04-12-1906 Jung à Freud

7 J

Burghölzli-Zurich, 4. XII. 1906

Très honoré Monsieur le Professeur!

Je dois avant tout vous exprimer ma sincère reconnaissance de ce que vous ne m’en avez pas voulu de divers passages de mon « apologie (1) ». Si je me suis permis de faire certaines restric­tions, ce n’était aucunement pour critiquer votre doctrine, mais par politique, comme vous aurez certainement remarqué. Comme vous le dites justement, je laisse aux adver­saires la liberté de répliquer, dans l’intention consciente de ne pas rendre la révocation par trop difficile. Ce sera bien assez difficile comme cela. Si on attaquait l’adversaire comme il le mérite vraiment, il ne s’ensuivrait qu’une discorde grosse de malheurs, qui n’aurait que des conséquences désavantageuses. Déjà telle qu’elle est, on trouve ma critique trop acerbe. Si je me contente de la moindre partie de ce qu’on peut défendre, c’est simplement parce que je ne peux défendre qu’autant de choses que j’en ai moi-même appris dans l’expérience, et cela, comparé à votre expérience, est naturellement très peu. Je suis seulement sur le point de comprendre nombre de vos assertions et certaines me sont encore inaccessibles, par quoi je ne veux pas dire, comprenez-moi bien, que vous avez tort. J’ai appris peu à peu à être prudent dans l’incroyance aussi.

J’ai suffisamment vu que l’opposition a sa racine dans les affects, et je sais aussi qu’aucune raison ne remédie à cela.

Si je sous-estime en apparence les succès thérapeutiques de la psychanalyse (2), c’est seulement par égard diplomatique; je me fais les réflexions suivantes :

1. Le gros des hystériques incultes est inapte à la psycha­nalyse. J’ai fait ici en partie de mauvaises expériences. Dans ces cas l’hypnose donne occasionnellement de meilleurs résultats.

2. Plus la psychanalyse se fera connaître, plus de médecins impropres s’y adonneront et feront bien entendu beaucoup de mauvaises expériences. On mettra alors cela à votre compte et au compte de votre science.

3. Le concept d’hystérie est pratiquement encore tout à fait inéclairci. On trouve encore sous le diagnostic d’ « hysté­rie » d’innombrables cas de légère hébéphrénie, et chez ceux-là le résultat va du douteux au mauvais, ce que je sais par ma propre expérience. (Dans certaines exceptions il est vrai que le résultat était passagèrement bon.) On voit dans une publi­cation récente de la clinique de Heidelberg (3) combien il règne peu de clarté dans ce domaine : un cas indubitable de catatonie y a été déclaré comme étant une hystérie.

Pour ces raisons j’ai considéré comme plus prudent de ne pas m’appuyer trop sur le succès thérapeutique, sinon on aura vite rassemblé un matériel apte à y montrer que le résultat théra­peutique est très mauvais, ce qui ferait du mal à la théorie également.

Personnellement je suis plein d’enthousiasme pour votre thérapeutique et je sais fort bien en apprécier les excellents services. D’une manière générale, votre enseignement signifie pour nous, maintenant déjà, un énorme accroissement de nos connaissances et l’expression d’une nouvelle ère de perspectives infinies.

Votre très dévoué

Jung.


1. La lettre de Freud n’a pas été conservée.

2. Psychanalyse, forme du mot en usage dans le groupe de Zurich

3. N’a pas été identifiée.