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Burghölzli-Zurich, 23. X. 1906
Très honoré Monsieur le Professeur!
Par le même courrier je me permets de vous envoyer à nouveau un tiré à part, qui contient à nouveau des recherches en psychanalyse1. Je ne crois pas que vous tiendrez le point de vue « sexuel » que j’y défends pour exagérément modéré. C’est dans la même mesure que la critique va se jeter dessus.
Comme vous l’observez, il est possible que ma retenue à l’égard de vos vues qui vont si loin repose sur une expérience insuffisante. Mais ne pensez-vous pas que l’on puisse peut-être considérer une série de points-frontière plutôt sous l’aspect de l’autre pulsion fondamentale, la faim? Par exemple manger, téter (prépondérance de la faim), donner un baiser (prépondérance de la sexualité). Deux complexes qui existent simultanément ne doivent-ils pas toujours se fondre psychologiquement, de sorte que l’un contient toujours les constellations de l’autre? Peut-être pensez-vous aussi seulement cela; alors c’est que je ne vous ai pas bien compris, et dans ce cas je serais tout à fait de votre avis. On se sent pourtant effrayé par le positivisme de votre présentation.
Il me faut abréagir auprès de vous, quitte à vous ennuyer, une expérience que j’ai vécue tout récemment. Je traite actuellement une hystérie selon votre méthode. Cas grave, une étudiante russe, malade depuis six ans 2.
Ier traumatisme : 3e-4e année. Elle voit son père frapper son frère aîné sur le postérieur nu. Forte impression. Forcée de penser ensuite qu’elle a déféqué sur les mains de son père. De la 4e à la 7e année, efforts appliqués pour déféquer sur ses propres pieds, de la façon suivante : elle s’asseoit par terre avec un pied replié sous elle, presse le pied contre l’anus et essaie de déféquer et en même temps d’empêcher la défécation. Retient ainsi plusieurs fois les selles jusqu’à 2 semaines! Ne sait pas comment elle en est venue à cette histoire singulière; elle dit que c’était tout à fait pulsionnel, avec un sentiment voluptueux de frisson. Plus tard ce phénomène a été remplacé par un onanisme violent.
Je vous serais extrêmement reconnaissant si vous pouviez me communiquer en quelques mots votre opinion sur cette histoire.
Avec l’expression de mon respect.
Votre très dévoué
C. G. Jung.
1. Sans doute « Assoziation, Traum und hysterisches Symptom », [Association, rêve et symptôme hystérique], Journal für Psychologie und Neurologie, VII, 1906, G, W., 2. Jung écrit ici Psychoanalyse, bien qu’il semble à cette époque préférer Psychanalyse. Cf. aussi 7 J, n. 1.
2. Jung décrit le cas dans « Die Freudsche Hysterietheorie » [La théorie freudienne de l’hystérie] G.W., 4 § 53-58. C’est la conférence faite à Amsterdam en 1907.