Forfatter Arkiv: admin

25-03-1914 Freud til Abraham

* Vienna, IX, Berggasse 19

25.3.14.

Cher ami,

Ci-joint la lettre de Jones. Il est remarquable de voir comment chacun de nous, à tour de rôle, est saisi par l’impulsion de frapper mortellement, au point que les autres, sont obligés de le retenir. Je pressens que ce sera Jones qui nous produira le prochain plan d’action. A cette occasion, la fonction de la colla­boration au sein du Comité se manifeste à plein. Nous repar­lerons de tout cela. Le numéro critique de la Zeitschrift vient de paraître, il nous épargnera peut-être de prendre certaines décisions.

Vous n’avez pas dit quand vous ferez le petit voyage que vous avez bien mérité.

Depuis que j’ai terminé le Narcissisme, je suis dans une mau­vaise passe. Un mal de tête fréquent, des difficultés intesti­nales, et déjà une nouvelle idée de travail qui va accroître les difficultés de l’été, étant donné qu’elle implique nécessaire­ment de résider dans un lieu calme et exclut donc un séjour à l’hôtel. D’une manière générale, notre été, jusqu’ici, a tout du sphinx.

Jeg hilser deg hjertelig, vous et votre chère femme.

Votre fidèle

Freud.

25-03-1914 Freud à Jones

25 Mars 1914

Vienna, IX. Berggasse 19

Cher Jones,

Votre lettre est bien arrivée un jour après que j’eus posté la mienne. La même matinée, j’ai pu lire votre habile réponse à la proposition d’Abraham et, dans l’après- midi, j’ai su les détails de votre maladie par un rapport de Lina à Loe. Eh bien, je suis vraiment ravi que vous vous soyez rétabli aussi vite et que vous ayez pu compter sur vos amis. Promettez de ne pas recommencer.

Votre précédente lettre m’a rappelé que je m’étais trompé en croyant vous avoir tenu au courant des résultats de l’examen de Loe. Comme je puis supposer que rien ne vous intéresserait davantage, je peux commencer cette lettre (destinée à être plus longue que d’ordinaire, car je souffre de migraine, d’indigestion, osv.) en retraçant ce que j’ai manqué. L’examen a fait apparaître une légère pyélite (pas grave) de part et d’autre, une cystite qu’on n’attendait pas (sans symptômes), un rein gauche (doulou­reux) en bon état, et un rein droit en mauvais état; ça n’a pas expliqué la douleur constante du côté gauche (torsion, cicatrice ou hystérie), ni éclairé l’état de l’urètre gauche, censé être dilaté et de nature à retenir des concrétions. La radio aurait fait apparaître quelque chose de sombre sur un point correspondant [au point de] à la partie [grossière(1)] de l’urètre en cause, même si, bien entendu, je ne puis tirer quoi que ce soit de cette photographie. Elle n’a pas été très bien depuis l’examen, mon impression étant qu’elle plonge maintenant dans la névrose qui peut se révéler utile en cas d’ajournement du mariage.

Elle porte désormais un intérêt théorique à la ψα, se prêtant de bonne grâce à l’ana­lyse, tout en restant fermement convaincue (autrement dit, décidée) que cela ne chan­gera rien. Je sais (pas elle) qu’elle avait l’intention de donner à son père un enfant, […(2)], accumulant à cette fin le contenu du circuit alimentaire, et enrageant contre la mère, qui avait provoqué « une fausse couche », qui avait détruit l’enfant en formation par les lavements quotidiens. La révulsion est survenue après qu’elle a pris un mari (vous le connaissez) qui a rempli deux conditions paternelles importantes (l’une étant « aider le père », l’autre, « montrer son pénis à l’enfant ») ; elle s’est métamorphosée en sa mère, et depuis la mère et elle ne cessent de se disputer dans son âme.

Mon intéressant « Verschreiben » a bien pu éveiller votre méfiance. Mais souvenez-vous que je n’ai pas essayé de le dissimuler, et que j’ai même attiré votre atten­tion sur lui(3). Quelques jours auparavant, j’ai commis la même faute avec Rank, peut-être avec le même résultat indésirable. Je me suis plaint du manque de fiabilité et de la négligence de Reik, et comme Rank et Sachs me l’ont certifié, j’ai prononcé « Rank » au lieu de « Reik (4) ». Or aucun reproche ne serait plus injuste dans le cas de Rank. L’explication est ailleurs. C’est un tour commun de mon inconscient de sup­planter une personne que je n’aime pas par une meilleure (voir le premier rêve sur «l’Injection d’Irma(5)»). Rank à la place de Reik est l’équivalent de la pensée: Pour­quoi ne peut-il être comme vous ? C’est de la tendresse voilée, tout comme dans votre cas. Vous vous souvenez peut-être qu’après le Congrès de Munich(6) je ne pou­vais prononcer le nom de «Jung» et qu’il me fallait toujours le remplacer par «Jones».

