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21-12-1907 Jung Freud

57F

21. XII. 07

Vienna, IX., Berggasse 19.

Kjære venn og kollega,

Cette fois vous m’avez gâté. Vous ne vous retenez vraiment pas de dispenser de l’énergie. L’époque après Pâques me convient très bien, d’autant mieux que la date de la rencontre est plus proche des deux jours de Pâques (1) eux-mêmes. Si vous choisissez Salzbourg plutôt qu’Innsbruck, la première des deux villes étant indiscutablement la plus belle et la plus confortable, on ne doit attendre aucune difficulté de ma part, car il n’y a que 6 heures de train rapide jusqu’à Salzbourg. Je suis d’ailleurs encore prêt à me retirer personnellement si vous deviez estimer malgré tout, que la chose se passerait mieux en mon absence — pour quoi il y aurait quelques bonnes raisons. Ma présidence ne va certainement pas. Cela ne vaut rien. C’est Bleuler ou vous qui devez être à la tête; différenciation, partage des rôles!

L’entreprise du journal me fait en réalité encore davantage plaisir, c’est une question vitale pour nos tendances.

De Jensen j’ai reçu la réponse ci-dessous à mes questions; elle montre d’une part comme il est peu enclin à soutenir de telles recherches, laisse pourtant d’autre part pressentir que les rapports sont plus compliqués qu’un schéma simple ne saurait les représenter. A la question principale, de savoir si la démarche des personnes de l’image originelle avait quelque chose de pathologique, il n’a pas répondu du tout. Je vous transcris sa lettre, car elle est à peine lisible sans loupe : après une introduction, qui excuse un traitement « lapidaire » de mes questions, il dit :

« Non. Je n’ai pas eu de sœur, et même aucune parente consanguine. Il est néanmoins vrai que Le Parapluie rouge est tissé de souvenirs de ma vie personnelle, de mon premier amour de jeunesse pour une amie d’enfance qui avait grandi dans une certaine intimité avec moi et qui est morte de phtisie à dix-huit ans; et — bien des années plus tard — de la per­sonne d’une jeune fille avec qui j’avais noué des rapports ami­caux et qui fut également enlevée par une mort subite. Le « para­pluie rouge » provient de cette dernière. Dans le poème, j’ai ressenti les deux figures, dans une certaine mesure, se fondre en une ; l’élément mystique, qui s’exprime principalement dans les poésies, a également son origine dans la seconde jeune fille. La nouvelle Rêves d’enfance [Jugendträume] de mon recueil Aus stiller * (2) Zeit [-D’une époque calme], fly. II, repose sur le même fondement, mais se limite à la première. — Dans la maison gothique [Im gotischen Hause] est une invention parfai­tement libre ( !) »

Abraham est resté chez nous de dimanche à mercredi. Plus sympathique que vous ne l’avez décrit, mais quelque chose d’inhibé, rien d’entraînant. Au moment important, il ne trouve pas le mot juste. Il a beaucoup parlé de Bleuler, qui apparem­ment l’occupe fort en tant que problème

Je vous salue cordialement et vous souhaite un joyeux Noël,

votre Dr Freud.

* Détermination transparente du lapsus.


1. 19-20 April.

2. Freud avait d’abord écrit Schri, puis biffé ce mot; il pensait, sans doute aux La zur brukt Seelenkunde [Écrits de psychologie appli­quée].

16-12-1907 Jung Freud

56 J

Burghölzli-Zürich,

16. XII. 07.

Æret Professor!

Vous vous trompez bien lourdement si vous croyez que nous allons renoncer à votre présence à Innsbruck ou Salzbourg. Au contraire, nous espérons et attendons de pouvoir siéger sous votre présidence. On propose de tenir le congrès à la suite du congrès des psychologues de Francfort (1) soit après le 20 April (je ne peux malheureusement pas me souvenir de la date exacte en ce moment). J’espère que cette époque ne sera pas trop incommode pour vous. Pour faciliter la participation, le mieux est de limiter la réunion à une soirée et un jour, de sorte que tous les participants, même les plus éloignés, ne restent pas plus de trois jours loin de leur travail. Dès que vous m’aurez répondu si cette date trouve votre approbation, je soumettrai des propositions précises aux participants présumés.

Je suis actuellement en négociations pour la fondation d’une revue, à laquelle j’aimerais assurer une large diffusion. II faut qu’elle devienne internationale, car nous devons nous émanci­per du marché allemand, autant que possible. Je vous relaterai cela plus tard, une fois que j’aurai des résultats fermes.

Claparède se tiendra encore longtemps dans une certaine réserve, car il n’a pas de matériel. Il est en fait psychologue. Mais sa neutralité bienveillante est assurée.

