30-11-1914 Ferenczi à Freud

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INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/ Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8 Verlag Hugo Heller & C °, Wien, Jag. Halva nr. 3 Abonnementspreis : alla (6 Hefte, 36-40 Bogen) KARLSSON 21.60 = MK. 18.

Potatis, den 30 November 1914

Kära Professor,

La seule perturbation dans nos relations — pas tout à fait négligeable — due à l’analyse entamée se manifeste en ceci que je trouve difficilement le ton pour notre correspondance. J’oscille entre une lettre normale et une confession analytique par écrit, jusqu’à ce que la résistance qui s’exprime dans cette oscillation l’emporte, et la lettre n’est pas écrite du tout.

Vous en faire part a été une manière d’échapper à cette difficulté. Mais vous comprendrez et vous pardonnerez si, dans mes lettres, l’égocentrisme du névrosé s’étale longtemps encore.

Je dois vous raconter tout de suite une expérience de cet ordre, tout à fait subjective, et pourtant en rapport avec les événements du monde. Un lieutenant de hussards est venu aujourd’hui de Miskolcz et a raconté que les hôpitaux militaires de là-bas avaient été évacués. Rien de ce que la guerre a jusque-là produit d’effroyable ne m’a fait une si forte impression que la nouvelle d’un danger menaçant la ville paternelle (plus exactement : qui menaçait, car ce danger-là semble entre-temps avoir été écarté). Vous pouvez imaginer combien cette preuve éclatante de ma fixation infantile à la terre natale m’a surpris. Du reste, vous avez là aussi la démonstration de votre théorie, à savoir qu’en fait, il n’existe pas d’amour de la patrie [Vaterlandsliebe], mais seulement un amour de la ville du père (« amour de la ville paternelle ») [Vaterstadtliebe], De là découlent des perspectives socio- psychologiques intéressantes sur le rapport intime entre narcissisme et patriotisme local d’une part, entre amour d’objet et internationalisme de l’autre. Être né et avoir été élevé dans une petite ville a un effet inhibiteur — semble-t-il — sur le développement, au sens d’une fixation au patriotisme narcissique.

Le travail que j’ai entrepris (la traduction de la théorie sexuelle)1 n’avance que lentement. Perturbations de toutes sortes. Tantôt la maîtresse de maison (Madame la Comtesse Eszterhazy, née Andrassy 2) arrivée ici entre­temps, vient et m’invite à bavarder avec elle, tantôt je suis appelé à la caserne comme conseiller médical par le commandant polypragmatique * récemment installé. Mais, manifestement, je me laisse volontiers déranger et ne me presse pas de retourner à ma table.

Je dois avouer que la nouvelle de votre travail assidu ne m’a pas seulement apporté de la joie, mais aussi un peu de honte envers mon mode de vie. Ce n’est que ces tout derniers jours (probablement sous l’influence du changement intervenu dans le commandement) que je pense plus souvent au caractère intenable de cette situation. Les perspectives de mutation sont toujours très incertaines.

Les nouveautés dans la théorie sexuelle ne m’ont surpris que pour une très faible part, puisque la plupart des changements étaient déjà en pré­paration ; j’ai moi-même poussé jusqu’au bout l’élaboration de certains détails (ainsi l’influence réciproque des zones érogènes et leur rapport à la sublimation)3, dans une formulation moins réussie. Dans aucune de vos œuvres la précision scientifique et l’objectivité dépassionnée ne s’expriment aussi nettement que dans la théorie sexuelle. On sent que chaque mot y est pesé au plus juste ; elle est la charpente de tout l’édifice de la psycha­nalyse. La traduction m’apporte beaucoup de plaisir ; de cette façon, on « s’approprie » l’œuvre, pour ainsi dire.

Les grandes découvertes dont vous parlez rendent plus aigu mon vif désir de me rendre à Vienne. Toutefois, il m’est impossible de savoir quand je pourrai partir, car on attend la visite d’un général. Qu’en est-il de votre projet de venir ici quelque jour ? D’une manière ou d’une autre : je veux lire très prochainement la grande histoire clinique et entendre parler des grandes découvertes. Même si ma productivité est tarie (pas définitivement, Jag hoppas), ma compréhension des créations d’autrui n’est pas encore perdue, du moins pas pour l’instant. — La liaison ferroviaire entre Papa et Vienne est très commode — à l’aller comme au retour. Je vous signale que tous les trains figurant dans l’indicateur ne circulent pas entre Györ et Papa, Je vous indiquerai prochainement exactement lesquels.

J’achève cette lettre, parce que je suis à tout moment menacé de déraper sur la voie analytique.

Juste ceci encore : l’idée du lien entre l’annonce de la mort 4 et la prophétie de Jung provient en fait de Madame G., mais je ne l’ai pas rejetée. L’autre idée (la guerre, etc.), je l’ai eue aussi, d’ailleurs. (Manifestement un morceau de cette clairvoyance ** qu’a le fils pour la mort du père !) Mon « occultisme» est très nettement séparé du reste du savoir et ne le perturbe en aucune manière ; il est libre de tout mysticisme.

Med vänliga hälsningar !

Ferenczi

Dois-je publier le rêve des colonnes de sel et l’interprétation analytique de la femme de Loth changée en statue de sel ? Je traduis votre silence à ce sujet comme le signe que cela vous a déplu ; ou bien est-ce que je me trompe ?


* Nous conservons le terme forgé par Ferenczi, qui pourrait avoir le sens de « polyvalent ».

** I franska i texten.

  1. Voir t. Jag, 284 Järn och anteckning 8.
  2. Ilona Andrassy (1886-1967), épouse de Pal Eszterhazy (utsikt 549 Järn och anteckning 1).
  3. Voir Freud 1905d : Trois Essais sur la théorie sexuelle, op. cit. Il est question de la subli­mation p. 70-71 et p. 178. Toutefois, Freud a repris les deux passages de la première édition sans les modifier.
  4. Emanuel, le demi-frère de Freud.