Votre lettre à Abraham nous a paru convaincante à tous (Ferenczi étant présent ce dimanche) ; nos pensées étaient déjà engagées sur la même voie. Il est impossible d’accélérer le Jahrbuch, la prochaine échéance est fin juillet. Peut-être une attaque pourrait être risquée du côté de l’inactivité totale et de la paresse du Central ; il n’y a pas trace de Correspondentzblatt depuis septembre. Le seul scrupule est que nous serions malheureux d’en avoir, donc mieux vaut ne pas les presser.

Le rapport d’activité de votre lettre (non perdue) était très prometteur, et l’épi­sode du crocodile fort amusant. Je suis sûr que d’ici un an vous serez capitaine à la tête de l’armée.

Fisher Unwin (je ne sais jamais si je vous donne des nouvelles pour la première ou la deuxième fois) négocie l’édition anglaise, non seulement de l «Alltagsleben», mais aussi de Totem & Tabou et av Witz (7). Federn aura la bonne fortune d’aller en Amérique afin de poursuivre le traitement d’un homme riche, il en avait terriblement besoin.

Le War Office de Washington m’a demandé mon portrait pour la collection du Medical Museum et la bibliothèque. L’eau-forte exécutée à la demande de Heller est maintenant sortie ; certains amis la trouvent excellente, la famille abominable ; Loe est de cet avis.

Maintenant que notre numéro critique est paru, attendons de voir l’effet(8).

Avec mes sentiments les meilleurs et toutes mes amitiés

bien à vous

Freud


1. Rayé dans l’original.

2. Mot illisible, rayé dans l’original.

3. Voir lettre 181, note 4.

4. Theodor Reik (1888-1970), docteur en psychologie de l’Université de Vienne en 1911 ; exerça « l’analyse profane» ; accusé de charlatanisme en 1926, il fut acquitté avec l’aide de Freud ; auteur proli­fique, ses contributions touchent à tous les domaines, de la psychanalyse à l’autobiographie en passant par l’anthropologie et la littérature.

5. Le premier de ses rêves dont Freud ait fait une interprétation détaillée; voir Freud (1900a, p. 106-121 ; trad., p. 253-257).

6. International Psychoanalytic Association, 7-8 septembre 1913.

7. Fisher Unwin devait en sortir deux ; voir Brill (1914, 1916c).

8. Den Zeitschrift contenant trois critiques de Jung: Abraham (1914), Jones (1914c) et Ferenczi (1914).

23-03-1914 Jones à Freud

23 Mars 1914

69 Portland Court, Londres

Cher professeur Freud,

J’ai reçu aujourd’hui votre lettre datée du 19, et je vois que ma dernière lettre a dû s’égarer ou prendre du retard. Je vous ai écrit six pages pleines le 13, et les ai pos­tées en milieu de journée, den 14. Peut-être l’avez-vous enfin reçue.

Je vous félicite sincèrement de la naissance de votre premier petit-enfant, et je suis sûr que vous en êtes fier.

Vos observations sur Loe m’ont intéressé (j’ose dire qu’il vous est plus facile de comprendre pourquoi je l’ai aimée que les raisons pour lesquelles je l’ai aussi haïe), mais j’ai hâte de savoir si l’examen urologique a eu lieu, et quels en sont les résultats.

Ma propre maladie, dont je vous faisais une description dans la lettre perdue(1)(elle n’a pas assez d’intérêt pour que je la répète), appartient maintenant au passé, et je me remets au travail avec ardeur.

Je rendrai compte du livre de Prince sur l’ Unconscious (qui, bien entendu, n’a rien à voir avec le véritable inconscient(2), et demanderai à Eder de parler du Tuckey (3). Constance Long avait rédigé sa contribution avant de rencontrer Jung, et tout ce qu’elle peut avoir de valeur, elle le doit à Eder et à Bryan, qui ont donné les exem­ples, etc. Comment interprétez-vous votre Verschreiben à cet égard (peut-être a-t-il été écrit avant que [vous] elle n’ait entendu l’évangile de Jung (4) ?

