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08-01-1907 Jung à Freud

12 J

Burgholzli Zurich, 8. Jag. 1907.

Ärade professor!

Je suis désolé de parvenir maintenant seulement à répondre à votre dernière lettre, tellement aimable et détaillée. En fait je suis quelque peu gêné, rétrospectivement, du jeu de cache- cache avec mon rêve. Dans sa première version, Bleuler, à qui j’avais montré le plan, le trouvait beaucoup trop clair. Cela a été pour moi une incitation bienvenue à cacher secondaire­ment des choses dans l’interprétation, et a ainsi joué le jeu des complexes. Pourquoi je n’ai justement pas mis l’interpré­tation tronc d’arbre — pénis, cela a ses raisons particulières, auxquelles se rattache principalement le fait que je n’étais pas en état d’écrire impersonnellement mon rêve, ce pourquoi ma femme a rédigé toute la description (!!).

Sans doute avez-vous bien raison de me conseiller davantage de « thérapeutique » avec les adversaires, mais je suis encore jeune, et de temps en temps on a ses petites manies concernant la considération et le renom scientifique. Quand on est dans une clinique universitaire, on doit faire jouer bien des égards, que l’on néglige plutôt dans la vie privée. Mais vous pouvez être tranquille, je n’abandonnerai jamais une partie essentielle de votre enseignement, pour cela je suis bien trop engagé.

Je suis à présent tout à fait décidé à venir à Vienne aux pro­chaines vacances de printemps (April), pour jouir enfin du bonheur longtemps souhaité d’un entretien personnel avec vous. J’ai beaucoup de choses à abréagir.

En ce qui concerne la question des « toxines », il est vrai que vous avez à nouveau touché un point faible. A l’origine je voulais omettre entièrement la matière dans ma « psycholo­gie ». Mais comme, vu la lenteur d’esprit du public, je redoutais des malentendus, j’ai fait du moins allusion à la « toxine ». Je connaissais votre opinion, à savoir que là aussi la sexualité devait avoir son mot à dire. L’idée m’est d’ailleurs tout à fait sympathique qu’il y a peut-être une sécrétion « interne » qui cause les troubles, et que ce sont peut-être les glandes sexuelles qui sont productrices des toxines. Mais je ne connais aucune preuve de cela. C’est pourquoi j’ai omis cette supposition. Il me semble d’ailleurs pour l’instant que cette dernière hypo­thèse serait plutôt à considérer pour l’épilepsie, où le complexe sexuel-religieux est largement au premier plan.

En ce qui touche votre conception de la « paranoïa », je ne peux y voir qu’une différence de nomenclature. Dans la « dementia » praecox, il faut bien se garder de penser d’emblée à un abrutissement (cela peut aussi venir!), mais il faut penser à un délire de complexes [Komplexdelir] avec des fixations. La paranoïa est construite exactement comme une dementia praecox, sauf que la fixation se borne à un petit nombre d’asso­ciations, et que la clarté des notions est en général, avec quel­ques exceptions, conservée. Il y a cependant partout des transitions fluctuantes vers ce qu’on dénomme d. pr. (1). D. pr. est une appellation tout à fait malheureuse! De votre (2) point de vue vous pourriez aussi désigner mon cas de d. pr. comme une paranoïa, comme on l’a effectivement fait auparavant.

