Kategori Arkiv: Sigmund Freud

28-10-1914 Abraham Freud

* Berlin W, Rankenstraße 24

28.10.14.

Kjære Professor,

Cette lettre est destinée à accompagner le manuscrit(1) dont je vous suis depuis longtemps redevable. Je suis toujours plongé dans mon travail hospitalier; les quelques heures qui me restent sont absorbées par la clientèle. Peut-être Rank aura-t-il l’amabilité de bien vouloir se charger à ma place des menus travaux de correction, afin d’éviter le va-et-vient de courrier en cette période d’insécurité.

Mes analyses suivent leur rythme tranquille de trois à quatre heures par jour. Je soigne depuis peu un de vos anciens clients, le docteur V…; de madame A., je n’ai plus aucune nouvelle.

Il est magnifique de penser à de paisibles voyages à venir. Mais on n’ose encore y songer. Nous serions tout à fait d’accord pour Berchtesgaden. Patientons jusque-là!

J’ai l’intention de convoquer maintenant notre groupe, fort éclairci, à une réunion informelle. Il ne faut guère compter sur une vie scientifique très active.

Sur le front, nous connaissons maintenant des jours difficiles. Mais dans l’ensemble, nous n’en sommes pas moins pleins de confiance. Jusqu’à l’humour qui reprend vie peu à peu. Dans un magasin d’uniformes et d’articles de mode, on lit sur une affiche : « Kaki, la grande mode de 1914. »

Avec mes bien cordiales salutations, så vel som kona mi, pour vous, vos proches et nos amis,

Din Karl Abraham.


(1) ]Se rapporte sans doute à Karl Abraham, « Les effetssuggestifsdes médications dans les états névrotiques », trad. fr. in O.C., II, 58, 1914.

27-10-1914 Ferenczi à Freud

Fer

Papa, Hôtel Griff

den 27 Oktober 1914

Cher Monsieur le Professeur,

Je vais devoir — à ce que je crois — mener notre correspondance, en partie du moins, sur une base analytique ; la rupture soudaine de notre relation médecin-malade (vous voyez, j’écris comme par association libre) me serait, sinon, bien trop douloureuse. i tillegg, difficilement réalisable.

Je veux faire un rapport chronologique. Le chemin jusqu’à Papa m’a semblé infiniment long, et pourtant j’étais déjà à la caserne vers 6 heures, et j’ai appris que j’aurais à assurer le service local. Mon inconscient a semblé si satisfait de cette nouvelle qu’il a immédiatement mis fin à la satisfaction substitutive de la diarrhée. Je suis ici depuis trois jours et je peux vous résumer mes impressions.

Le commandant est un homme aimable et distingué, les autres officiers aussi (hussards) ; à l’exception de deux riches Juifs, rien que de la « gen­try » des intendants et quelques aristocrates. Tous me traitent en cama­rade ; il est vrai qu’en ce moment le médecin qui peut rédiger des certificats est une personnalité particulièrement puissante. Nous avons ici, nå, des compagnies dites de réserve, qui doivent couvrir le départ des troupes et former les recrues. Je travaille de huit heures jusqu’à onze heures et demie, l’après-midi je n’ai rien à faire. Je panse et j’incise des furoncles, je fais des prescriptions contre la toux et les maux de ventre, et j’examine la troupe à son arrivée ou à son départ en permission. Nous ne savons presque rien de la guerre, ici ; bizarrement, l’intérêt pour les nouvelles des journaux a même diminué (chez moi aussi). Le « service » nous absorbe tellement que nous perdons de vue le but proprement dit de notre travail.

Je ne sais pas encore ce que je ferai de mes après-midi. J’ai passé le premier après-midi libre (avant-hier) en faisant de l’auto-analyse par écrit. Cela a bien marché ; je m’imaginais que je vous parlais. Hier, humeur maussade ; après m’être longuement torturé, il est apparu que je voulais organiser un massacre (un incendie criminel) à cause d’une blessure minime de mes complexes homosexuels. Là-dessus, soulagement. — Mes nuits sont pertur­bées (sommeil agité).

En somme, nå, je ne suis ni triste, ni gai ; plutôt ennuyé. Je sais tout ce que je perds par l’interruption de l’analyse, mais le regret que j’en ai ne devient pas un sentiment conscient. Donc : le premier après-midi, maniaque, le deuxième, mélancolique, le troisième (aujourd’hui), apa­thique ; peut-être un mécanisme circulaire. — N.B. : j’aurais tendance à ne pas vous écrire la lettre, mais je m’y suis contraint, car je sais toute la gratitude que je vous dois. A Madame G. (à qui j’ai écrit le premier jour une lettre pleine de ferveur) je ne pourrais rien dire non plus, nå. — En guise d’explication, le fait suivant me vient maintenant à l’esprit : réveillé aujourd’hui de fort bonne heure (4 h et demie), j’ai fait tous les efforts possibles pour me rendormir ; la méthode psychanalytique ayant échoué, j’ai saisi cette fois réellement le moyen auto-érotique (peut-être parce que vous avez recommandé l’auto-érotisme comme étant le meilleur somnifère). Naturellement, sans succès ; à la place est restée l’apathie, dont même de bonnes lettres n’ont pu me sortir aujourd’hui. Mais la « neuras­thénie d’un jour» a sûrement aussi des racines psychiques.