Excusez, je vous en prie, la brièveté de cette lettre. Je suis très occupé.

Votre entièrement dévoué

Jung.

1. Troisième congrès de psychologie expenmeniaie, Francfort-sur-le Main, 22-25 April 1908.

11-12-1907 Jung Freud

44 J

Burghölzli-Zürich, II. IX. 07.

Æret Professor!

Hier soir je suis rentré d’Amsterdam et suis de nouveau mieux en état de considérer mes expériences au congrès avec une perspective de distance spatiale et temporelle. Avant d’essayer de vous peindre les événements qui ont suivi, je vou­drais vous remercier du fond du cœur de votre lettre, qui est arrivée juste au bon moment, car cela a été alors un bienfait pour moi de pouvoir sentir que je ne me battais pas seulement pour une grande découverte, mais aussi pour un grand homme digne de vénération. Que l’on reconnaisse des faits lentement ou vite, ou qu’on les combatte, cela peut me laisser assez froid, mais que l’on déverse un véritable purin sur tout ce qui ne convient pas, cela est révoltant. Il y a une chose que j’ai consommée en quantité inouïe à ce congrès, c’est un mépris allant jusqu’à la nausée du genre homo sapiens.

La discussion sur mon exposé malencontreusement arrivé prématurément à sa fin n’a eu lieu que le lendemain, bien qu’il n’y ait pas eu de motifs réels pour la renvoyer. Bezzola a pris la parole le premier, pour « protester » contre vous, contre moi et contre la doctrine sexuelle de l’hystérie (accents moraux sous-jacents !). Une heure auparavant, j’avais essayé de m’entendre avec lui, seul, à l’amiable — impossible. Il ne vous envie pas le fait que vous écriviez des livres, ni vos revenus, ce qui peut nous faire mourir de rire ou de rage. Rien que de l’affect enragé, sans fondement logique, contre vous et moi.

C’est ensuite Alt (1) de Uchtspringe qui a annoncé le terrorisme contre vous, à savoir qu’il ne remettrait jamais un patient à un médecin de tendance freudienne pour un traitement — manque de conscience — cochonnerie — etc. Les plus forts applaudisse­ments et congratulations qui vont à l’orateur sont ceux du Pr Ziehen (2), Berlin. Puis vint Sachs (3) de Breslau, qui n’a dit que quelques très grosses âneries, que l’on ne peut pas répéter; également violemment applaudi. Janet ne peut se retenir de remarquer que lui aussi a déjà entendu votre nom. Il est vrai qu’il ne sait absolument rien de votre enseignement, mais qu’il est convaincu que tout est du non-sens. Heilbronner d’Utrecht trouve seules discutables comme « éléments de votre doctrine (4) » les expériences d’association. Il a trouvé que tout ce que j’avais exposé à ce sujet était illusion, sans parler de Freud. Aschaffenburg n’était pas présent à la discussion, aussi ai-je renoncé à conclure. Auparavant toutefois, Frank de Zurich a parlé énergiquement pour vous, de même Gross de Graz, qui a d’ailleurs abondamment expliqué, dans la section psychologique, la signi­fication de votre théorie, dans la mesure où elle touche à la fonc­tion secondaire (5). Dommage que G[ross] soit un tel psychopathe; c’est une forte intelligence et il a, grâce à sa fonction secon­daire, acquis de l’influence sur les psychologues. J’ai beaucoup parlé avec lui et j’ai vu qv’il est un partisan zélé de vos idées. Après la discussion, le Geheimrat Binswanger, Iéna, m’a dit qu’Aschaffenburg lui avait dit avant sa conférence qu’il fallait que lui (B[inswanger]) l’aide pendant la discussion ! Vous vous souvenez que dans ma dernière lettre je vous ai parlé des lapsus d’Afschaffenburg]. L’autre lapsus, dont j’ai rétrospectivement fait l’expérience, était : « Breuer et moi ayons » c.-à-d. «Breuer et Freud ont ». Tout cela concorde très joliment pour mon diag­nostic. D’ailleurs son absence du lendemain était due à une convocation judiciaire qu’il ne pouvait renvoyer. Si A[schaffenburg] avait été là, je lui aurais absolument dit encore une fois la vérité. Les autres étaient trop sots.

A ma grande surprise, il se trouvait parmi les Anglais un jeune homme de Londres, le Dr Jones (6) (un Celte du Pays de Galles!), qui connaît très bien vos écrits et travaille lui-même psychanalytiquement. Il vous rendra probablement visite par la suite. Il est très intelligent et pourrait peut-être fournir un jour du bon travail.