Le cas sur lequel vous avez eu la bonté de m’écrire m’a extra- ordinairement intéressé, en tant que cas parallèle au mien. Beaucoup de déments précoces ont le sentiment de l’état d« abrutissement ». Le délire de grandeur et l’affectation sont des choses synonymes (la dernière est un ingrédient généralement féminin). Les deux indiquent une composante de la psyché qui n’est pas parvenue à se développer réellement dans la vie menée jusque-là, soit dans le domaine érotique, soit dans le domaine social, peut-être aussi dans les deux. La froideur sexuelle dans le mariage semble vouloir indiquer que malgré le mariage d’amour quelque chose ne convenait pas chez cet homme, que celui-là n’était pas tout à fait le bon. C’est du moins ce que nous constatons en règle géné­rale chez ceux de nos cas dont l’anamnèse comporte l’anesthésie sexuelle. Le manque d’amour pour les enfants dit la même chose. En règle générale les femmes aiment le mari dans les enfants : si le mari ne convient pas, les enfants ne conviennent pas non plus. Très souvent, les femmes hallu- cinent alors que les enfants sont tués. Assez souvent, seules les filles sont tuées, il s’agit alors d’insatisfaction sexuelle chez la mère, que le mari soit trop vieux ou qu’il ne convienne pas de quelque autre façon. « Tuer » signifie, dans la d. pr. aussi, simplement nier ou refouler. Dans l’accès de la d. pr., tous les complexes non résolus sont abréagis, d’une façon tout à fait conforme au schéma de l’hystérie. Sauf que tout se passe beaucoup plus tumultueusement et dangereusement, et que cela laisse certains troubles irréparables dans les facul­tés mentales et des difficultés particulièrement accrues à supporter et à abréagir les affects. Plus tard se déclare un blocage plus fort et plus général des sentiments, avec un abrutissement caractéristique de l’intelligence. Le trouble affectif est cependant toujours largement au premier plan et rend le diagnostic certain, en opposition à tous les autres abrutissements intellectuels.

J’ai lu dernièrement avec satisfaction la façon dont Löwenfeld vient de se mettre décidément de votre côté, en ce qui concerne la névrose d’angoisse au moins. Cette voix-là a en Allemagne plus d’audience que la mienne. Peut-être votre triomphe commencera-t-il plus tôt que nous ne pensons.

Je vous dois encore un éclaircissement sur le terme « hystérie d’accoutumance (3) », C’est encore un expédient. J’ai été frappé de ce qu’il y a des hystériques qui vivent dans une lutte cons­tante avec leurs complexes, lesquels manifestent de violentes agitations, des variations d’humeur et une très vive alter­nance de symptômes. D’après ma maigre expérience, ce sont là les cas où le pronostic est bon. Ils ont en eux une composante qui s’oppose à l’asservissement par le complexe pathogène. Il y a cependant encore d’autres hystériques, qui vivent en paix avec leurs symptômes, qui se sont non seulement accoutumés au symptôme, mais qui exploitent ce dernier à des fins variées d’actes symptomatiques et de chicanes, et qui s’inscrustent en parasites dans la pitié de leur entourage. Ceux-là sont les cas à mauvais pronostic, qui se défendent aussi avec le plus grand acharnement contre l’analyse. Ce sont ces derniers que j’appelle « hystériques d’accoutumance ». Peut-être comprenez-vous, d’après cette description incomplète, ce que j’entends. Ce n’est bien sûr qu’une classification tout à fait grossière et superficielle, mais qui jusqu’à présent m’a dit quelque chose. Peut-être pouvez-vous là aussi m’ouvrir les yeux. Une infinité des hystériques incultes (notamment aussi les parasites d’hôpi­taux) sont à classer ici.

Recevez mes vœux les plus cordiaux pour la nouvelle année et mon plus chaleureux merci! Votre très dévoué

Young.


1. Les psychiatres suisses préféraient alors le terme de « dementia praecox », introduit par Kraepelin; il est aujourd’hui largement remplacé par celui de « schizophrénie », dû à Bleuler.

2. Dans l’original : ihrem (leur) au lieu de Ihrem (votre).

3. Se 6 J.

01-01-1907 Freud à Jung

11 F

1. Jag. 1907.

Mon honoré collègue,

Abandonnez s’il vous plaît rapidement cette erreur que votre écrit sur la dementia praecox ne m’a pas extrêmement plu. Le simple fait que j’aie émis des critiques peut vous le prouver. Car, s’il en était autrement, je trouverais suffisamment de diplomatie pour vous le cacher. Ce serait en vérité bien peu sage de vous heurter, vous, l’aide la plus forte qui se soit jamais associée à moi. Je vois en réalité dans votre essai sur la d. pr. la contribution à mon travail la plus importante et la plus riche qui me soit parvenue, et je ne vois parmi mes élèves à Vienne, qui ont sur vous l’avantage probablement non univoque du contact personnel avec moi, en fait qu’un seul qui puisse se mettre sur le même rang que vous pour la compréhension, et aucun qui soit en mesure d’en faire autant pour la cause que vous, et prêt à le faire. J’ai interrompu une lettre qui devait être plus détaillée, en partie pour des raisons accidentelles, en partie parce que ma supposition, confirmée par vous, de l’iden­tité du rêveur m’a fait m’interrompre. Je pensais seulement que vous auriez encore pu relever sans vous trahir l’inter­prétation tronc d’arbre = pénis, et l« alternance1 »

