17-05-1914 Freud à Jones

17 mai 1914

Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Jones,

J’ai terriblement besoin de quelques heures de discussion avec vous. Écrire une lettre est un mauvais substitut. Soyez certain que je ne songe pas à édulcorer mon article du Jabrbuch(1) il y aura quelques amendements et ajouts (invisibles dans les Fahnen qui vous ont été adressées), mais aucun dans le sens de la clémence.

Il se peut que nous surestimions Jung et ses agissements dans les temps qui vien­nent. Il n’est pas en position favorable devant le public quand il se retourne contre moi: i.e. son passé. Mais mon jugement général en la matière est très proche du vôtre. Je n’attends pas de succès immédiat, mais une bataille incessante. Quiconque promet à l’humanité de la libérer des épreuves du sexe sera accueilli en héros, on le laissera parler — quelque ânerie qu’il débite.

Putnam tient bon, voir son dernier article du Journal of Abnormal Psychology sur la sexualité dans l’interprétation des rêves (2), et laissons de côté son respect excessif des sophismes d’Adler.

Mais Stanley Hall a déclaré allégeance à Adler et, pour des raisons personnelles, cet accident m’a été plus cuisant que les autres. Il peut désormais l’inviter à Worcester pour des leçons d’Indiv. Psychologie. Je vois d’ici(3) ce qu’ils vont faire de ses prêches (4).

MacCurdy a promis spontanément d’agir contre Jelliffe s’il propose de faire de sa revue un organe officiel au lieu de la Zeitschrift. De tempérament, il semble être réel­lement américain.

Je pourrais écrire des heures durant au sujet de Loe. C’est une femme charmante, mais elle est éprouvante. Pas question de se laisser fléchir quand elle est heureuse, ni d’obéir quand elle est au plus mal. On a toute raison de poser la question: quand devrait-elle prendre « Lachs mit Mayonnaise (5) » ? Le mariage est décidé, mais la date n’est pas fixée, et il n’est pas sûr non plus qu’elle puisse rester jusqu’en juillet. Elle souhaite en finir avec la morphine avant de partir, mais elle diminue très lentement.

Ne vous tracassez pas au sujet du Napoléon de Jekels. Il est bon, il a trouvé l’un des ressorts de son caractère, mais il n’a pas vu l’autre, le vôtre. Mieux vaut ne pas vous précipiter. Bacon a certainement été une personne tout à fait extraordinaire ! Profitez donc de votre visiteur et ayez de bonnes pensées pour votre attentionné

Freud

P. -S. : Fisher Unwin écrit que l’édition anglaise de l’Alltagsleben sortira le 3 juin (6). Il demande une liste de personnes et de périodiques, à qui adresser le livre. Je pren­drai la liberté de lui dire que vous (J.) lui donnerez les conseils nécessaires, et de vous faire envoyer un exemplaire en revanche (7).

F.

Il y a des tractations en cours avec F. Alcan (Paris) à propos de la traduction française ; elles peuvent facilement déboucher sur quelque chose.

1. Freud (1914 d).

2. Putnam (1914 a).

3. « I picture to myself » : Freud semble suivre ici la syntaxe allemande : Ich stelle vor mir.

4. Sur l’intérêt que Hall portait à Adler, par opposition à Freud, voir Ross (1972, p. 406-407, 409- 411). Adler ne devait pas prendre la parole à la Clark University.

5. Dans une anecdote que Freud analyse dans Der Witz un individu apppauvri, qui vient d’em­prunter un peu d’argent, se fait réprimander par son bienfaiteur pour avoir commandé un bon petit plat au restaurant, et rétorque : « Si je n’ai pas d’argent, je ne peux pas m’offrir du saumon mayonnaise, si j’en ai je ne dois pas m’en offrir. Alors, quand puis-je le faire ?» (Freud (1905 c) ; GW, vol. 6, p. 51, 53-54.

6. Brill (1914).

7. Sic ! En français dans le texte.