Avant cette lettre, vous aurez reçu ma réponse à Abraham, à moins qu’elle ne se soit également égarée (elle avait la même date que l’autre lettre). Je préférerais attendre la parution du Jahrbuch. Y a-t-il une chance qu’elle soit avancée?

Faites-moi savoir, je vous prie, si ma lettre ne vous parvient pas, parce qu’en ce cas il me faudra répéter une partie de son contenu (ce qui se passe à Londres, osv.).

Amitiés sincères

Bien à vous

Jones.


1. En réalité, elle ne s’était pas perdue.

2. Voir lettre 7, note 10.

3. Pour le compte rendu d’Eder, se Zeitschrift, 2, 1914, p. 178-179.

4. Rayé dans l’original.

23-03-1914 Ferenczi à Freud

466 Fer

INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/ Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8 Verlag Hugo Heller & , Wien, I. Bauernmarkt Nu 3 Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = Mk. 18.

Budapest, den 23 Mars 1914

Cher Monsieur le Professeur,

En toute hâte, seulement ceci : je dois à vos explications d’hier (1) sur la « protestation virile », le dénouement d’une résistance d’un an et demi, et ce dès le premier jour. Le patient (ingénieur) a toujours frémi d’horreur à l’idée, notamment, de déchirer et d’effilocher des morceaux de viande. (Chaque fois, j’ai interprété cela correctement comme une angoisse de castration.) Aujourd’hui, entre autres, les associations suivantes: (1) une dent à moitié cassée, terriblement douloureuse. (2) Trois barres de fer attachées par des anneaux et cassées en deux. (3) Une saucisse cuite. Quand je lui ai dit qu’il était en peine pour son pénis, c’est-à-dire pour sa virilité, qu’il devrait sacrifier à mon amour s’il voulait me satisfaire en tant que femme, sa résistance s’est dénouée tout d’un coup, il s’est arrêté de vitupérer et a commencé à travailler correctement (2).

Hier déjà, l’importance énorme du savoir sur la vraie nature de la pro­testation virile m’a tout de suite sauté aux yeux. Je crois que je n’aurais jamais trouvé cela moi-même, à cause de mes propres complexes inconscients analogues.

Je me réjouis de pouvoir vous envoyer si rapidement cette confirmation.

Cordialement,

votre Ferenczi


(1) Lors de la visite de Ferenczi, le dimanche 22 Mars.

(2) Cette suite d’idées a joué un grand rôle dans l’analyse de «l’Homme aux Loups» par Freud, Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (1918/» [1914]) in Cinq psychanalyses, pp. 325- 420, dont l’analyse, commencée en 1910, tirait justement à sa fin. Par exemple : « Il semblerait ainsi qu’au cours de ce rêve, il se fût identifié avec la mère châtrée et se fût débattu alors contre cette identification. ” Si tu veux être sexuellement satisfait par le père se serait-il dit à peu près, ” il faut que tu admettes, comme ta mère, la castration. Mais je ne veux pas!” Bref, une évidente protestation de virilité! », ibid., p. 358. Voir aussi p. 392 : « L’enfant émit l’assertion que, pendant le coït de la scène primitive, il avait observé la disparition du pénis, qu’il avait, par suite, eu pitié de son père et s’était réjoui en voyant reparaître ce qu’il avait cru perdu. »

19-03-1914 Freud à Jones

19 Mars 1914

Vienna, IX. Berggasse 19

Mon cher Jones,

Est-il vrai que vous êtes malade ? Que vous n’écriviez pas semble confirmer la rumeur. Dites-m’en davantage, j’espère que ce n’est rien de plus que vos rhuma­tismes.

J’ai reçu aujourd’hui deux livres, que vous devez connaître, Treatment by Hypnos, osv., de Lloyd Tuckey, dernière édition, qui évoque la ψα dans la préface et un chapitre spécial de Const. Long(1), og Unconscious, de Morton Prince(2). L’essai de Long ne porte aucune trace de l’infection suisse (peut-être a-t-il été écrit avant que [vous(3)] elle n’ait entendu l’évangile de Jung(4)) ; quant à l’ Unconscious de Prince, il n’a proba­blement rien à voir avec la force authentique avec laquelle nous bataillons quelques heures par jour. Je suis sûr que vous ferez une recensión de ces deux ouvrages dans la Zeitschrift (5).

