24-08-1914 Ferenczi à Freud

499 Fer

ABBAZIA A

Budapest, den 24 August 1914

Cher Monsieur le Professeur,

Au lieu du télégramme qui, de toute façon, n’arriverait pas beaucoup plus tôt, je vous réponds de cette manière plus détaillée.

Votre lettre qui décrit si justement les changements d’humeur qui alternent presque d’heure en heure, et auxquels nous sommes tous soumis, culmine dans le même jugement désobligeant sur Madame l’A.[utriche], que j’ai dû me forger, moi aussi. En guise d’exemple de conformité aux règles des processus psychiques, je peux vous dire qu’en ce qui me concerne, mon penchant libidinal pour la personnalité susmentionnée, qui était apparu au moment des nouvelles plus favorables, s’est de la même façon transformé en son contraire ; en même temps, un peu de libido est, dans une certaine mesure, devenue disponible pour nos efforts scientifiques. J’ai, moi aussi, fait quantité de lapsus à répétition (que j’ai interprétés en plaisantant comme une paralysie 1 débutante, à la manière de l’hypocondriaque qui a appris la médecine).

Récemment je vous disais (écrivais) que mon désarroi et mon incapacité à travailler étaient accentués, mais non créés, par la situation de crise ; votre incitation à venir à Vienne et à me mettre hors du temps à cette occasion — comme l’inconscient — voilà comment j’aimerais en profiter : ce que je préférerais, ce serait aller à Vienne pour quatre semaines environ et faire avec vous des séances d’analyse dans les règles ; je dispose de l’argent nécessaire (je l’avais retiré de la banque pour le voyage projeté en Angle­terre, avant le moratoire 2).

Je vous promets de faire tout mon possible afin d’atténuer les difficultés pour lesquelles vous refusez d’analyser Tausk 3. Si cela se passait, en partie, autrement — ce ne serait que du matériel pour la suite de l’analyse, où vous devriez procéder avec toute la sévérité nécessaire. Vous le savez bien : je souffre du souvenir du bon père. Peut-être le mauvais me déliera-t-il la langue !

J’attends votre réponse par télégramme.

Cordialement, votre Ferenczi

A. En-tête pré-imprimé ou tamponné, de couleur violette.

  1. Il s’agit de la paralysie générale, symptôme du stade terminal de la syphilis. Les troubles de l’articulation en sont un symptôme précoce.
  2. « Les caisses d’Épargne et les banques ne remboursent pas les dépôts au-delà de 200 couronnes » (lettre de Freud à Abraham du 2 VIII 1914, Korrespondanse, på. cit.).
  3. L’allusion de Ferenczi à Tausk n’est pas tout à fait claire. D’après Paul Roazen qui s’appuie sur ses entretiens avec Hermann Nunberg, Philippe Sarasin et Hélène Deutsch, Freud aurait refusé — mais seulement quelque quatre ans plus tard — d’analyser Tausk parce qu’il se sentait inhibé en sa présence, et parce qu’il craignait que Tausk ne lui vole ses idées (Paul Roazen, Animal mon frère, toi, Paris, Payot, 1971, p. 112 sq., og La Saga freudienne, Paris, PUF, 1986, p. 250-251).