06-04-1914 Freud till Abraham

* Wien, IX, Berggasse 19

6.4.14.

Kära vän,

Hitschmann m’a téléphoné ce matin pour me dire que le patient[1] de Berlin est arrivé. Ainsi était mis fin à un léger souci. Nous pensions que votre envoi était en souffrance, mais nous n’osions pas nous figurer le cas où il lui serait arrivé malheur.

Du côté de Sadger, surtout ne vous laissez en rien perturber, et insistez pour que soit éliminé tout ce qui est divagation et hargne. Il est rare que l’on puisse tolérer S. sans le censurer. De même, il est vraiment superflu de faire de la réclame pour Stekel.

« Persécutions » est l’expression qu’Adler lui-même a employée; je la remplacerai conformément à vos désirs. Au lieu de : le « sale » [unsauber] esprit A. Hoche, je mettrai : le méchant esprit ».

Que vous soyez aussi preneur pour le Narcissisme, cela me touche profondément et resserre encore davantage les liens qui nous unissent. Sur ce point, j’ai le sentiment très vif d’une insuffisance grave. J’insérerai la remarque que vous souhaitez sur le fait que l’on passe à côté de la sublimation dans la thé­rapie jungienne. Le Moïse est anonyme, d’une part par amu­sement, d’autre part parce que j’ai honte de son caractère dilettante évident, auquel d’ailleurs on échappe difficilement dans les travaux pour Imago; enfin parce que, plus que d’habi­tude encore, je doute des résultats et que je ne l’ai publié que pressé par la rédaction.

Le jugement que vous portez sur la gravure concorde avec beaucoup d’avis d’ici. J’ai entendu des jugements plus durs et d’autres plus enthousiastes.

Le petit travail « Sur le rêve »[2] est paru hier dans la traduc­tion anglaise de Eder.

Bortsett från det, rien de nouveau : le calme, peut-être, avant la tempête.

Je vous salue cordialement, vous et votre chère femme, et je vous souhaite d’être vite débarrassé des inévitables maladies infantiles, dont il vaut beaucoup mieux, comme l’on voit, se défaire plus tôt que plus tard.

Votre Freud.

Post-scriptum.

J’ai reçu le premier numéro de la Zeitschrift fur Sexualwissenschaft. Je voulais faire dépendre ma participation de la position qui s’en dégage à l’égard de la psychanalyse. Or la chose n’est pas très alléchante. Il y a une note des plus minables dans l’article d’Eulenburg (p. 9), et un compte rendu de Saaler, qui considère que le travail de Stekel sur le fétichisme donne la mesure de l’état actuel de la psychanalyse. Cela me renforce dans l’intention d’être plus réservé encore.

La Société est décidée à faire reconnaître Fliess. Cela est bien ainsi, car il est le seul esprit original parmi eux et possède un bout de vérité méconnue. Mais l’asservissement de notre psychanalyse à une biologie sexuelle fliessienne ne serait pas un mal moindre que son asservissement à une éthique, une métaphysique, ou autre chose semblable. Vous le connaissez, vous connaissez son incapacité en psychologie, son esprit systé­matique de physicien. La gauche = femme = subconscient = angoisse. Dans tous les cas, nous devons garder notre indépen­dance et faire valoir l’égalité de nos droits. A la fin, nous pour­rons nous rencontrer avec toutes les sciences parallèles.

F.


[1] Il s’agit du manuscrit d’Abraham pour le Jahrbuch.

[2] S. Freud : Le rêve et son interprétation [Uber den Traum], 1901, trad. fr. Galvete.