Forfatter Arkiv: admin

14-08-1914 Abraham Freud

* Berlin, W Rankestrasse 24

14.8.14.

Kjære Professor,

Je présume que vous êtes maintenant de retour à Vienne. Je suis malheureusement sans nouvelles de vous depuis assez longtemps; que peut-il être advenu de vous tous dans l’inter­valle? Vos fils ont-ils dû partir dans la réserve de l’armée territoriale? Que sont devenus Rank, Sachs, Ferenczi? L’acti­vité épistolaire est tombée en sommeil. Je suis encore dans l’expectative; je suis réserviste et médecin volontaire. En cette dernière qualité, on m’emploiera sans doute incessam­ment. Mais je ne sais rien de plus pour l’instant.

Ici les premiers grands succès ont considérablement remonté le moral. Depuis avant-hier, presque aucune nouvelle ne nous est parvenue des principaux théâtres de la guerre. Il est à pré­sumer que de grandes choses sont justement en train de s’accom­plir. C’est pourquoi notre impatience est à son comble.

Cette semaine, à mon propre étonnement, la clientèle s’est encore accrue un peu. Pourtant, en ce moment, ce sont les vacances, et selon nos projets, nous devrions maintenant être ensemble au Tyrol! Mais ces temps-ci, il faut déjà dire adieu aux vacances, si l’on veut se mettre encore un peu plus à cou­vert financièrement. J’ai 3 ou 4 séances par jour. Pour faire un travail scientifique, je manque encore de tranquillité. On vit d’un journal à l’autre; à peine est-on satisfait d’appren­dre une nouvelle qu’on aspire déjà à la suivante.

A bientôt de vos nouvelles (carte ou lettre ouverte), et avec les plus cordiales salutations de famille à famille,

Votre Abraham.

14-08-1914 Freud à Ferenczi

496 FA

Vienna, den 14 August 1914

Cher Ami,

Je tente ma chance avec une carte B. Que faites-vous ? Où êtes-vous passé ? Depuis le 5 du mois nous sommes tous ensemble à Vienne (1) sauf Martin qui s’est porté volontaire à Salzbourg 2 et Annerl qui est en Angleterre, coupée de nous. Pour travailler, je n’ai pas la moindre concentration. Ce sont des temps difficiles ; nos centres d’intérêt ont perdu leur valeur dans l’immédiat.

Salutations cordiales, votre Freud

A. Carte postale.

B. La carte est adressée à Budapest et porte en post-scriptum, de la main de Freud : ” Faire suivre ! ”

1. Voir la lettre de Freud à Sophie et Max Halberstadt, du 6 August 1914 : «De plus, à Karlsbad, on ne pouvait pas se rendre compte de toute la gravité de la situation. Mais Tante Minna et Mathilde, déjà rentrées à Vienne, ne nous ont pas laissés en paix jusqu’à ce que nous repartions […] le mardi 4 au soir, par le tout dernier train. » (Library of Congress, Washington D.C. [désormais : LOC].)

2. Martin Freud, qui travaillait au tribunal de Salzbourg, venait de s’engager comme volon­taire, bien qu’il ait été précédemment réformé (voir t. I, 195 F et la note 4, ainsi que 272 F).

13-08-1914 Jones à Freud

13 August 1914

69 Portland Court, Londres

Cher professeur,

J’espère qu’Anna fait bien de rentrer chez elle maintenant, car je me doute que vous ne la croyez pas en sécurité en Angleterre. Mais elle a bataillé pour prendre la meilleure décision, et elle a été très courageuse tout au long de cette crise.

Elle vous donnera les nouvelles anglaises, il est donc inutile que j’écrive. Person­nellement, j’estime que mon devoir est de rester à mon poste, et de continuer à exer­cer, plutôt que de m’engager. Cela a aussi l’avantage que je pourrai aider financière­ment nos amis de Vienne (Rank, osv.), ce que la guerre rendra peut-être nécessaire; j’ai voulu envoyer de l’argent dès maintenant, mais il est impossible de se procurer des billets de banque autrichiens à Londres.

Je suis terriblement impatient d’avoir des nouvelles de vous et de nos amis, et espère que vous tâcherez de communiquer via Bjerre, Van Emden, Pfister ou Assagioli. J’irai prochainement en Hollande voir Van Emden et apprendre ce qu’il sait.

Avec toute l’affection

de votre fidèle et dévoué Jones.

12-08-1914 Freud à Eitingon

64 F

Vienna, den 12 August 1914a

Cher Docteur

Très surpris de votre nouvelle. Mais Prague aussi est très loin à présent. Nous sommes à Vienne depuis le 5 de ce mois, deux fils auprès de nous, qui se sont inscrits comme auxiliaires. Martin, qui se trouve auprès du tribu­nal à Salzbourg, va vraisemblablement se porter volontaire et espère qu’il sera accepté malgré le super-arbitrage1. Ma petite est en Angleterre, nous avons établi une communication télégraphique avec elle via la Hollande. D’Abraham, malgré sa promesse, pas une ligne.