carrière (cheval . J’apprends à présent que vous avez

( cours de la vie

omis la première mention pour des raisons de prudence diploma­tique. La seule chose inexacte, c’est-à-dire apte à éveiller une représentation inexacte, me semblait être la désignation du vœu exaucé dans le rêve, qui ne peut, comme vous savez, être montré qu’une fois l’analyse achevée, mais qui doit pour des raisons de principe s’énoncer autrement que vous ne l’écrivez. Si vous me permettez d’essayer de vous influencer, j’aimerais vous enjoin­dre de ne pas accorder à la résistance, que vous rencontrez aussi bien que moi, une importance particulière et un tel effet sur vos publications. Les grands messieurs de la psychiatrie ont bien peu d’importance; l’avenir nous appartient ainsi qu’à nos conceptions, et la jeunesse prend — sans doute partout — vivement parti pour nous. Je m’en aperçois à Vienne, où les collègues, comme vous savez, observent systématiquement sur mon compte un silence de mort et où de temps en temps un apprenti quelconque m’anéantit; et où j’ai néanmoins 40 audi­teurs recueillis provenant de toutes les facultés (2). Depuis que Bleuler et vous, et dans une certaine mesure aussi Löwenfeld (3), m’avez ouvert une certaine audience dans la littérature, le mouvement en faveur de notre nouveauté ne pourra plus être arrêté, malgré toutes les réticences des autorités, destinées à périr. Je trouve par conséquent très opportun que nous partagions les fonctions selon notre caractère et notre situation personnelle, que vous essayiez de faire la médiation avec votre chef, tandis que je continue à jouer l’entêté et celui qui a toujours raison, et à présumer de mes contemporains qu’ils avalent le morceau désagréable non délayé. Mais je vous en prie, n’abandonnez rien d’essentiel par ménagement pédagogique et par amabilité, et ne vous éloignez pas trop de moi, alors qu’en réalité vous m’êtes si proche, ou nous verrons encore qu’on nous opposera l’un à l’autre. Je crois en effet malgré tout en secret, dans les circonstances particulières du cas, que la plus grande * sincérité est la meilleure des diplomaties. J’incline à ne pas traiter les collègues qui sont dans la résistance autre­ment que les malades qui se trouvent dans la même situation.

Sur 1« indistinction » qui doit économiser tout un morceau du travail du rêve, il y aurait beaucoup à dire, trop pour que ce puisse être écrit. Peut-être votre route vous mènera-t-elle néanmoins à Vienne plus tôt qu’en Amérique (4) (c’est plus près). Je me réjouirais énormément de pouvoir consacrer quelques heures à traiter de ces choses avec vous.

De beaucoup de choses contenues dans votre livre je n’ai rien écrit, parce que je suis entièrement d’accord avec elles; det vill säga : je ne puis rien faire qu’accepter sans objection ces lumières. (Au sujet de mon cas (5), je pense néanmoins qu’il mérite le nom de paranoïa véritable.) Mais j’ai eu beaucoup de choses nouvelles à apprendre. Le problème du « choix de la névrose », dont vous dites très justement qu’il n’est pas du tout éclairci par mes découvertes, m’a vivement occupé pendant tout ce temps. Je me suis absolument trompé dans ma première tentative d’explication, dès lors je me retiens. Je suis, il est vrai, sur une certaine voie, mais pas encore au but. A propos de votre inclination à recourir ici déjà aux toxines (6), j’aimerais observer que vous sautez une composante à laquelle bien sûr j’attribue une bien plus grande valeur que vous en ce moment; vous savez, la + + + (7)sexualité. Vous l’écartez par la question : je ne suis moi-même pas parvenu jusqu’au bout avec elle; quoi d’étonnant dès lors que nous n’en sachions rien l’un comme l’autre? Nemo me impune lacessit (8) retentit à mes oreilles, de l’époque du gymnase.