Cet aveu est en même temps la reconnaissance du fait que j’ai, encore maintenant, de telles impulsions (comme je vous l’ai déjà signalé) et que je les laisse passer à l’acte, une ou deux fois par an. Pendant des années, quand j’étais jeune homme, la lutte violente contre l’onanisme m’a occupé et tourmenté. — Je pense à présent à la « scène primitive », postulée par vous. Peut-être ai-je été puni de façon trop sensible après cette protestation « virile » (uriner) 2.

Je vous promets donc de ne plus vous importuner autant, dorénavant, avec mon cas. Il viendra, il doit venir le temps où je pourrai poursuivre et terminer la cure !

J’espère aussi que, prochainement, quand je serai de meilleure humeur et que je ressentirai entièrement la gratitude que je vous dois, je pourrai vous écrire une lettre plus agréable. A présent, je sais pourquoi je ne voulais pas vous écrire : c’était pour ne pas vous déranger avec mes états d’âme personnels et ennuyeux. — Sans doute est-ce aussi la cause des multiples et longues pauses dans notre correspondance, dont je porte la responsabilité, la plupart du temps. Manifestement, j’ai toujours voulu être agréable.

Je peux enfin m’arracher à moi-même et penser à vous et aux vôtres. Veuillez m’envoyer les épreuves des Trois Essais 3 — ou de n’importe lequel A de vos écrits.

A cet endroit, j’ai été quelque peu embarrassé, d’où tant de mots raturés. Il est vrai que, dans des lettres antérieures, il y avait beaucoup plus de ratures ; cependant, il y avait aussi beaucoup plus d’ordre et de style. Vous voyez : quand j’écris ainsi, c’est tout de même toujours le mode associatif qui me revient ! Mais qu’en serait-il si je voulais enfin m’entretenir avec vous, objectivement, de sujets impersonnels ?

Je ne m’y force pas aujourd’hui et je mets à la poste cette lettre qui me fait tellement honte. [B J’ai voulu dire : à cause du mauvais style ; proba­blement la honte se rapporte-t-elle à l’aveu de l’onanisme.] Donc, je conclus et vous salue cordialement,

Ferenczi

A. Après ce mot, passage barré : « ce qui vous fait croire que j’ ».

B. Crochets dans le manuscrit.

  1. Le terme de gentry désigne la petite noblesse hongroise. Jusqu’à la fin du siècle, cette classe qui se considérait comme la gardienne des valeurs historiques du pays était de plus en plus divisée sur la question du Compromis de 1867. La gentry, incapable de s’adapter aux changements économiques et sociaux, était sur le déclin. Certains de ses membres occupaient des postes supérieurs dans les administrations locales et des postes moyens dans les adminis­trations de l’État ; d’autres se destinaient à la carrière militaire. S’estimant victime des entre­preneurs dont la plupart étaient des Juifs et des Allemands, la gentry s’érigea en gardienne des traditions, se réfugiant peu à peu dans un nationalisme étriqué. Bon nombre de ses membres adhéreront à des mouvements de droite qui prendront une importance croissante après la guerre.
  2. Déjà, dans L’Interprétation des rêves, Freud estimait que l’observation des relations sexuelles entre les parents provoquait une « excitation sexuelle » chez l’enfant ; cette excitation, non comprise et réprimée, est «transformée en angoisse» (1900a, på. cit., p. 497). Ce problème devient central dans l’analyse de « l’Homme aux loups », au cours de laquelle Freud a introduit l’expression de « scène primitive ». Selon l’hypothèse de Freud, ce patient aurait interrompu «les rapports sexuels de ses parents en ayant une selle» (Freud, 1918i, «A partir de l’histoire d’une névrose infantile », trad. J. Altounian, P. Cotet, Œuvres complètes, XIII, p. 77) et plus tard, il aurait cherché à séduire la jeune bonne en urinant (ibid., p. 89). A propos de protestation virile dans ce contexte, voir t. I, 466 Fer et la note 2, ainsi que la discussion de Freud à ce sujet dans Sur l’histoire du mouvement psychanalytique, (trad. Cor­nélius Heim, Paris, Gallimard, koll. «Connaissance de l’inconscient & trad. nouv., 1991, p. 100-103). La construction proposée par Freud dans l’analyse de Ferenczi sera reprise plus tard, sous forme d’allusion (525 Fer) : « Érotisme urétral — ambition — scène d’obser­vation nocturne ».
  3. Les épreuves des Trois Essais sur la théorie sexuelle de Freud ( 1905d). dont la troisième édition a paru chez Deuticke, i 1915.

