14-06-1907 Freud à Jung

32 F

14. 6. 07.

IX, Berggasse 19.

Min kära kollega,

Bonne nouvelle, que Genève également s’intéresse à la cause. Claparède et Flournoy ont toujours manifesté une attitude aimable dans leur revue. Je suis très content à présent qu’ils aient l’intention d’attirer l’attention sur vos travaux par un compte rendu détaillé. J’en profiterai certainement moi aussi.

Aujourd’hui justement m’est parvenu le livre d’un homme qui semble porter son nom à juste titre (1), Zur Psychologie und Therapie neurotischer Symptome, par A. Muthmann (2). Il porte sur le titre la mention « une étude fondée sur la théorie des névroses de Freud ». M[uthmann] a été assistant à Bâle. Cela ne peut être un hasard; un Suisse comme lui me semble en vérité posséder plus de courage qu’un sujet allemand libre. Le livre est brave, de belles histoires de cas, de bons résultats, digne et modeste; j’espère que c’est un solide collaborateur qui se manifeste là. La perspective lui fait encore défaut, il traite ce qui a été trouvé en 1898 comme du tout nouveau, il ne dit pas non plus le moindre mot du transfert.

Je vous prends donc au mot au sujet de la revue. Vous conviendrez de plus en plus de sa nécessité; on ne manquera guère de lecteurs. Ne nous donnons pas un délai d’hésitation trop long, en automne 1908 environ le premier numéro. Vous avez naturellement touché dans le mille avec votre observation sur les cas ambulatoires. Selon leur manière coutumière de vivre les expériences, la réalité est trop proche aux femmes pour qu’elles croient au fantasme. Si j’avais voulu organiser mes affirmations d’après les indications des femmes de chambre, il n’en serait sorti que des cas négatifs. Cette conduite s’accorde d’ailleurs à d’autres particularités sexuelles de cette classe; des gens informés m’assurent que ces jeunes filles se laissent plus faci­lement coïter que par exemple regarder dévêtues. La chance de la thérapeutique consiste en ce qu’on a d’abord appris tant de choses dans les autres cas qu’on peut raconter soi-même leur histoire à ces personnes, sans attendre leurs contributions. Elles confirme­ront certainement alors; on ne peut rien apprendre de leur cas.

Dommage que mon cas avec la tasse de thé ne soit pas encore terminé; il pourrait sinon jeter de la lumière sur votre patiente qui vomit quand il y a une miette de pain dans le café. D’après quelques indices, ces symptômes renvoient à l’excrémentiel (urine et fèces). Il faudrait saisir le cas en commençant par le dégoût devant le cadavre de la mère. Le dégoût devant la mère remonte sans doute à l’époque de l’initiation sexuelle. J’ai d’ailleurs oublié que le sang menstruel est aussi à compter au nombre des excréments. Ce qui rend presque impossible un court traitement ambulatoire des cas, c’est l’élément tem­porel. En des durées aussi courtes, aucun changement psychi- que ne peut s’accomplir, de même qu’on ne dit rien à un homme qu’on connaît depuis si peu de temps.

Je vous remercie beaucoup de ce que vous enrichissiez mon expérience par la communication de cas de dem. pr. Votre dernier, femme de 36 år, fixation à la mère, peut réellement être appelé idéal. La question : où donc mettre la libido qui doit être détachée de la mère? peut alors être résolue, si la chose se dessine comme dans d’autres de vos cas, par son dérou­lement [Verlauf] : vers l’auto-érotique. Il est intéressant que cet investissement de la mère qui succombe au processus de refoulement ait d’emblée une composante pathologique (com­pensatoire). Elle est excessive parce qu’il y a détournement loin du père; il faut présupposer un stade préliminaire d’incli­nation infantile commune pour le père. Peut-être important théoriquement. Vos intentions de voyage à Paris et à Londres me montrent, à ma satisfaction, que le temps où vous fournis­siez un travail excessif est passé. Je vous souhaite un complexe parisien intéressant, mais aussi je n’aimerais pas savoir le complexe viennois refoulé par l’autre. L’obstacle chez les Français est sans doute essentiellement de nature nationale; l’importation vers la France a toujours comporté des difficultés. Janet est une fine intelligence, mais il est parti sans la sexualité et ne peut à présent plus avancer; nous savons qu’en science il n’y a pas de retour en arrière. Mais vous entendrez certaine­ment beaucoup de belles choses.

Avec mes salutations cordiales, Votre dévoué

Dr Freud.


1. Mut (h) courage.

2. Arthur Muthmann (1875-19..), Zur Psychologie und Therapie neuro­tischer Symptôme; Eine Studie auf Grund der Neurosenlehre Freuds [Contribution à la psychologie et à la thérapeutique des symptômes névrotiques; une étude fondée sur la théorie freudienne des névroses]. Halle, 1907.