J’ai fini mes deux travaux, Beiträge et Narcissm, et me sens disponible pour de nouvelles aventures. Vous ne devez pas compter sur mon enthousiasme dans aucun des deux cas (6). Moïse sort tout juste des presses (7), mieux vaut sans doute ne pas recon­naître cet enfant en public.

Ma fille de Hambourg (8) vient de donner naissance à un garçon, Ernst Wolfgang, den 11 de ce mois, tout s’est passé à merveille et tout va pour le mieux à l’heure qu’il est, le garçon n’est pas très solide et n’a pas encore manifesté ses instincts de conser­vation en suçant ce qui lui est donné à profusion. J’espère qu’il peut encore apprendre.

Pour ce qui est de Loe, nous sommes en excellents termes, je commence à mieux comprendre son histoire, qui est fort intéressante, et j’avoue admirer vivement son obstination et son énergie, dont une partie est encore canalisée vers des objectifs irra­tionnels. Comme vous le savez, son cas s’est révélé mélangé, et il est difficile de dire précisément de quoi est fait le mélange. Herbert Jones se conduit toujours de manière irréprochable, le sort pourrait bien tirer le meilleur parti de lui.

Abraham a fait montre de grands talents dans l’organisation du Jahrbuch. Sa pro­position est certainement de vous occuper à cette heure.

Lucy Hoesch Ernst m’a quitté hier à mon grand soulagement. C’est un fardeau.

En espérant avoir de vos nouvelles dès que possible.

Fidèlement à vous

Freud



1. Constance Long, An Introduction to Psycho-Analysis, in C. Lloyd Tuckey, Treatment by Hypno­tism and Suggestion, 6e éd., Londres, Ballière, Tindal & Cox, 1913.

2. Prince (1914).

3. Rayé dans l’original.

4. Dans la marge de gauche, l’erreur est soulignée par « ! ! ». Le lapsus est expliqué dans la lettre 183.

5. Jones n’en fit rien.

6. Freud (1914 d, 1914 c).

7. Freud (1914 b).

8. Sophie Freud Halberstadt.

18-03-1914 Freud à Ferenczi

465 F

Prof. Dr. Freud

den 18 Mars 1914 Vienna, IX. Berggasse 19

Cher Ami,

Votre visite ce dimanche me paraît d’autant plus souhaitable que ce sera le premier dimanche sans travail, depuis des mois. Le Narciss.[isme] est arrivé à Berlin après avoir fait toutes les étapes intermédiaires. Il ne m’a pas satisfait (1).

Mes plus cordiaux remerciements à Madame G. pour son aimable missive. Comme toutes les dames, elle n’a pas mis d’adresse sur sa lettre.

Je vous attends dans la matinée, de bonne heure,

Au revoir, votre Freud

1. Freud manifesta la même insatisfaction dans ses lettres à Abraham (16 III et 6 IV 1914, Correspondance Freud-Abraham, pp. 171 og 175).

16-03-1914 Ferenczi à Freud

464 Fer

INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE Herausgegeben von Professor Dr Sigm, Freud Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/ Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8 Verlag Hugo Heller & , Wien, I. Bauernmarkt N° 3 Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = Mk. 18.

Budapest, den 16 Mars 1914

Cher Monsieur le Professeur,

En complément à mes félicitations, je me contente de vous informer que je voudrais passer dimanche prochain (22 Mars) à Vienne, pour faire avec vous le tour de toutes les questions personnelles, professionnelles et scien­tifiques, avant le voyage de Pâques,

Veuillez avoir l’amabilité de me répondre si je peux venir sans être importun.

Cordiales salutations de

Ferenczi

Quant au plan d’Abraham (1), par avance, je vous dis que je recommande d’attendre d’abord l’effet des bombes (2) et de n’avancer, éventuellement, qu’après la parution du Jahrbuch.

1. Il n’a été publié qu’une version abrégée de la lettre d’Abraham du 16 III 1914, de sorte que son plan ne peut être qu’indirectement déduit de la réponse de Freud : « … votre pro­position d’agression contre Jung ». Freud à Abraham du 16 III 1914, Correspondance Freud- Abraham, p. 171.


(2) La parution des discussions critiques dans la Zeitschrift (se 470 F, note 3) et de la « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique » de Freud dans le Jahrbuch.