26-10-1914 Freud à Jones

[carte de Freud, traduite par J. E. G. Van Emden]

26 Oktober 1914 La Haye

Cher Jones,

Je vous ai répondu via Martin Lund, plus directement n’est pas possible. Merci des bonnes nouvelles concernant vous-même et Loe. Deux fils suivent une instruc­tion dans l’artillerie; un fils (1) et Anna sont à la maison. Le travail médical est très réduit. Autant que possible, je prépare des travaux scientifiques. Correspondance uniquement avec Brill. Traduction d’article historique dans le Jahrbuch, car le Journal de Morton Prince est abandonné à Payne si Brill y consent. Den Zeitschrift og Imago continuent, mais au ralenti. Anna tâchera d’écrire à Loe.

Bien à vous

Freud (2)


1. Oliver Freud.

2. La note en appendice indique : « Cher prof. Jones,

«Voici la traduction d’une carte que j’ai reçue pour vous. Si vous le voulez, je tâcherai de vous faire parvenir l’original. Rank travaille beaucoup et Ferenczi passe ses vacances chez les Freud. Martin Fr. rentre avec un ictère. Avec les meilleurs vœux et les salutations également pour 2, Sarse Road « bien à vous J. v. Emden. »

22-10-1914 Freud à Jones

22 Oktober 1914

Vienna, IX. Berggasse 19

Cher Jones,

Un de mes amis, professeur d’archéologie à Rome, a la bonté d’emmener avec lui en Italie cette lettre non soumise à la censure (1). J’ai reçu vos nouvelles via [van] Emden ainsi que les mêmes via Martin et Assagioli, répondu par la même voie et espère que vous aurez déjà la réponse entre les mains.

Je dois vous transmettre les salutations de tous les miens, des amis et de l’Asso­ciation, auprès de qui tous vos efforts pour rester en contact avec nous ont trouvé un accueil très sympathique. Il a été unanimement décidé de ne point vous considérer comme un ennemi !

Quoi que vous puissiez lire à notre sujet dans les journaux, n’oubliez pas qu’on ment énormément en ce moment. Nous ne souffrons d’aucune restriction, d’aucune épidémie et le moral est très bon. Deux de mes fils sont à l’armée (2), mais seulement encore à l’instruction. Aucun de nos amis proches n’a encore été mobilisé, mais le conseil de révision qui va se tenir pourrait bien arracher Sachs ou Rank à leur acti­vité. J’ai rendu visite à Abraham en septembre à Berlin, il travaille beaucoup dans un hôpital et il est de très joyeuse humeur ; nous avons beaucoup parlé de vous. Il est paru ces jours-ci un numéro de la Zeitschrift et un autre d!Imago. Dans Imago, il y a le travail de Jekels sur Napoléon (3); je vais veiller à ce qu’on vous en fasse parvenir un par l’intermédiaire d’Emden. Mais c’est une revue allemande et elle ne sera pas auto­risée à entrer !

Pour Eder il n’y a rien à regretter. Binswanger est passé chez nous. On ne pour­rait rassembler dans tout le continent 7 heures d’analyse, comme vous les avez encore chez vous. J’ai très peu à faire.

Ferenczi est si désœuvré qu’il s’est pris des vacances à Vienne. Je travaille à la troisième édition de la Théorie sexuelle et à une histoire de malade difficile pour le Jahrbuch (4). D’Amérique ne m’ont donné signe de vie que Brill et Payne; j’ai proposé à ce dernier la traduction de l’article sur l’histoire du mouvement ψα, pour le journal de M. Prince, au cas où Brill l’accepterait (4). Je vous salue cordialement dans l’attente de vos nouvelles, malgré la guerre et notre statut d’ennemis.

Yours truly

Freud.


1. Professeur Emanuel Loewy ; voir Jones (1955 a, p. 174, 384 ; 1955 b, p. 195, 429).

2. Martin et Ernst Freud.

3. Jekels (1914).

4. Freud (1905 d), 3e ed. 1915. La célèbre histoire de l« homme aux loups» (Freud, 1918 b) parut dans Sammlung, 4.

5. Faktisk, traduit par Brill pour la revue de Jelliffe et de White, Psychoanalytic Review, voir Brill (1916 d).

11-10-1914 Abraham Freud

Berlin W, Rankenstraße 24

11.10.14.

