19 Januari 1914
69 Hamn, London
Cher professeur Freud,
Je note donc qu’il faut voter pour Dresde si on nous en donne la possibilité. Notre groupe ne pouvant être légalement intégré à la Vereinigung avant que le Congrès ne l’accepte, j’imagine que, pour l’instant, nous n’avons pas le droit de vote, mais je demande à Eder, le secrétaire, qui s’entend mieux que moi avec Jung, de lui écrire à cette fin. Mais j’imagine que le vote sera «croisé», et ne représentera donc pas la force relative des deux parties.
Mon attitude, dans les deux occasions, ne me paraît pas aussi incohérente que, visiblement, elle vous a semblé. Les deux fois, je souhaite la dissolution, si on peut l’obtenir en toute sûreté, mais je vois une grande différence entre une minorité de groupes tâchant de l’imposer à une époque où il ne se passe rien, et l’exploration des possibilités lorsque l’autre camp pose la question du Congrès. Reste que vos remarques sur les revues m’ont fait forte impression, car cela forcerait une décision plus inéluctablement que n’importe quelle suggestion à l’heure présente.
Ce que vous dites de l’état de Loe me désole, mais j’imagine qu’il s’explique en partie par son état d’esprit tandis qu’elle attend Herbert Jones. J’ai hâte de savoir ce qui sortira de sa visite, s’ils viennent à Londres, etc., je compte sur vous pour me renseigner, puisqu’elle ne m’écrit pas pour l’instant.
Quant au très vague sujet de mon propre mariage, je suivrai certainement votre conseil en prenant le temps de réfléchir et de choisir posément, un conseil que je juge tout à la fois sage et nécessaire. L’idée, naturligtvis, m’en est venue à plusieurs reprises ces derniers temps, ce qui est naturel vu les circonstances (installation, etc.), mais je comprends bien qu’il faudrait que je devienne plus «fertig» [accompli] dans l’analyse de mes propres mécanismes mentaux avant de me risquer à lier mon sort à celui de quelqu’un d’autre.
Vous m’interrogez sur Moïse. L’une des raisons pour lesquelles j’espère que vous le signerez, c’est que, que vous le fassiez ou non, la paternité du texte ressortira assez clairement du style et du contenu, et si vous ne le faites pas, les Zurichois ne manqueront pas de s’interroger sur ce que tout cela signifie, etc..
J’ai un étrange cas à l’heure actuelle, assez proche du cas de paranoïa hystérique de Bjerre1. Une vieille fille de 45 år croit que le vicaire de la paroisse et sa sœur lui font des remarques déplacées pour le plaisir de la voir rougir, qu’à l’instigation de sa mère il fait des allusions à elle du haut de sa chaire, et qu’un autre homme ne veut pas la rencontrer parce qu’il pense qu’elle est amoureuse de lui ; un frère souffre de paraphrénie. Tout ceci ressemble fort à de la paranoïa, avec des projections très nettes, mais, après un mois d’analyse, je suis certain que ce n’est qu’une hystérique. Elle réagit à l’analyse comme une hystérique ordinaire (rapport, pas d’intuition anormale, etc.) et fait déjà quelque progrès.
Une chose désagréable vient de se produire ici. Mercier, psychiatre réputé, a adressé au British Médical Journal, une lettre vulgaire et injurieuse, pour protester contre le « culte phallique » et la « pornographie » du « freudisme »2. Malheureusement, c’est un adversaire fâcheux, car il n’a rien d’autre à faire (étant retraité) que de mener des polémiques, et il a un tel complexe de Streitigkeit [complexe du querelleur] ou une telle Querulantenwahn [manie de déplorer] qu’il finit généralement par épuiser ses adversaires qui disposent de moins de temps, et encore une fois il est sans scrupules et malhonnête, il déforme les mots et les phrases pour faire des calembours, ne se souciant pas le moins du monde de découvrir la vérité; il a aussi une bonne plume peu commune et ne manque pas d’esprit, toutes choses qui lui permettent toujours de «river leur clou» à ses adversaires, surtout quand il peut exciter les préjugés à son profit.
Je suis allé voir Eder, qui avait déjà rédigé une lettre invraisemblable (la ψα était le plus grand Mont Pisga3 des siècles, etc.) qui eût été déplacée à cet égard et n’aurait fait qu’exciter la verve polémique de Mercier. Nous avons parlé de cette affaire et avons décidé d’attendre une semaine, pour voir si quelqu’un d’autre écrivait, dans un camp ou dans l’autre, et sinon, de laisser cette histoire sombrer dans l’oubli qu’elle mérite. Nous aurons certainement bientôt de nouvelles occasions de controverse, et probablement plus favorables, ou en tout cas moins dégradantes. Reste que si quelqu’un d’autre relève le défi de Mercier, ou prend sa défense par écrit, il nous faudra intervenir. Que pensez-vous de tout ceci ?
Je travaille sans relâche et j’ai traduit près de la moitié des textes de Ferenczi4.
Abraham attend ma contribution au Årsbok pour la fin février, mais je ne pense pas que ce soit possible5.
Bien fidèlement à vous
Jones.
- Poul Bjerre, Zur Radikalbehandlung der chronischen Paranoia, Årsbok, 3, 1912, p. 795-847.
- Voir le British Medical Journal, 1, 1914, p. 172-173, 276. Charles A. Mercier, M.B. 1878, MD. 1905, London ; ancien maître de conférence sur la folie à la Charing Cross Hospital Medical School et auteur de nombreux livres, dont un Text Book oj Insanity, London, Swan Sonnenschein, 1902.
- Montagne à l’est du Jourdain, du haut de laquelle Yahvé fit voir à Moïse la Terre Promise (Deutéronome 34,1).
- Jones (1916 h).
- Jones (1914 en, 1914 h).