Salutations cordiales Votre Freud

a. Carte postale.

1. Ici : constatation de l’incapacité à servir dans l’armée (voir F/Fer I/1, p. 348 et note

10-08-1914 Eitingon à Freud

63 E

Prague, den 10 August 1914 Place Wenzel, hôtel Adriaa

Kjære Professor,

je me trouve depuis quelques jours à Prague, provisoirement affecté à l’hôpital de garnison local, afin de participer modestement aux choses qui vont encore se produire. Si ces lignes vous parvenaient prochainement, faites-moi savoir je vous prie si vous avez déjà et encore tous les vôtres autour de vousy compris la cadette venue de Londres1. J’ai laissé mon épouse chez mes parents à Leipzig. –

Abraham, dont vous avez certainement des nouvelles, pourra sans doute rester à Berlin. –

A vous et aux vôtres j’envoie tous mes vœux et je vous salue très cordiale­ment et en toute fidélité

Votre M. Eitingon

a. Carte postale envoyée à Vienne.

1. Anna Freud se trouvait en Angleterre lors du déclenchement de la guerre (Jones II, p. 205).

03-08-1914 Abraham Freud

Berlin W, Rankenstraße 24

3.8.14.

Kjære Professor,

Nous sommes arrivés ici samedi après un voyage éreintant. Que faites-vous, vous et les vôtres? Je vais sans doute faire provisoirement un remplacement médical. Il ne faut pas songer à un rendez-vous, à moins que vous ne veniez ici. Cordiales salutations.

Votre Abraham.

03-08-1914 Jones à Freud

3 August 1914

69 Portland Court, Londres

Cher professeur Freud,

Je me demande si vous avez reçu ma lettre écrite voici une semaine ? C’est pour tout le monde un temps d’inquiétude que les difficultés de communication rendent doublement difficiles. J’expédie cette lettre-ci en trois exemplaires, dans l’espoir que l’une au moins vous parvienne. Je n’ai pas revu votre fille depuis ma dernière lettre, mais j’ai eu des nouvelles d’elle et de son amie. Elle paraît très bien et sereine, et ne dit mot d’un retour en Autriche, mais c’était avant les pires nouvelles de la guerre générale. S’il est nécessaire qu’elle rentre, je pourrais certainement la reconduire jus­qu’à la frontière autrichienne, car il y a plusieurs manières de s’y prendre, et ce sera possible tout au long de la guerre; mais j’ignore si les déplacements en train sont autorisés en Autriche, ou combien de temps le trafic sera suspendu pour les besoins de l’armée, par exemple depuis Trente ou Zurich, j’attends vos instructions sur ce point, comme sur d’autres, mais en attendant soyez assuré que votre fille est entre de bonnes mains et qu’elle a beaucoup d’amis en Angleterre. Elle est en excellente santé (1).

Une lettre de Ferenczi m’apprend qu’il doit rejoindre les Hussards, mais en qua­lité de médecin. Une carte postale de Rank ne disait mot de la guerre. Vous imaginez bien à quel point j’ai hâte d’avoir des nouvelles de vous, et de savoir ce qui se passe. Vos fils doivent-ils aller sous les drapeaux, et combien de nos amis de Vienne y sont- ils obligés ?

Il y a fort peu d’enthousiasme en Angleterre. Nous avons des préjugés contre l’Allemagne et nous n’aimons pas non plus la Russie, mais la peur de la dernière nous touche de plus près que celle de la première (2), qui attendra encore de longues années. L’Autriche est peu populaire pour avoir mis tout le monde en difficulté, mais son attitude envers le danger slave est assez bien comprise. Personne ne doute ici, cepen­dant, que l’Allemagne et l’Autriche se fassent écraser; trop de choses jouent contre elles. Toute l’affaire est passablement grecque, un irrésistible destin précipitant les nations dans des guerres que personne ne cherche, et qui ne peuvent qu’entraîner une catastrophe générale. Personnellement, je suis surtout contrarié que l’Amérique ait tant à profiter de la perte de l’Europe.

Loe a réussi à récupérer Trottie et à le faire sortir en fraude, mais non sans diffi­cultés et fatigues inouïes. Elle dit que c’est de beaucoup la pire expérience qu’elle ait jamais faite de sa vie. Elle va aussi bien qu’on peut l’espérer, et elle a une maison confortable (celle de sa tante). Trottie a failli mourir, mais se rétablit lentement. Loe achète de grosses quantités de morphine à expédier aux armées étrangères, parce que lorsque l’offre de morphine se sera tarie, on n’en délivrera qu’à ceux qui auront des chances de se rétablir, tandis que les cas désespérés devront mourir dans la douleur. N’est-elle pas merveilleuse ?

Malheureusement, la conférence de Jung à Londres a eu un vif succès, et McDougall a été si impressionné qu’il va se faire analyser par lui. Je n’ai pas entendu sa communication, mais je l’ai lue, car elle m’a été remise en tant que rédacteur en chef du Tidsskrift for unormal psykologi. C’est un fatras de pensées confuses, diluées avec des platitudes ; ci-ioint une page d’échantillon. Le seul progrès est qu’il a un mot nouveau, «Horme», pour Libido, et «psychologie prospective» pour la Ps-A. telle qu’il la conçoit (3).

