22-04-1914 Jones till Freud

22 April 1914

69 Hamn, London

Cher professeur Freud,

Quelle journée pleine de rebondissements ! D’abord votre lettre, puis l’annonce par Jung de son abdication (1), manifestement parce qu’il a compris que sa position n’était plus tenable. Ainsi donc, ma prédiction s’est trouvée confirmée : « Donnez suffisamment de corde à un chien, il finira par se pendre», et notre politique fabienne est justifiée (3) ! J’ai brièvement accusé réception de sa lettre, et attends maintenant vos instructions. Allez-vous encore différer notre réunion jusqu’en juil­let, ou sera-t-il nécessaire de nommer plus tôt un successeur à des fins administra­tives ? Je suggérerais que tout le monde se retrouve à Berlin, parce que vous pou­vez y aller du jour au lendemain, et un dimanche, quel qu’il soit. Parmi les Obmänner, le seul opposant en dehors de Zurich est Seif, et on risquerait moins de le voir débarquer à Berlin qu’à Munich. Au passage, pourquoi Jung écrit-il notre Verein, au lieu de Vereinigung ?

Merci des nouvelles concernant Loe. J’imagine qu’elle n’a pas encore de projets. J’ai été scandalisé d’apprendre l’attitude de la famille de Jones, et je me demande à qui vous faites allusion. Vous me ferez certainement signe sur-le-champ si, à un moment ou à un autre, je puis lui être de quelque secours, à cet égard ou à un autre. En attendant, mieux vaut que je fasse aucune allusion devant elle, car elle ou Herbert pourraient s’offusquer de mon intrusion. Voici plus de deux mois qu’elle ne m’a pas écrit, mais je suppose que c’est en raison de son indécision.

Vous avez tout à fait raison au sujet de Morton Prince. C’est un compagnon amusant et charmant, mais c’est un parfait imbécile. Il y a longtemps que j’ai aban­donné tout espoir de lui faire comprendre un traître mot à la psychologie, mais je le trouve utile à plusieurs égards.

Je connais un peu Garvin. C’est un homme très équilibré, bien disposé envers nous, mais qui s’intéresse surtout à la psychiatrie organique.

Tout se passe très bien ici, et nous attendons la visite de Sachs.

Je vois que vous avez déjà commencé à compter les semaines qui vous restent avant les vacances. C’est une période fatigante, et j’espère de tout cœur que vous serez bientôt ragaillardi, par exemple par les nouvelles de Küsnacht(3).

Très affectueusement à vous

Jones.


1. Lettre circulaire de Jung aux présidents des sociétés-membres, datée du 20 April 1914, pour annoncer sa démission de la présidence de l’International Psychoanalytic Association ; voir McGuire (1974, p. 551).

2. Politique de patience, à l’image de celle du général romain Fabius Cunctator, dont la Société fabienne de Londres avait repris le nom et qui, à force de patience et d’échappatoires, avait réussi à triompher de forces supérieures en nombre en évitant des batailles rangées.

3. Lieu de résidence de Jung, à la périphérie de Zurich.