16-03-1914 Freud til Abraham

Vienna, IX, Berggasse 19

16.3.14.

Cher ami,

Je vous envoie demain le Narcissisme; ce fut un accouche­ment difficile, il en présente toutes les déformations. Evidem­ment, il ne me plaît pas particulièrement, mais actuellement, je ne peux rien livrer d’autre. Il a encore besoin d’être très retouché. (Vous voyez à quoi vont mes pensées.) Je vous demande de choisir vous-même l’endroit où je dois insérer votre premier travail (Salzbourg), de même que, d’une manière générale, je serai reconnaissant pour toutes formes d’objections. Je tiendrai compte de vos remarques concernant les « Contri­butions » en corrigeant les épreuves.

Nous devons discuter demain soir avec Rank et Sachs de votre proposition d’agression contre Jung. Je suis impatient surtout de connaître la réponse de Londres, où des difficultés pourraient facilement apparaître.

Je pense que les choses se passent très bien à Hambourg et que ma fille continue de faire preuve de vaillance et de sagesse. Elle peut déjà nourrir, mais le petit animal ne boit pas encore comme il faut. Il est étrange que même ces instincts vitaux primordiaux aient tant de peine à s’éveiller. J’ai tou­jours cru que les paroles de Méphistophélès à l’élève (« C’est ainsi que dans les débuts un enfant accepte avec réticence le sein de sa mère[1]») étaient inexactes. C’est bien vrai pourtant, mais la suite aussi, jeg håper : « Mais bientôt, il a plaisir à se nourrir[2]. » Votre portrait reviendra demain de chez l’enca­dreur et prendra alors la place de Jung. Ce n’est pas vous faire entièrement justice; mais je vous en remercie beaucoup.

Deuticke a exprimé un véritable respect pour votre activité de rédacteur. De fait, nous avons, tous ces temps-ci, déployé toutes nos forces dans le travail. Il me faut vous dire encore que votre article sur la locomotion est excellent[3]. Dans la théorie de la sexualité également, je n’ai pas trouvé de meil­leur argument en faveur de « l’érotisme musculaire » que

l’analyse des abasies qui culminent dans le souvenir-fantasme [Phantasie-Erinnerung] : apprendre à faire ses premiers pas sur le corps de la mère (terre).

Votre Freud.

Jeg hilser deg hjertelig, vous et votre chère femme.


[1] Citation du Faust de Goethe : « So nimmt ein Kind der Mutter Brust im Anfang widerwillig an. »

[2] « Doch bald ernährt es sich mit Lust. »

[3] CF. article cité dans la note 2 de la lettre du 8.12.13.

15-03-1914 Freud à Eitingon

49 F

[En-tête Vienne], den 15 Mars 1914

Cher Docteur Recevez, vous et votre chère épouse, mes remerciements très cordiaux pour votre participation à notre bonheur familial. Je suis toujours le même, capable d’appeler bonheur la naissance d’un enfant humain. A ce que l’on m’en a dit, la mère et l’enfant se portent bien. La grand-mère restera encore quelques semaines chez eux. Votre dernière contribution critique était tellement remarquable qu’elle ne pouvait qu’éveiller le regret1 que vous connaissez déjà (a). Salutations cordiales et au revoir ! Votre vieux Freud

a. Ajouté après coup.

1. Sur le fait qu’Eitingon ait aussi peu publié.

13-03-1914 Jones à Freud

13 Mars 1914

69 Portland Court, Londres

Cher professeur Freud,

Je suis dans la position peu habituelle d’avoir à répondre à deux lettres de vous, et j’ai beaucoup de choses à dire, alors préparez-vous, je vous prie, à une longue épître. La raison en est que mes ennuis de santé ont tout perturbé. J’ai souffert d’une grave crise de cellulite commençant dans la nuque, et touchant toutes les glandes des deux côtés, profondes et superficielles, depuis le crâne jusqu’aux omoplates et, plus bas, aux clavicules. J’ai vu mes patients tous les jours, sauf un, mais je n’ai rien pu faire d’autre à cause de la douleur, etc. Ça va maintenant beaucoup mieux et je serai bientôt entièrement rétabli.

