21-02-1914 Freud à Jones

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21 février 1914 Vienne

Cher Jones,

Je n’avais pas de raison particulière de vous adresser cette fameuse mise en garde au moment de ma dernière lettre. En vous livrant le fond de ma pensée, cette préoc­cupation a surgi parmi d’autres, et je vous en ai fait part. Je suis ravi de votre réponse.

Depuis, Loe vous a écrit, je le sais, si bien que je n’ai pas de nouvelles fraîches à vous donner, mais j’en aurai bientôt, dès qu’elle pourra se faire examiner par un uro­logue. Le jeune couple se conduit fort bien. Pour autant que je puisse le deviner, les arrangements futurs dépendent pour une bonne part de l’état du rein, sur lequel on sera fixé la semaine prochaine.

Ci-joint les coupures du British Médical Journal qui m’ont intéressé au plus haut point, ainsi que le passage de Wells, à propos duquel vous pouvez sans mal rédiger une note pour les Varia de votre revue, la Zeitschrift. A mon sens, deux points échap­pent à Wells : le meurtre du père et l’origine des tabous, mais comme morceau de divination scientifique, ça peut passer (1).

J’ai maintenant achevé les Beiträge historiques aux deux sens du terme(3). Ils sont assez incisifs, et, je l’espère, pas trop ennuyeux. Les feuillets (70 pages !) sont mainte­nant chez Ferenczi, puis ils iront chez Abraham, et de là à l’imprimeur d’ici; vous aurez les premières épreuves à leur sortie. J’hésite à faire davantage voyager le manuscrit par terre et par mer. Il sera encore temps pour vos remarques et vos pro­positions.

Vous surestimez ce porc, Stekel, en partageant sa supposition sur Sadger. Jung n’avait tout simplement aucune autre contribution de Vienne, et il aurait accepté n’importe quelle autre. Si vous voulez mon conseil, ne faites pas attention à ses criti­ques de vos articles.

Le grand événement de ces derniers jours, c’est le Rectoralsrede [discours du rec­torat] de Jelgersma (Leyde), sur l’analyse des rêves(3), la lettre qu’il m’a adressée et sa brochure, à propos desquels, j’en suis sûr, vous avez dû en apprendre assez à l’heure qu’il est. C’est la première reconnaissance officielle par un universitaire. (14 ans !)

Je suis prêt à attaquer, demain, le Narcissisme(4).

Avec toute mon affection, votre

Freud


(1) Dans H. G. Wells, Mankind in the Making, éd. rév., Londres, Chapman & Hall, 1914, p. 291-296, il est question du tabou considéré comme un phénomène partiellement instinctuel, et partiellement lié au développement. Mais il est difficile de dire si c’est à cela que Freud fait référence. Quoi qu’il en soit, le passage de Wells ne fut pas reproduit dans la Zeitschrift. Dans The Outline of History, 3e éd., New York, Macmillan, 1923, p. 92-105, Wells approfondit la question et cite les travaux de Freud, de Jung et de Frazer.

(2) Freud (1914d)

(3) G. Jelgersma, Unbewusstes Geistesleben : Vortrag, gehalten zum 339. Jahrestag der Leidener Universität am 9. Februar 1914, publié sous forme de supplément à la Zeitschrift (1914). Voir également Jones (1955 a, p. 105; 1955 b, p. 118).

(4) Freud (1914 c).