Oppenheim (7) et Binswanger sont en état de bienveillante neutralité, mais montrent tous deux de l’opposition à la sexua­lité. Malgré l’opposition actuelle, excessivement grande, j’ai acquis la certitude consolante que vos idées pénètrent lentement mais sûrement de plusieurs côtés, justement parce qu’elles ne relâchent pas quiconque les a une fois acceptées.

Janet est un vaniteux, même s’il est bon observateur. Ce qu’il dit et fait maintenant est simplement stérile. Ce qui s’est passé d’autre au congrès est, comme d’habitude, sans importance. J’ai pu une fois de plus constater abondamment que la psychiatrie, sans vos idées, va à son déclin, ce qui est déjà le cas chez Kraepelin. L’anatomie et les tentatives de classification ont encore le dessus, soit les « voies annexes », qui ne mènent nulle part.

J’espère que votre santé se rétablira bientôt complètement. Dans ces circonstances bien sûr je n’ose pas insister sur mes désirs, mais je me réjouirais beaucoup de pouvoir espérer vous revoir pendant les vacances de Noël.

Peut-être puis-je exprimer à cette occasion un désir conçu depuis longtemps mais toujours refoulé : j’aimerais beaucoup posséder une photographie, mais tel que je vous ai connu, et non tel que vous étiez il y a des années. J’ai déjà exprimé ce désir à votre épouse à Vienne. Mais il me semble que la chose soit retombée dans l’oubli. Auriez-vous la grande bonté de m’exaucer peut-être une fois? Je vous en serais extrêmement reconnaissant, car il arrive toujours de temps à autre que j’aie besoin de votre image.

Avec les meilleurs salutations et vœux, votre très dévoué

Jung.


1. Konrad Alt (1861-1922), directeur d’un sanatorium célèbre à Ucht­springe en Saxe. Il est l’auteur du rapport du congrès que publia la Monatsschrift. CF. 43 J, n. 1.

2. Theodor Ziehen (1862-1950), professeur de psychiatrie et de neuro­logie à Berlin (1904-1912), puis à Halle (1917-1930). Entre-temps il s’ctait consacré à la philosophie (positive). Il travailla principalement dans les domaines de la psychologie de l’enfant, des épreuves d’intelligence et de la connaissance du caractère. Ziehen est le premier à avoir utilisé le terme de « complexe accentué par le sentiment » [gefühlsbetonter Komplex], dans son livre Leitfaden der physiologischen Psychologie [Guide de la psychologie physiologique], Iéna 1891. Voir Jones, II, p. 120 et Ellenberger, p. 692. Jung reprit ce terme dans le travail qu’il rédigea avec Riklin en 1904, « Experimentelle Untersuchungen über die Assoziationen Gesunder » [Recherches expérimentales sur les associations d’hommes sains], GW, 2. Jung reconnaît d’autre part textuellement la paternité de Ziehen dans son travail de 1905 sur le diagnostic psychologique pour l’établissement des faits GW, 2, § 733, n. l3. Freud utilisa le terme pour la première fois dans La Psychanalyse et l’établissement des faits en matière judiciaire par une méthode diagnostique, CF. 1 F, n. 2.

3. Heinrich Sachs, professeur de psychiatrie à Breslau.

4. CF. 1 F, n. 2. C’était, le terrain de recherches de Jung, non de Freud.

5. Se référe à une hypothèse de Gross (Die zerebrale Sekundärfunktion, CF. 33 J, n. 6) : il y a deux types psychologiques, qui correspondent respec­tivement à la fonction primaire et à la fonction secondaire du cerveau. CF. l’explication de Jung dans GW, 6, § 528.

6. Ernest Jones (1879-1958) fut bientôt l’un des disciples les plus fidèles de Freud. Il vivait alors à Londres; så snart 1908 professeur à Toronto, Canada. Cofondateur de l’Association américaine de psychanalyse (1911) et de la British Psycho-analytical Society (1913). Il fonda en été 1912 le « comité » des collaborateurs les plus proches de Freud, CF. notice après 321 J, Il est l’auteur de la biographie en trois volumes La Vie et l’œuvre de Sigmund Freud, Paris, 1958-1969; ed. Orig. New York et Londres, 1953- 1957, pour la préparation de laquelle il eut accès à la présente correspon­dance, avec la permission de Jung. CF. C. G. Jung, Briefe, II, p. 365.

7. Hermann Oppenheim (1858-1919), neurologue berlinois, fondateur et directeur d’une clinique privée réputée. Il était parent par alliance d’Abraham, et le soutint en lui envoyant des patients; il se retourna plus tard contre la psychanalyse.

08-12-1907 Jung Freud

55 F

8 déc. 07.