Ainsi ai-je été empêché d’assister à la communication de McDougall sur la pul­sion sexuelle, à la Royal Society of Medicine1, mais j’ai dicté de mon lit une longue contribution que Hart a lue à la réunion2. Il y avait foule. Au cours de la discussion, deux psychologues ont parlé de la pulsion en général, tandis que les quatre autres orateurs étaient des psychanalystes, si bien que nous avons eu le dessus. [Aucune opposition3.] J’avais au préalable organisé notre débat en divisant le sujet et en délé­guant à chacun de nos quatre représentants la partie pour laquelle il était le mieux armé, histoire de couvrir la totalité du terrain et de faire l’impression maximale4. Cela contribuera largement à contrer l’offensive du British Medical Journal, et nous aurons bientôt d’autres occasions également. L’attaque de Mercier n’a abattu aucun d’entre nous, et tant qu’un Gallois et un Juif seront président et secrétaire de la Société5, il n’y a pas à craindre que de telles attaques puissent provoquer ce que nous avons appris à appeler depuis Zurich une « réaction aryenne » ; mes ancêtres étaient en Europe avant les Aryens, ce qui explique peut-être en partie que je ne crois pas à l’or­gueil omniscient que vantent les « Aryens ».

Notre société s’est réunie hier soir, et Mrs. Eder nous a lu une traduction de votre article sur la Dynamik der Übertragung6. Il a été discuté avec intelligence et acuité d’esprit, preuve que les hommes apprennent vite; nous sommes tous bons amis (sauf Miss Long), et les réunions sont très appréciées. On compte actuellement à Londres entre trente et quarante patients en ψα.

La circulaire d’Abraham est arrivée ce matin, et je lui ai adressé une lettre qui vous parviendra certainement sous peu. J’espère que vous avez reçu à l’heure qu’il est la lettre de Jelgersma. Elle a été des plus gratifiantes pour nous. Je l’ai rencontré à Amsterdam voici quelques années, et je le tenais pour un honnête homme.

J’ai entièrement récrit mon essai sur la Madone pour le Jahrbuch (7), pour y ajouter des matériaux précieux et un approfondissement que je crois important de la théorie (rapport entre flatuosité et castration) ; la dernière partie a été adressée à Sachs voici quinze jours. Vers la fin s’est produit un épisode amusant. Toute la partie sur le cro­codile reposait sur le fait que ces animaux, comme les grenouilles, n’ont pas de par­ties génitales extérieures8. Or en lisant le livre de Wallis Budge sur Osiris9, qui soit dit en passant est excellent, j’ai été horrifié d’apprendre que les Egyptiens accomplis­saient certains rites avec le pénis du crocodile. Pris de panique, j’ai téléphoné à plu­sieurs professeurs de zoologie, dont aucun n’a pu me donner le renseignement que je voulais ; le lendemain, je suis allé au Jardin zoologique pour tirer cette affaire au clair. Aucun des gardiens ne savait ; il ne restait donc qu’une seule chose à faire : à l’aide de perches, renverser un mâle sur le dos, etc. Cette tâche s’est révélée extraordinairement difficile et a créé une scène excitante. J’ai découvert, ce dont j’ai ensuite eu confirmation par des manuels, que le pénis de l’animal est entièrement dis­simulé dans le cloaque, ce qui a confirmé l’hypothèse ψα suivant laquelle il devait être invisible de l’extérieur. Quelle vie austère que celle d’un médecin ordinaire en com­paraison d’une vie de psychanalyste !

Ci-joint un document intéressant illustrant la nature des psychologues amé­ricaines.

Flournoy donne un cours sur la ψα à Genève, à la Faculté des Sciences; j’ai demandé à Claparède de nous en faire un résumé pour la Zeitschrift, mais je ne sais pas s’il le fera10.

L’attitude de Loe, dans sa fameuse lettre, était bien meilleure qu’elle ne l’a jamais été (envers la ψα). Elle admet aujourd’hui que les conclusions de la ψα sont tout à fait correctes, bien qu’elles ne soient pas d’un grand secours ; « c’est une science, non pas un traitement. » L’examen urologique a-t-il eu lieu ? Bien entendu je suis impatient d’en savoir les résultats. Ma grande crainte est qu’elle se réserve le droit de recourir à la morphine, et qu’elle l’exploite dès qu’une difficulté surgira dans sa vie. Dans sa lettre, elle écrit que la plus jeune de vos filles a eu de la fièvre, j’espère que c’est fini depuis longtemps maintenant.

J’ai reçu de Heller une masse de matériaux de la Zeitschrijt. Blüher ne débite que des absurdités11 ; il ne défend jamais que sa propre homosexualité. Je vois que Ferenczi a été d’une activité débordante ces derniers temps.

