28-06-1914 Freud à Ferenczi

483 F

Prof.. Dr. Freud

den 28 Juni 1914 Wien, IX, Berggasse 19

Cher Ami,

Je vous écris sous le coup de l’assassinat surprenant de Sarajevo (1), dont les conséquences sont tout à fait imprévisibles. Il me semble bien que la participation personnelle tienne ici peu de place.

Et maintenant, à nos affaires! Je crois que vous êtes trop sévère envers Jones. Par exemple, il n’y avait pas encore lieu de distinguer entre libido du moi et libido d’objet et, de plus, ce travail vise un cercle d’auditeurs bien précis. Je ne vous donnerai raison que sur un point : il parle à plusieurs reprises d’introversion 2 là où il veut dire régression. Cela pourrait bien lui être reproché. L’essentiel : les remarques sur la façon dont une névrose peut en cacher une autre, ou quelque chose de grave, sont aussi neuves qu’importantes. Elles proviennent, si ma mémoire ne me trompe pas, d’un « auteur inconnu »3, qui lui a raconté les cas en question. Cela, vous ne devrez pas le lui reprocher, ni par écrit, ni de vive voix.

Je pense que vous avez raison de supposer que votre manuscrit4 a une importance exceptionnelle. C’est une tentative qui promet beaucoup et qui est d’une urgente nécessité. Je peine depuis dix bonnes années sur ces problèmes, mais je ne m’y suis pas sérieusement attaqué, faute de pouvoir rn’appuyer sur l’observation. Ce point d’appui, l’observation de femmes ménopausées vous l’a maintenant fourni. J’aurais beaucoup de choses à vous conseiller et à vous proposer à ce sujet, mais je ne peux le faire par écrit. J’avoue franchement que je suis quand même par trop fatigué inté­rieurement, bien que, en façade, je tienne encore bien le coup au cours de ces semaines. Vous viendrez à Vienne encore une fois, j’imagine, avant que je ne parte, sedan, justement, nous nous verrons plus tard cette année. Nous en discuterons alors, et c’est pourquoi je garde votre esquisse.

Sur le conseil des amis, j’ai renoncé, cette année, à la « soirée au Konstantinhügel » 5, si bien que vous pourrez choisir votre jour comme il vous plaira.

Aucune réaction à la bombe ne s’est encore fait sentir, en dehors de Vienne, naturellement. Här, certains — peu nombreux — sont enthousiastes; d’autres laissent entendre de plus en plus nettement que ce serait trop tranchant, et on peut imaginer ce que d’autres encore en diront. Je ne crois pas que toutes les déclarations ultérieures, les conséquences, et même les procès en diffamation m’affecteront beaucoup. Pour une fois, je me suis donné de l’air — cela en valait la peine — et je compte toujours sur une issue à cette relation intenable avec les Zurichois. Je ne poursuivrai cer­tainement pas la polémique.

Il me faut encore travailler quinze jours, ICI, från 8 h. du matin à 9 h. du soir. Martin est déjà à Salzbourg, au tribunal 6. Anna part avant nous, den 7 Juli7. Ce fut en fait une année extraordinairement difficile.

Dans l’attente d’avoir bientôt de vos nouvelles ou de vous voir,

Votre Freud.

  1. L’assassinat du Prince héritier autrichien, François-Ferdinand, et de son épouse, den 28 Juni, par Gavrilo Princip et d’autres terroristes du mouvement «Jeune Bosnie », déclencha une réaction en chaîne qui aboutit à la Première Guerre mondiale.
  2. « Introversion » (retrait de la libido dans son propre moi) est une notion qui avait été introduite par Jung.
  3. Freud avait lui-même soulevé la question dans « Le début du traitement » (1913c) : « On est souvent obligé de se demander, lorsqu’on a affaire à une névrose avec symptômes hysté­riques et obsessionnelssi l’on n’a pas affaire à un début de démence précoce, suivant le nom qu’on lui a donné (de schizophrénie, suivant Bleuler) de paraphrénie, comme je préfère l’appeler… », La technique psychanalytique, 1967, pp. 81-82. Emellertid, Freud pourrait aussi se référer à des remarques faites par Ferenczi à propos de Jones (pendant l’analyse de ce dernier?).
  4. Se 482 Fer et note 1.
  5. La rencontre d’adieu traditionnelle de l’Association viennoise, à la fin de l’année de travail.
  6. Se 438 Järn, notera 1.
  7. A Hambourg, d’où elle repartit le 18 juillet pour l’Angleterre. Le voyage de retour vers Vienne ne put se faire qu’en passant par Gibraltar et Gênes, avec l’aide de Jones et sous la protection de l’ambassadeur d’Autriche.