7 juillet 1914 (1)
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Jones,
C’est un mauvais moment pour écrire des lettres, le temps le plus chaud et le travail le plus intense de l’année. Je suis passablement épuisé et résolu à fermer boutique samedi prochain ; notre départ a été rendu incertain par la maladie soudaine de ma belle-sœur, une mauvaise grippe avec broncho-pneumonie, elle a de la fièvre depuis une semaine et, comme vous le savez, il est impossible de dire comment ça va évoluer. Ma fille partira le 7 de ce mois, elle ira en Angleterre le 15, et sans doute aurez-vous l’occasion de la voir en août ou avant.
Pour ce qui est de Loe, la campagne morphine a tourné court ; en essayant de s’en libérer, elle est devenue si pitoyable qu’il était impossible de continuer dans le bref laps de temps que nous avions devant nous. Elle avait commencé trop tard, et s’était donné beaucoup de mal consciemment, mais la résistance intérieure est encore trop forte. Quant au succès des dernières années, il est facile de comprendre qu’elle n’y a consenti que parce qu’elle n’était pas convaincue. Cette fois-ci, elle l’était, et elle a dû apprendre quelles étaient les difficultés. Je ne pense pas qu’elle nous ait trompés plus d’une fois (que je savais) au cours du traitement, et j’imagine qu’elle est encore plus digne de foi que son accusatrice. J’espère qu’elle s’en tiendra dorénavant à de plus petites doses. L’incertitude sur la vraie nature de ses douleurs a été un obstacle de taille à un traitement conséquent. Après avoir étudié ses toutes dernières réactions, j’incline vivement à la solution — que la part de loin la plus importante est bel et bien hystérique.
Je suis ravi que vous héritiez de la bonne société de Ferenczi, car j’ai grand besoin de quelques semaines d’isolement cet été. J’ai écrit à Abraham pour lui proposer de remettre sa circulaire au 20 de ce mois, à moins que les saints hommes de Suisse ne réagissent auparavant. Je suis ravi que vous soyez inaccessible à Jung quand il vient à Londres. Il pourrait essayer la flatterie et le compromis.
Bien à vous, avec mes meilleurs vœux
Freud
1. En réalité, cette lettre a sans doute été écrite quelques jours plus tôt. Voir la réponse de Jones, lettre 196 [7.7.14]