Un grand calme règne à Londres, qu’il serait impossible de distinguer des autres époques, n’était la presse. Grey a annoncé hier soir qu’il nous faudrait intervenir si l’Allemagne viole la neutralité de la Belgique ou si la flotte allemande attaque les côtes sans défense de la France (4). On est très réticent ici à l’idée de se laisser entraîner dans une guerre dont les enjeux sont si lointains, mais notre attitude protectrice envers la France est un facteur important qui peut jouer.

J’espère ardemment recevoir bientôt quelques nouvelles de vous, et qu’elles soient aussi bonnes que possible. Sans doute resterez-vous quelque temps à Karlsbad, même si vous aviez l’occasion de retourner à Vienne.

votre toujours attentionné

Ernest Jones.


1. Cette dernière phrase est écrite à la main, le restant de la lettre étant dactylographié.

2. « Dernière » et « première » sont entourés à la plume et rattachés par une ligne, des flèches indi­quant qu’il faut transposer les deux mots.

3. C’est pour éviter tout malentendu que Jung se mit à employer le mot hormé, dérivé du grec, dans ses textes anglais ; dans ses publications allemandes, il conserva Libido; voir Jung (1915). Il emploie aussi l’expression « compréhension prospective », qu’il oppose à ce qu’il appelle la « compréhension rétrospective» de Freud (p. 181). [N.d.T. ; sur la notion de compréhension chez Jung, CF. C. G. Jung, Korrespondanse, 1906-1940, trad. J. Rigal et F. Périgaut, Paris, Albin Michel, 1992, p. 65-67.]

4. Le discours que Sir Edward Grey, ministre des Affaires étrangères, prononça le 3 August 1914 à la Chambre des Communes parut dans le London Times du 4 August 1914.

02-08-1914 Eitingon à Freud

62 E

B[erlin], den 2 August [1914]a

Kjære Professor,

Dans l’attente de rejoindre l’armée autrichienne, il faut que je vous adresse mes salutations les plus cordiales en cette heure grave. Tous les vœux, à vous, à vos proches, à nous tous

Avec mon dévouement toujours fidèle et reconnaissant

Votre M. Eitingon

Je conduis mon épouse chez mes parents à Leipzig1.

Mirra Eitingonb

(a) Carte postale, adressée à Karlsbad, renvoyée à Vienne.

(b) Signature manuscrite de l’épouse d’Eitingon.

1. Sur la famille d’Eitingon à Leipzig, notamment sur ses parents Chaim et Alexandra Eitingon, voir l’Introduction, p. 10.

02-08-1914 Freud til Abraham

Karlsbad, 2.8.14.

Cher ami,

Votre lettre d’aujourd’hui (celle du 31.7) est dépassée par les événements, c’est pourquoi je vous écris de nouveau à Berlin. Je vous remercie de votre promesse de me donner abondamment de vos nouvelles, et je m’efforcerai d’en faire autant. Nous resterons donc sans doute ici encore une semaine ; aller à Vienne en période de mobilisation n’est guère possible; quant à aller à Munich, il n’en est pas question. Notre fils Ernst1, du reste, est à Salzbourg chez son frère Martin 2, et il est probable qu’il ne pourra pas revenir pendant les premiers temps.

Nous pouvons bien chasser de notre esprit tous les problèmes de congrès, etc. L’attention générale se porte ailleurs. Au moment où j’écris, on peut considérer que la grande guerre est une chose acquise; je serais de cœur avec les combattants, si je ne savais pas que l’Angleterre se trouve du mauvais côté.

J’aimerais bien élaborer un beau sujet qui a commencé à me tourmenter, mais je suis encore trop tendu, trop distrait, il faut que j’attende quelque chose de définitif, de bien fini. Pour l’instant, j’ai un peu honte de goûter encore dans le ravis­sant Karlsbad, en compagnie de ma gentille femme, tous les raffinements de la cure, tandis que le monde est pareillement ébranlé. A Vienne on ne cuit plus de pain blanc; chose peut- être plus inquiétante : les caisses d’épargne et les banques ne remboursent pas les dépôts au-delà de 200 couronnes. On pourra voir jusqu’à quel point on peut se passer d’argent dans la vie quotidienne.

Nous pouvons tomber, nous ne sortons pas du monde [Aus der Welt können wir nicht fallen] 3 : c’est là l’assurance suprême.

J’espère que vous êtes arrivés à bon port avec les vôtres et que vos obligations militaires ne vous éloignent pas trop de chez vous. Recevez, à distance, ma cordiale poignée de main.

Votre fidèle

Freud.

1. Ernst (né en 1892), fils cadet de Freud.

(2) Jean Martin (né en 1889), fils aîné de Freud.

3. Citation du « Conte de la maison du casseur de pierres », de Ludwig Anzengruber (1839-1889), auteur dramatique autrichien.