J’en viens maintenant à vos lettres, auxquelles je vais répondre point par point. J’écrirai sur Wells pour les Varia (12). Vous avez naturellement raison au sujet de Stekel, mais c’est un bon exercice de self-control ; ce mois-ci, il a eu l’effronterie d’écrire un paragraphe pour se plaindre qu’un critique avait déformé un seul de ses mots !

J’attends avec impatience votre article du Jahrbuch13, et j’imagine que les épreuves arriveront d’ici une quinzaine de jours. Pour des raisons politiques, ne pourrait-on accélérer les choses et sortir le Jahrbuch début mai ? Où en est l’article sur le Narcissmus14 ? Pourriez-vous me dire quels problèmes particuliers vous y abordez ?

Mon exaspération à l’égard de Putnam n’était que momentanée, car je reconnais tout ce qu’il y a d’admirable et d’aimable en lui. Mais son incapacité à tirer les ultimes conséquences de ce qu’il sait, par exemple sur Jung, est parfois éprouvante.

Le destin nous a retiré des mains la question de la responsabilité des passages ajoutés dans ma critique de Jung. Après que vous avez écrit pour me demander de la revoir moi-même, Rank m’a écrit le contraire. Sur quoi Heller est allé à l’encontre en m’adressant les épreuves. Je les ai corrigées (il y avait quelques erreurs de traduction, mais je suis d’accord avec tous les ajouts) le jour même, mais Rank m’écrit mainte­nant que c’était trop tard, car ils ne pouvaient plus retarder la sortie de la Zeitschrijt;15. Très amusant!

Si le Verschreiben que vous citiez était bien de moi, il n’était pas tout à fait inconscient. J’ai pris l’habitude de m’adresser à Loe en lui donnant son vieux titre, par quoi on continue probablement à l’appeler dans son milieu (Pension), mais j’ima­gine que je devrais cesser de le faire maintenant.

Ce soir, j’aperçois dans le British Medical Journal une critique cinglante de mon livre, dont l’auteur fait ses choux gras en révélant son ignorance crasse. Je le connais depuis longtemps, un insigne imbécile16.

Burrow et Hamill m’écrivent qu’ils ne sauraient pour l’instant quitter l’Amérique, pour des raisons domestiques. Au passage, je voulais vous demander des nouvelles de Frau Hoesch-Ernst. Est-elle encore en traitement ? Ce ne saurait être un cas de tout repos.

Je termine enfin, en espérant avoir bientôt de vos nouvelles, et avec les amitiés

de votre fidèle

Jones.

  1. William McDougall, The Définition of the Sexual Instinct, Proceedings of the Royal Society of Medicine, 7-3 (1913-1914), p65-78.
  2. Se Proceedings of the Royal Society of Medicine, 7-3 (1913-1914), p. 83-86.
  3. Ces mots semblent avoir été ajoutés à la relecture.
  4. Pour les observations de William Brown, M. D. Eder, David Forsyth et Charles Mercier, se Proceedings of the Royal Society of Medicine, 7-3 (1913-1914), p. 78-83 ; ainsi que p. 86-88 pour la réponse de McDougall.
  5. Sir George H. Savage était président de la section de psychiatrie de la Royal Society of Medicine, dont R. H. Cole et Bernard Hart étaient secrétaires honoraires.
  6. Freud (1912 b).
  7. Jones (1914 a).
  8. Voir Jones (1951, p. 346-350).
  9. E. A. Wallis Budge, Osiris and the Epyptian Résurrection, Londres, P. L. Warner, 1911.
  10. Aucune trace dans la Zeitschrift.
  11. Hans Blüher (1888-1955), auteur de Die drei Grundformen der sexuellen Inversion (Homosexualität), Leipzig, Max Spohr, 1913, et de Zur Theorie der Inversion, Zeitschrift, 2, 1914, p. 223-243. L’homoérotisme et l’antisémitisme de ses travaux ultérieurs sur les organisations masculines lui valurent d’être très apprécié du Mouvement de la jeunesse allemande.
  12. On ne trouve aucun éloge de Wells par Jones dans la Zeitschrift.
  13. Freud (1914 d).
  14. Freud (1914 c).
  15. Jones (1914 c).
  16. Compte rendu anonyme de Jones, Papers, lrc éd., 1913, British Medical Journal, I, 1914, p. 597-599.