08-11-1907 Jung à Freud

51 J

Burghölzli-Zurich, 8. XI. O7.

Très honoré Monsieur le Professeur!

Recevez les plus cordiaux remerciements pour votre lettre (1) qui a agi de manière bienfaisante. Vous avez bien raison de louer l’humour comme la seule réaction convenable à l’inévi­table. C’était aussi mon principe, jusqu’à ce que le refoulé prenne malgré tout le dessus, par moments seulement, heureu­sement. Ma religiosité autrefois très vive s’est clandestine­ment créé une compensation auprès de vous, qu’il me fallait une fois prendre en main, et cela n’était possible que sur le chemin de la communication. Je voulais prévenir par là des troubles dans mes actes. Mais au reste je crois à mon humour, qui ne m’abandonnera pas aux endroits dangereux. Le but commun du travail fournit un contrepoids salutaire et bien plus lourd.

Ce serait très bien si vous pouviez choisir Noël, c’est-à-dire les jours qui suivent le second jour de Noël, pour votre visite à Zurich. Vous ne devez en aucun cas croire que votre venue incommodera de quelque façon mon chef; il sera « affairé » comme toujours, et fera montre envers vous d’un intérêt scien­tifique inhabituel, qui stupéfie tout profane par la grandeur de sa modestie et de son humilité. Mon chef est l’exemple le plus remarquable d’un caractère secondaire parfaitement réussi, un problème « digne de la sueur des hommes nobles (2) ».

Pâques est hélas un peu loin; voilà en fait la seule raison valable que j’aie de préférer Noël.

Dans la Zeitsclirift fur Sexualwissenschaft (3), la rédaction me semble avoir beaucoup d’importance. Si les « 175 »(4) ont la chose en main, cela n’offre pas encore la garantie de son carac­tère scientifique. Il me semble a priori suspect qu’on ne vous ait pas invite à collaborer. Je ne pense toujours pas qu’une voie s’offre là à vos idées. Je crois que le chemin le plus plane va via la psychiatrie. Les progrès de votre cause en Suisse ont pris ce chemin, et compte tenu du peu de temps, le résultat est beau. Je suis aussi appelé maintenant à exposer la signification de votre enseignement devant la société cantonale des médecins. Actuellement le second médecin de l’asile d’aliénés de Préfargier (5) se trouve ici pour se faire initier. Le Dr Jones de Londres s’est annoncé pour le 20.XI dans la même intention. Cela marche donc aussi bien qu’on peut le souhaiter. Si l’Allemagne veut rester à la traîne, d’autres peuvent bien venir en tête. Par ail­leurs Binswanger jun. m’écrit qu’il publiera une analyse(6)faite à la clinique d’Iéna avec une préface de son oncle. Cela mérite un multiple point d’interrogation. Ce serait toutefois très bien. Ce qui est sûr à présent, c’est que la cause ne s’endor­mira plus jamais. Le pire, c’est de tuer une cause par le silence. Ce stade devrait être surmonté.

Recevez les meilleures salutations et bien des remerciements de votre entièrement dévoué

Jung.


1. Non conservée.

2. Citation de l’ode de Klopstock Der Zürchersee [Le lac de Zurich) 1750.

3. Cf. 74 F n. 2.

4. Expression familière désignant les homosexuels : en effet, le § 175 du code pénal allemand en vigueur à l’époque punissait « les relations contre nature entre personnes du sexe masculin ».

5. A Marin, canton de Neuchâtel. Le nom du médecin reste inconnu.

6. Versuch einer Hysterieanalyse [Essai d’analyse d’une hystérie]. Cf. 167 F, n. 2.