Vienna, IX, Berggasse 19.

Kjære venn og kollega.

Tandis que le « complexe » fait de vous — je ne sais pas bien quoi —, vous me réjouissez par des nouvelles véritablement intéressantes, aux côtés desquelles je ne peux rien placer d’équi­valent. Le congrès à Salzbourg au printemps de 1908 me ren­drait particulièrement fier; je suppose toutefois que vous ne m’y inviteriez pas, comme gênant. Le Dr A— a fait parvenir jusqu’ici — même si ce n’est pas à moi — une description enthousiaste et très finement observée, me semble-t-il, de la manière dont vous apparaissez à l’association de Zurich. Votre Anglais m’est très sympathique du fait de sa nationalité; j’escompte que les Anglais n’abandonneront plus cette cause une fois qu’ils l’auront reconnue. J’ai moins de confiance dans les Français, mais en fait à Genève ce sont des Suisses. L’essai de Claparède sur la définition de l’hystérie (1) aboutit à un juge­ment très compréhensif sur les efforts entrepris jusque-là; l’idée du bâtiment à plusieurs étages provient de Breuer (dans la section générale des Études) (2); le bâtiment lui-même devrait cependant avoir une autre allure, et Claparède en saurait plus long sur son plan s’il avait questionné les malades au lieu des auteurs inutiles. Le travail représente pourtant un progrès; la réfutation de la « suggestion » était très nécessaire. Après votre visite il aura appris, jeg håper, à tenir compte de toutes sortes d’autres choses qu’il néglige encore bien aujourd’hui.

Dans la table des matières d’une nouvelle revue, Folia neurobiologica (3), j’ai trouvé, à ma joie, un exposé : « Jung, la théorie freudienne de l’hystérie ». J’ai ouvert à la page indiquée et j’ai trouvé en réalité — une ligne. Après cette impression traumatisante, je me suis exclu de l’abonnement au nouvel « organe central ».

J’attends pour dimanche prochain la visite d’Abraham qui vient de Berlin.

La dernière semaine s’est passée pour moi à la préparation et à la rédaction d’une conférence que j’ai ensuite faite le 6 de ce mois dans une petite salle chez l’éditeur Heller (4), devant environ quatre-vingt-dix personnes. Cela s’est déroulé sans inci­dent, ce qui est bien suffisant; pour les nombreux poètes et leurs dames ç’aura été un lourd repas. Dans l’ensemble c’était seulement un hors-d’œuvre, pour donner de l’appétit. Den Neue Rundschau s’est assuré la conférence à l’état encore fœtal, elle y sera probablement reproduite. C’était tout de même une incursion dans un domaine que nous avions jusqu’à présent à peine effleuré, sur lequel on pourrait s’établir commodément. Je remarque que j’ai omis de vous indiquer le titre de la confé­rence! Elle s’appelait donc : Le poète et la production de fan­tasmes 5, il y était davantage question de la production des fantasmes que du poète; une prochaine fois nous rétablirons l’équilibre.

Réjouissez bientôt de vos nouvelles votre cordialement dévoué

Dr Freud

5. « Der Dichter und das Phantasieren ». La revue n’était pas la Neue Rundschau, mais la Neue Beuue, fly. I, nei. 10, Mars 1908. Ed. franç. « La création littéraire et le rêve éveillé », i Essais de psychanalyse appli­quée, Paris, 1971. CF. aussi Jones, II, p. 365.


1. « Quelques mots sur la définition de l’hystérie », Archives de psycho­logie, fly. VII, 1908. Voir les « comptes rendus » de Jung.

2. Studier på hysteri, dele. III, « Theoretisches » (Observations théo­riques] de Josef Breuer.

3. Folia neurobiologica, Leipzig, fly. I, nei. 1, Oktober 1907; contient seulement une brève mention de la conférence de Jung à Amsterdam. CF. 43 J, n. 1 og 82 F, n. 3. Le nom de Jung se trouve dans la liste des colla­borateurs fixes de ce nouvel « organe central international pour l’ensemble de la biologie du système nerveux » (sous-titre). Un compte rendu véri­table de la conférence parut dans le volume II, nei. 1, Oktober 1908, p. 140.

4. Hugo Heller (1870-1923), libraire viennois et, quoique profane, l’un des premier membres de la société du mercredi. Sa librairie était un centre culturel de Vienne, et beaucoup de manifestations artistiques, littéraires et musicales prirent place dans le « salon d’art de Heller » — ainsi la première production du chœur des cosaques du Don. Heller fut aussi l’édi­teur, entre autres, par la suite, av Imago et de la Internationale Zeitsch­rift. Voir aussi 58 F, n. 1.