Kjære Professor,

Grand merci pour votre carte! J’ai attendu jusqu’à aujour­d’hui pour écrire; maintenant qu’Anvers est pris et que nous sommes moins tendus, je tiens à vous donner au moins un signe de vie. Je serais heureux d’avoir encore bien vite des nouvelles de vous tous, et en particulier d’apprendre ce que vous savez de votre fils Martin.

Mon projet de voyage là-bas prendra-t-il corps? C’est très douteux; le service hospitalier m’accapare maintenant beaucoup plus qu’à l’époque de votre visite. Je ne veux pas terminer sans vous remercier encore une fois — je le fais aussi au nom de ma femme — du temps que vous nous avez consacré!

Avec de cordiales salutations de famille à famille,

Din Karl Abraham.

10-10-1914 Jones à Freud

204

[carte postale(1)]

10 Oktober 1914

69 Portland Court, Londres

Lieber Herr Professor !

Durch Van Emden bekomme ich erfreulicherweise gute Nachrichten von Ihnen, möchte aber gern ein Wort von Ihnen persönlich haben. Loe befindet sich sehr wohl und ist sehr glücklich. Es geht Putnam und Brill gut, mir auch. Ich arbeite 7 Analyse-Stunden täglich, schreibe auch ein wenig. Eder hat uns verlassen. Ich schreibe an Sie auch via Holland und Schweden. Alle meine Briefe sind zurückgekehrt. Wie ist es mit Rank, Sachs und Ferenczi ?

Herzlichste Grüsse an Ihre Frau Gemahlin, Anna, und alle andere[n].

Liebe von

Jones (2).


1. Envoyée par l’intermédiaire du Dr. Roberto Assagioli, via degli Alfani 46, Florence.

2. « Cher Monsieur le professeur,

Van Emden me transmet de bonnes nouvelles de vous, dont je me réjouis, mais j’aimerais avoir un mot personnel de votre main. Loe va bien et est très heureuse. Putnam et Brill également, ainsi que moi-même. Je fais sept heures d’analyse par jour, et écris un peu à côté. Eder nous a quittés. Je vous écris via la Hollande et la Suède. Toutes mes lettres ont été retournées. Qu’en est-il de Rank, Sachs et Ferenczi ?

Mes salutations les plus cordiales à Madame votre épouse, Anna, et tous les autres.

Bien affectueusement, Jones. »

03-10-1914 Freud à Jones

[carte postale de L. C. Martin, Suède (1)]

3 Oktober 1914

St. Södergatan 50, Lund

Ma famille va bien. Ma fille est bien rentrée. Mon fils aîné (2), maintenant Dr. en droit, s’est porté volontaire pour suivre une formation d’artilleur, mais n’a pas encore été envoyé au front. J’espère pouvoir bientôt me mettre au travail, bien que naturellement je n’attende pas beaucoup de patients. Mes revues continuent à paraîtreréduites, bien entendu, et de loin en loin. La semaine prochaine sortent un numéro de l’ Internat. Zeitschrift og Imago. Le Jahrbuch est prêt depuis un certain temps, mais il n’a pas encore été envoyé. Les amis (?) sont tous ensemble (?) et poursuivront le travail. Voici quelques jours, je suis allé voir Abraham à Berlin. Nous n’arrivons pas à vous considérer comme un ennemi !

S. F.(3)


1. La lettre de Freud a été transcrite et adressée à Jones par Louis Charles Martin, collègue de Jones du temps de Toronto (Jones, 1959, p. 196), désormais domicilié en Suède. Après la guerre, il enseigna l’anglais à Liverpool après un passage à la Sorbonne.

2. Martin Freud.

3. Dans une note jointe, Louis Charles Martin se plaint de l’écriture gothique de Freud : « Ceci m’est arrivé ce madn. Pourquoi s’en tient-il à cette écriture d’un autre âge ? Ce n’est pas facile à lire, mais je pense que ce qui précède est exact dans la quasi-totalité des détails. Je vous envoie deux jour­naux avec ceci. Nous avons lIllustrated London News et les mensuels — j’essaie actuellement de mettre la main sur la Cotitemporary Review — subtilisée par le professeur d’Économie. Tout va bien. L. C. M. »

30-09-1914 Ferenczi à Freud

508 Fer A

Budapest, den 30 septembre 1914

Train ratéDu matériel pour deux séances que je sollicite pour demain après-midi 1Arrivée midi Regina.

Ferenczi

A. Télégramme.

1. Ferenczi a commencé le 1octobre une analyse avec Freud, interrompue au bout de trois semaines et demie par suite de son incorporation comme médecin militaire aux hussards hongrois cantonnés à Papa. (Voir J. Dupont, « Freud’s analysis of Ferenczi as revealed by their correspondence» [L’analyse de Ferenczi par Freud, telle que la révèle leur correspondance], International Journal of Psychoanalysis, 1994, 75, p. 301-320.)