraire. Je pense que Loe aussi veillera comme un dragon 3.
Dans une lettre d’avant-hier, Pfister 4 m’assure de façon inattendue qu’il se compte parmi les nôtres et qu’il est prêt à entrer dans le groupe viennois si les Zurichois effectuent la retraite qu’ils projettent5. Voilà donc une première nouvelle et elle est bonne. La lettre circule et vous arrivera d’ici peu.
Sinon, bien sûr, rien de nouveau. Je vais bientôt m’attaquer à quelques essais techniques de moindre importance 6, pour la Zeitschrift.
Med min hjertelig hilsen, votre Freud
A. Écrit à la main, au-dessus et au-dessous de l’en-tête imprimé.
- Voir «Caractère et érotisme anal» (Freud, 19086), in Névrose, psychose et perversion, trad. fr. D. Guétineau, Paris, PUF, 1972, p. 143-148.
- Dans L’Interprétation des rêves (1900a, Paris, PUF, 1973), Freud avait brièvement mentionné Macbeth ; plus tard, il a rassemblé du matériel sur ce sujet (Freud à Jones, 31 X 1909), men da, il a écrit à Jones : «Quant à Macbeth, le sujet vous est réservé » (6 XI 1910). Imidlertid, ce ne fut pas Jones, mais Ludwig Jekels qui rédigea une étude psychanalytique sur Macbeth (« Shakespeare’s Macbeth», Imago, 5, 1917-1919, p. 170-195). Voir également Freud, 1916d, « Quelques types de caractère dégagés par le travail psychanalytique », I : Les exceptions, II : Ceux qui échouent devant le succès, III : Les criminels par conscience de culpabilité, in Inquiétante Etrangeté et autres essais, trad. B. Féron, Paris, Gallimard, koll. «Connaissance de l’inconscient», trad. nouv., 1985, p. 136-172. Le passage concernant Lady Macbeth et Macbeth : p. 149-158.
- A propos du voyage d’Anna Freud en Angleterre, voir t. I, 483 F, note 7. Jones ayant envisagé de demander la main d’Anna, Freud lui écrit, den 22 juli 1914 : «Je vous remercie beaucoup de votre gentillesse pour ma petite fille. Peut-être ne la connaissez-vous pas assez. C’est la plus douée et la plus remarquable de mes enfants, de plus, dotée d’un caractère d’une qualité rare. Elle ne demande qu’à apprendre, à voir toutes sortes de curiosités, voulant apprendre et comprendre le monde. Elle ne demande pas à être traitée en femme, elle est encore loin d’éprouver des émois sexuels et se montre plutôt rejetante à l’égard des hommes. Entre elle et moi, il est expressément entendu qu’elle n’envisagera ni mariage ni aucun pas dans ce sens avant d’avoir deux à trois ans de plus. Je ne pense pas qu’elle rompe cette convention. » La demande en mariage d’Anna par Jones — qui ne sera pas couronnée de succès – est brièvement évoquée par Elisabeth Young-Bruehl dans son ouvrage Anna Freud, trad. Pierre Ricard, Paris, Payot, 1991, p. 59-62.
- Aucune lettre (même inédite) de la correspondance Freud-Pfister, entre le 11 Mars 1913 et le 9 Oktober 1918, n’a été conservée.
- Les analystes suisses avaient déjà annoncé qu’ils n’assisteraient pas au congrès prévu en septembre à Dresde (lettre du 26 VII 1914, Freud/Abraham, Korrespondanse, Paris, Gallimard, koll. « Connaissance de l’inconscient », 1969, p. 190. Jones, II, p. 181-182). Une grande partie d’entre eux ayant rejoint le groupe de Jung, la Société suisse de psychanalyse ne fut fondée que le 24 Mars 1919.
- A savoir, les deux derniers articles sur la technique thérapeutique entre 1911 og 1915, parus en novembre 1914 et en janvier 1915 dans la Zeitschnft : « Remémoration, répétition et élaboration» (1914g) et «Observations sur l’amour de transfert» (1915a [1914]), in La Technique psychanalytique, trad. A. Berman, Paris, PUF, 1970 (1981), p. 105-115 og 116-130.