30-11-1907 Jung Freud

54 J

Burghölzli-Zürich, 30, XI. 07.

Æret Professor!

Mardi dernier j’ai fait à l’association des médecins mon exposé (1) de presque une heure et demie sur vos recherches, et il a été accueilli à grands applaudissements. Plus de cent méde­cins étaient présents. Personne, sauf deux neurologues impor­tants, qui ont enfourché le cheval de bataille de la moralité, n’a fait opposition.

Notre séance d’hier de l’association freudienne s’est déroulée très agréablement et avec animation. Le Pr Bleuler a ouvert la séance par quelques vers burlesques et recherchés se rappor­tant à ceux qui vous critiquent. Von Monakow (2) était aussi pré­sent, et a naturellement rapporté les vers à sa personne, ce qui a énormément amusé tous les initiés. On voit ce que peut faire la suggestion de masse — il y avait 25 personnes — Monakow s’est fait tout petit. Cette fois l’opposition a abouti dans l’impasse. Que ce soit un bon présage. Le Dr A — était égale­ment présent. Il exploite encore un peu la névrose.

Ces cinq derniers jours j’ai eu chez moi le Dr Jones (3) de Lon­dres, un jeune homme extrêmement doué et actif; il venait principalement pour parler avec moi de vos recherches. A cause de sa splendid isolation (4) à Londres, il n’a pas encore pénétré trop profondément dans vos problèmes, mais il est convaincu de la nécessité théorique de vos assertions. Il deviendra un appui vigoureux de notre cause; car, outre de bonnes qualités d’esprit, il a de l’enthousiasme.

Le Dr Jones, appuyé par mes amis de Budapest, a suggéré l’idée d’un congrès des partisans de Freud. Ce congrès devrait avoir lieu à Innsbruck ou à Salzbourg au printemps prochain, et être organisé de façon que les participants ne soient pas absents de chez eux plus de trois jours, ce qui devrait pouvoir se faire à Salzbourg. Le Dr Jones est d’avis qu’au moins deux personnes viendraient d’Angleterre; de Suisse il en viendrait au moins quelques-uns.

Mon exposé d’Amsterdam que, pour des raisons qui tiennent au complexe, j’ai toujours oublié de mentionner, doit paraître dans la Monatsschrift fiir Psychiatrie und Neurologie. Il faut encore que je le lime un peu.

Cette semaine je vais à Genève; c’est la deuxième université où vos idées ne trouveront plus le repos.

Recevez les salutations les plus cordiales de votre entièrement dévoué

Jung.


1. « Über die Bedeutung der Lehre Freuds für Neurologie und Psy­chiatrie » [Sur l’importance de l’enseignement de Freud en neurologie et en psychiatrie], Korrespondenz-Blatt für Schweizer Arzte, fly. XXXVIII, 1908, p. 218 sq. GW, 18. Bleuler prit le parti de Jung dans la discus­sion, alors que Max Kesselring, CF. 293 F n. 7, et Otto Veraguth, CF. 115 J, n. 6, défendaient des positions contraires.

2. Constantin von Monakow (1853-193o), neurologue suisse d’origine russe, alors de renommée internationale.

3. Jones relate sa visite à Zurich dans le volume II, p. 41. Il prit part à la troisième séance de la société Freud, den 29 November.

4. L’expression (sous sa forme adjectivale « splendidly isolated ») fut pour la première fois appliquée à la position de l’Empire britannique face à l’Europe par le politicien canadien Sir George Foster, den 16 Januar 1896. La forme « splendid isolation », reprise le 26 fà © vrier 1896 par Lord Goschen, fut vite populaire. Freud l’emploie pour décrire sa propre situation (lettre à Fliess du 7 mer 1900, i La Naissance de la psychanalyse).

24-11-1907 Jung Freud

53 F

24. XI. 07

Vienna, IX, Berggasse 19.

