23 F
21. 4. 07.
Cher et honoré collègue,
C’est une belle chose que vous me posiez tant de questions, bien que vous sachiez que je ne peux répondre qu’à la plus petite partie d’entre elles; pour moi aussi l’échange de pensées avec vous devient un besoin, au moins le dimanche.
Je vois que vous êtes plus proche de l’idée de faire valoir la régression vers l’auto-érotisme pour la d. pr. Je ne puis rien faire là, n’étant pas sous l’impression du matériel, et je sais qu’on apprend plus de trois analyses poussées dans le détail que de tout ce qu’on peut jamais bricoler à son bureau. Ce que je vous ai envoyé récemment, qui était d’une telle provenance, n’a de valeur qu’en tant que cela correspond à des conclusions rétroactives sur la matière, toujours présente à mon esprit, des deux autres PN [= psychonévroses]. (Vous permettez et comprenez de telles abréviations). Dans l’ensemble je pense qu’il faut avoir de la patience dans la résolution de certaines questions, jusqu’à ce qu’on en ait appris beaucoup plus. On est autorisé entre-temps à émettre des suppositions, par exemple sur la forme hystérique de beaucoup de cas commençant à la manière de névroses obsessionnelles. La théorie permet de comprendre facilement que ce qui est essayé d’abord, est un genre de défense usuel dans l’hystérie (juguler dans l’inconscient la représentation investie de l’affect libidineux), qui ensuite, quand il ne suffit plus, est remplacé par la défense bien plus radicale et funeste qu’est la mise en clivage de l’investissement et sa rétraction dans le moi. D’après cela, le cas serait vraiment au début une hystérie et se transformerait plus tard en d. pr.
Vous observez qu’il serait incorrect de dire que l’hystérie se transforme en d. pr. ; elle est bien plutôt interrompue et remplacée par la d. pr. Toutes nos manières de nous exprimer ne deviennent en effet accessibles au jugement que si nous inscrivons ainsi dans l’état de fait des représentations précises du processus de refoulement. D’autres cas peuvent commencer directement par la méthode de défense caractéristique de la d. pr. ; dans d’autres cas encore, on en reste à l’hystérie, parce que la « complaisance somatique » permet une abondante éruption. L’exemple analogue sur le terrain organique serait par exemple le rapport du tabès et de la paralysie. Une paralysie ne s’ajoute habituellement qu’à un tabès très maigre; il est notoire que le processus métaluétique ultérieur ne progresse pas si une véritable cécité tabétique se développe. Peut-on discerner cela d’emblée dans le processus? Cela restera une question de plus grande finesse du diagnostic ou de plus grand approfondissement de l’expérience.
Je suis d’ailleurs très étonné que le retour à l’auto-érotisme s’impose dans vos cas avec des résultats aussi grandioses. Sans doute la jeunesse en est-elle vraiment la condition, et un passage autrefois mal accompli de l’auto-érotisme à l’amour d’objet en est-il l’élément prédisposant, en lequel il faudrait chercher l’ « originaire » des auteurs. Grossièrement exprimé : la démence correspondrait à la réussite de ce retour, la paranoïa à son échec, c’est-à-dire au retour de la libido revenant des perceptions. S’y ajoutent tous les intermédiaires. Le retour à l’auto-érotisme serait vraiment aussi anéantissant pour l’intégrité de la personne que vous le supposez. Dans tout le processus, il faudrait encore prendre en considération toutes les composantes libidineuses, et surtout la bisexualité. Si seulement je pouvais laisser mes affaires en plan et étudier avec vous cette forme certainement la plus instructive et la plus compréhensible des PN; mais je suis malheureusement obligé de gagner ma vie et je dois rester à la tâche quotidienne, ce qui en ce moment précis me fatigue beaucoup.
Une détermination de la catatonie ne me semble pas absolument nécessaire. (Il me faudrait relire Riklin (1) à ce sujet.) Au déplacement des investissements doivent en effet être liées de grandes modifications de l’innervation, donc des processus physiologiques, comme dans l’hystérie. J’interprète naturellement le déplacement de la sensation d’excitation sexuelle à la région de l’anus dans la dem. pr. ainsi que les autres perversions dans le sens de la « théorie de la sexualité », non comme des déplacements, mais comme des restitutions de l’ancienne puissance primaire de ces zones érogènes, qui ainsi se trahiraient magnifiquement dans la d. pr. Le creux de l’estomac appartient à la zone de la bouche, respectivement à la zone antérieure, comprenant l’estomac, du tractus intestinal, cf. l’hystérie. Je n’ai pas lu le travail de Solfier. Ce que je connais par ailleurs de lui (hystérie, mémoire), est du bavardage inepte et une interprétation grossièrement fausse de la nature. Vous allez trouver que je tonne de nouveau en pape contre les hérétiques. Mais puis-je voir les choses de deux manières différentes?
Je dois dire en fait que ce que vous avez dit dans la dernière lettre du comportement réactionnel d’une patiente atteinte de dem. pr., le manque de résistance de l’analyse, le caractère fugitif du transfert, cela provoque pratiquement le diagnostic d’auto-érotisme. Il va de soi que cet auto-érotisme se présente tout autrement que chez l’enfant. L’idiotie sénile est bien elle aussi très différente du comportement intellectuel de l’enfant, quand bien même elle correspond à une régression au degré infantile. Il manque la capacité de faire des progrès, ici comme là. L’aphasique et l’enfant apprenant à parler nous donnent bien les mêmes différences.
Ma comparaison entre la névrose obsessionnelle et la religion (2)a paru hier dans le premier numéro de la nouvelle Zeitschrift fur Religionspsychologie [Revue de psychologie de la religion]. Je ne possède pas encore de tirés à part. Il me faut également encore attendre la Material.
Peut-être pourrez-vous prendre le jeune garçon de Görlitz plus tard. Il devrait être extrêmement instructif.
Ne soyez pas trop accablé par le fardeau de ma suppléance. Vous êtes jeune à faire envie, indépendant, vous avez peut-être bien l’onus, mais pas l’odium de la chose, et vous engrangerez dans les années à venir la pleine récompense du travail. En considération de l’importance de la cause, la résistance n’est peut-être même pas tellement exorbitante.
Faites-moi bientôt entendre du nouveau du Burghölzli. Quand Bleuler et vous aurez également admis la théorie de la libido, il devra y avoir un fracas audible dans la littérature.
Din hjärt ägnade
Dr Freud.
1. « Beitrag zur Psychologie der kataleptischen Zustände bei Katatonie » [Contribution à la psychologie des états cataleptiques dans la catatonie], Psychiatrisch-neurologische Wochenschrift, flyg. VII, n0s 32-33, 1906, Cf. les « comptes rendus » de Jung, G.W., 18.
2. « Zwangshandlungen und Religionsübung » [Actes obsédants et exercices religieux], G.W., VIII. Éd. française dans L’avenir d’une illusion, Paris, 1932. Freud en avait lu des passages lors de la séance du 6 Mars, à laquelle avaient pris part Jung et Binswanger (et non le 2 Mars, comme le dit inexactement Jones, II, p. 35). Se Minutes, Jag, p. 142.