Kjære venn og kollega,

Je vous écris aujourd’hui pour quelque chose de personnel. Ces prochains jours va se présenter à vous un Dr A —, juriste, qui veut étudier l’économie nationale à Zurich, un homme très doué qui a passé toute sa vie dans un trouble très pro­fond, et qui a été brillamment remis grâce au traitement psycha d’un de mes collègues, le Dr Federn (1). Il vous demandera l’auto­risation de pouvoir assister aux séances de votre association, si cela est possible de quelque façon; car son intérêt ne s’est pas éteint avec sa guérison. Il espère que vous ne le désignerez à personne comme ancien patient, et se réjouit probablement de manière plus générale de pouvoir dire quelques mots avec vous. Sa sœur est en traitement chez moi avec des accès hystériques : l’analyse simultanée du couple frère-sœur a livré toutes sortes de confirmations précieuses. Un court chemin mène de là aux deux degrés préparatoires de la Gradiva que vous avez décou­verts. Vous avez certainement raison. Je ne voudrais pas encore trancher avec certitude s’il s’agit réellement d’une sœur morte jeune, ou si Jensen n’a jamais eu de sœur et a élevé une cama­rade de jeu au rang de la sœur toujours désirée. Le mieux serait de l’interroger, mais ses derniers renseignements étaient si imprécis que je n’arrive pas à me décider. La lecture était vraiment très intéressante. Tous les ingrédients de la Gradiva se retrouvent dans Le Parapluie rouge, l’ambiance de midi, la fleur des tombes, le papillon, l’objet oublié, la ruine même enfin. Même le facteur d’improbabilité, la trop grande concor­dance de la réalité avec l’objet fantasmatique est identique, la clairière dans la forêt est la même que dans son souvenir, bien que le lieu soit un autre, et le nouvel amour porte le même parapluie rouge que l’ancien. De certains traits de la Gradiva, on apprend par cette nouvelle qu’ils sont les rudiments de quelque chose de plus significatif. Ainsi le fléau des mouches de la Gradiva, qui est accidentel et seulement élaboré en com­paraison, provient du bourdon du Parapluie rouge, qui, en le molestant, en tant que messager des dieux sauve le héros de la mort. Cette nouvelle est écrite d’une manière abominable­ment dure, mais son sens est très bon. Les objets de l’amour des hommes forment des séries, l’un est le retour de l’autre (Maître de Palmyre) 2, et chacun la reviviscence de l’amour infantile inconscient, sauf que celui-ci doit rester inconscient; dès qu’il est consciemment éveillé, il retient prisonnière la libido, et le nouveau est impossible.

Il faudrait traduire la première nouvelle à peu près ainsi : je l’ai perdue, je ne peux l’oublier et c’est pourquoi je ne peux plus en aimer aucune autre correctement. La seconde —Dans la maison gothique — exprime simplement l’idée : même s> elle était restée en vie, j’aurais dû la perdre, en la mariant à un autre (ce ne peut donc probablement être que la sœur), et ce n’est que la troisième, notre Gradiva, qui surmonte complète­ment la douleur, en assurant : je la retrouverai, ce qui chez le vieil homme ne peut être qu’un pressentiment de la mort et une consolation par l’au-delà chrétien, présentée dans un matériel tout à fait contraire. Dans les deux nouvelles, il n’y a pas trace d’une indication sur la « démarche » de la Gradiva. Dans celle-ci, la vue fortuite du relief doit avoir suscité un nouvel éveil du souvenir de la morte. Que pensez-vous à présent de cette cons­truction hardie : la petite sœur était malade depuis toujours et boitait avec le pied en pointe (3); plus tard elle est morte de tuberculose. Cet élément pathologique devait être exclu par la fantaisie, qui embellit. Mais un jour l’homme en deuil remar­que, sur le relief qu’il a rencontré, que ce signe de maladie aussi, le pied en pointe, peut être transformé en charme et avantage, et ainsi était achevée la Gradiva, nouveau triomphe du fan­tasme qui exauce les désirs (4).

Med min hjertelig hilsen,

votre Dr Freud.

1. Paul Federn (1871-1950), spécialiste de médecine interne à Vienne, l’un des tous premiers adeptes de la psychanalyse, 1904, et collaborateur très proche de Freud. Vécut à New York à partir de 1938.

2. Drame publié en 1889 d’Adolf von Wilbrandt (1837-1911),

3. Original : Spitzfuss (talipes equinus), une difformité du pied dans laquelle la plante est tournée vers l’arrière et les orteils vers le bas.

4. CF. la postface à la seconde édition de l’étude sur la Gradiva, où Freud reprend et expose ces idées.

15-11-1907 Jung Freud

52 F

15. XI. 07

Vienna (1) IX, Berggasse 19.

Kjære venn og kollega,

Det er alltid for meg en start på dagen fornøyde når postkontoret bringer invitasjonen til møtet i din association som bærer mitt navn; malheureusement le temps ne suffit alors en général pas pour que je parvienne à y participer au moyen du train rapide. Les nouvelles au sujet de vos événe­ments intérieurs sont rassurantes à entendre; le transfert en provenance de la religiosité me semblerait particulièrement fatal; il ne pourrait en effet se terminer que par la démission, à cause de la tendance générale des hommes à tirer sans cesse de nouvelles copies des clichés qu’ils portent en eux. Je ferai donc mon possible pour me faire connaître comme inapte à servir d’objet de culte, et vous pensez probablement que je m’y suis déjà mis. Dans ma dernière lettre, j’étais irrité et j’avais mal dormi; peu après, je me suis ressaisi et je me suis dit des choses semblables à celles que me propose votre lettre, à savoir que nous avons de bonnes raisons d’être satisfaits. En outre nous ne voulons pas tomber dans l’erreur de juger la fermentation uniquement d’après les bulles qui montent dans la littérature. Les transformations les plus décisives ne se ratta­chent pas obligatoirement à telle ou telle publication expresse. Un jour on s’aperçoit qu’elles sont accomplies.

La publication de Binswanger, provenant d’une forteresse de l’orthodoxie, sera remarquée en Allemagne malgré le texte pacificateur de l’oncle qui l’accompagne. Avec ce jeune homme vous avez en tout cas fait une passe brillante. Croyez-vous qu’il soit assez résistant et endurant pour fonder de son côté un foyer d’infection?

J’ai reçu hier un travail de Warda (2), tiré du volume d’hom­mages à Binswanger sen. Il a de la bonne volonté, dont il a déjà fait preuve dans des travaux précédents, mais il semble tout à fait privé de talent; il est de ceux qui, tout seuls, n’avan­cent pas d’un iota, et ainsi le travail fait une impression misé­rable.

Imaginez que je n’ai pas reçu de Näcke le tiré à part de son travail (3), bien que je l’aie exigé dans la correspondance, pas plus d’ailleurs que celui d’Aschaffenburg (4), qui pourtant m’a envoyé la première attaque par politesse. Je serais toutefois bien inconsolable si je ne devais pas entrevoir votre confé­rence du congrès d’Amsterdam.

Il y a quelque temps, un Dr Kutner (5) de Breslau, autrefois assistant de Wernicke, m’a écrit qu’il voulait venir à Vienne chercher son premier enseignement de Psycha. Je lui ai honnête­ment exposé ce que je pouvais fournir en fait d’enseignement en une courte visite, et combien c’est peu, et il n’a plus fait signe depuis lors.

Je dois vous avouer que je ne travaille actuellement à rien; sans doute ça continue à travailler en moi sans interruption. L’essai de Riklin sur les contes devrait à présent être corrigé jusqu’au bout. Den Gradiva n’a vraiment pas de destinées du tout. L’ennuyeux libraire me fait encore attendre les deux nouvelles de Jensen!

Réjouissez bientôt de vos nouvelles votre cordialement dévoué

Dr Freud.

1. Nouveau papier à lettres, à en-tête imprimé : « Vienne ».

2. Wolfgang Warda, membre fondateur de l’Association berlinoise de psychanalyse (1910); la quitta en 1911. Son essai « Zur Pathologie und Therapie der Zwangsneurose » [Pathologie et thérapeutique de la névrose obsessionnelle] se trouve dans : Monatsschrift für Psychiatrie und Neuro­logie, fly. XXII, 1907, supplément.

3. CF. 49 J, n. 2.

4. CF. 43 J, n. 1.

5. Sans doute Robert Kutner (1867-1915), urologue, plus tard à Berlin.

08-11-1907 Jung Freud

51 J

Burghölzli-Zürich, 8. XI. O7.

Æret Professor!

Recevez les plus cordiaux remerciements pour votre lettre (1) qui a agi de manière bienfaisante. Vous avez bien raison de louer l’humour comme la seule réaction convenable à l’inévi­table. C’était aussi mon principe, jusqu’à ce que le refoulé prenne malgré tout le dessus, par moments seulement, heureu­sement. Ma religiosité autrefois très vive s’est clandestine­ment créé une compensation auprès de vous, qu’il me fallait une fois prendre en main, et cela n’était possible que sur le chemin de la communication. Je voulais prévenir par là des troubles dans mes actes. Mais au reste je crois à mon humour, qui ne m’abandonnera pas aux endroits dangereux. Le but commun du travail fournit un contrepoids salutaire et bien plus lourd.

Ce serait très bien si vous pouviez choisir Noël, c’est-à-dire les jours qui suivent le second jour de Noël, pour votre visite à Zurich. Vous ne devez en aucun cas croire que votre venue incommodera de quelque façon mon chef; il sera « affairé » comme toujours, et fera montre envers vous d’un intérêt scien­tifique inhabituel, qui stupéfie tout profane par la grandeur de sa modestie et de son humilité. Mon chef est l’exemple le plus remarquable d’un caractère secondaire parfaitement réussi, un problème « digne de la sueur des hommes nobles (2) ».

Pâques est hélas un peu loin; voilà en fait la seule raison valable que j’aie de préférer Noël.

Dans la Zeitsclirift fur Sexualwissenschaft (3), la rédaction me semble avoir beaucoup d’importance. Si les « 175 »(4) ont la chose en main, cela n’offre pas encore la garantie de son carac­tère scientifique. Il me semble a priori suspect qu’on ne vous ait pas invite à collaborer. Je ne pense toujours pas qu’une voie s’offre là à vos idées. Je crois que le chemin le plus plane va via la psychiatrie. Les progrès de votre cause en Suisse ont pris ce chemin, et compte tenu du peu de temps, le résultat est beau. Je suis aussi appelé maintenant à exposer la signification de votre enseignement devant la société cantonale des médecins. Actuellement le second médecin de l’asile d’aliénés de Préfargier (5) se trouve ici pour se faire initier. Le Dr Jones de Londres s’est annoncé pour le 20.XI dans la même intention. Cela marche donc aussi bien qu’on peut le souhaiter. Si l’Allemagne veut rester à la traîne, d’autres peuvent bien venir en tête. Par ail­leurs Binswanger jun. m’écrit qu’il publiera une analyse(6)faite à la clinique d’Iéna avec une préface de son oncle. Cela mérite un multiple point d’interrogation. Ce serait toutefois très bien. Ce qui est sûr à présent, c’est que la cause ne s’endor­mira plus jamais. Le pire, c’est de tuer une cause par le silence. Ce stade devrait être surmonté.

Recevez les meilleures salutations et bien des remerciements de votre entièrement dévoué

Jung.


1. Non conservée.

2. Citation de l’ode de Klopstock Der Zürchersee [Le lac de Zurich) 1750.

3. CF. 74 F n. 2.

4. Expression familière désignant les homosexuels : en effet, le § 175 du code pénal allemand en vigueur à l’époque punissait « les relations contre nature entre personnes du sexe masculin ».

5. A Marin, canton de Neuchâtel. Le nom du médecin reste inconnu.

6. Versuch einer Hysterieanalyse [Essai d’analyse d’une hystérie]. CF. 167 F, n. 2.

02-11-1907 Jung Freud

5o J

Burghözli-Zurich, 2. XI. 07.

Æret Professor!

Je tombe dans toutes les inquiétudes du malade traité analytiquement, car je suis contraint de me représenter toutes les craintes d’éventuelles conséquences de ma confession. Il faut encore que je vous communique une consé­quence qui devrait vous intéresser. Vous vous rappelez sans doute que je vous ai raconté un court rêve que j’ai fait quand j’étais à Vienne. Je n’étais alors pas parvenu à la solution. Vous avez cherché la solution sur le terrain du complexe de concurrence. J’avais rêvé que je vous voyais marcher à côté de moi sous la forme d’un vieillard extrêmement âgé et fra­gile (1). Cela m’a dès lors vivement préoccupé de temps en temps, mais sans succès. Ce n’est qu’après que je vous ai avoué mon chagrin que la solution est venue (comme d’habitude). Mon rêve me rassure quant au +++ danger (2) que vous représentez ! Je ne pouvais avoir cette idée à ce moment, naturellement pas! J’espère que les dieux souterrains me laisseront maintenant en paix avec ces tracasseries.

Je ne sais pas si je vous dis quelque chose de nouveau en vous communiquant que l’histoire infantile de Jensen est claire à présent. La solution se trouve de manière extrêmement belle dans les nouvelles Le parapluie rouge og Dans la maison gothi­que (3). Ces deux morceaux sont de merveilleux parallèles à la Gradiva, allant jusque dans les moindres finesses. Le problème est celui de Vamour entre frères et sœurs. Jensen a-t-il une sœur? Je renonce à vous étaler les détails. Je ne ferais que vous gâter le charme de la découverte.

Je suis devenu pour mes mérites comme occultiste « honorary fellow of the American Society for Psychical Research (4) ». En cette qualité je me suis à nouveau occupé un peu davantage de phénomènes occultes. Vos découvertes font ici leurs preuves de la façon la plus brillante. Que pensez-vous de ce domaine?

J’entretiens l’espoir le plus vif que vous viendrez à Zurich pendant les vacances de Noël. Je pourrai certainement alors vous accueillir comme hôte dans ma maison?

Avec les meilleures salutations, votre très dévoué

Jung.


1. CF. le rêve semblable dans Jung, Ma vie, p. 190.

2. den + + + sont rajoutées. CF. 11 F n. 7

3. Dans le volume Übermächte [Puissances supérieures], Berlin, 1892.

4. Dirigée par le philosophe américain James Hervey Hyslop ( 1854-1920), qui l’avait fondée en 1906. C’est sans doute lui qui proposa l’élec­tion de Jung.