Les Anciens savaient quel dieu inexorable est habituellement Eros.

A présent mes salutations cordiales pour la nouvelle année. Continuons à travailler ensemble et ne laissons pas de malen­tendu se former entre nous.

Votre très dévoué

Dr Freud.

La petite observation était déjà prête pour vous avant votre lettre.


1. Cf. Young, « Le nuove vedute délia psicologia criminale », Rivista di Psicologia applicata, flyg. IV, n ° 4, juillet-août 1908; [le travail traduit en allemand paraîtra dans G.W., 2, où se trouve, au § 1135, une explica­tion de l’emploi par Freud du terme d« alternance » (Wechsel).] (Freud n’emploie toutefois pas ce terme dans ces écrits, cette lettre en est la seule occurrence). Sur la « carrière », etc., voir la Dementia praecox, G.W., 3, § 13o.

2. Freud faisait tous les jeudis et samedis des cours à l’université de Vienne, Cf. Jones, Jag, p. 375.

3. Leopold Löwenfeld {1857-1923), psychiatre à Munich, avait publié en 1901 l’écrit de Freud Über den Traum (Sur le rêve) dans la collection Grenzfragen des Nerven- und Seelenlebens, dont il était avec H. Kurella l’éditeur. Il a en outre inclus des contributions de Freud dans deux de ses propres livres : « Die Freudsehe psychoanalytische Methode » [La méthode psychanalytique de Freud] (ed. franç. i De la technique psychanaly­tique, p. 1 sq.) i Die psychischen Zwangserscheinungen [Les phénomènes psychiques obsessionnels], Wiesbaden, 1904, et « Meine Ansichten über die Rolle der Sexualität in der Ätiologie der Neurosen » [Mes opinions sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses] G.W., I, dans la 4och édition de Sexualleben und Nervenleiden [Vie sexuelle et affections ner­veuses], Wiesbaden, 1906.

4. Le désir du rêveur (donc de Jung) de visiter l’Amérique joue, un rôle dans l’analyse du rêve évoqué ci-dessus. Cf. G.W., 3, § 124.

5. Freud, « Weitere Bemerkungen iiber die Abwehr-Neuropsychosen » [«Autres observations sur les ¡névro-psychoses de défense »], 1896, para­graphe III : « analyse d’un cas de paranoïa chronique », G.W., Jag, p. 392 s., Jung commente le cas dans la Dementia praecox, G.W., 3, § 62 sq.

6. Se ibid., § 75, ainsi que 85 J, n. 4.

7. Rappelle les trois croix tracées à la craie à l’intérieur des portes de maisons paysannes, pour conjurer le Mal.

8. « Nul ne me provoque impunément. » Il semble que ce ne soit pas une devise antique, mais la devise de l’ordre écossais du Chardon, ou ordre de Saint-André. Cf. Ch. N. Elvin, A Handbook of Mottoes, 1860, reprint Lon­dres, 1963.

* På tyska : grösste; lecture adoptée par l’édition princeps ; l’édi­tion allemande donne gröbste : la plus rude sincérité. (N.d.T.)

29-12-1906 Jung à Freud

9 J

Burgholzli Zurich, 29. XII. 1906.

Ärade professor!

Je regrette sincèrement de devoir vous causer, moi justement, autant de peine. Je comprends parfaitement que vous ne puis­siez être rien moins que satisfait de mon livre (1), car j’y traite vos recherches avec bien trop peu d’égards. Je suis parfaite­ment conscient de cela. Mon principe suprême au moment de la rédaction était : égards envers le public savant allemand. Si l’on ne se donne pas la peine de tout présenter à ce monstre à sept têtes de façon appétissante sur un plateau, il ne l’accepte pas, ce qu’on a déjà vu en d’innombrables occasions. C’est pourquoi il est absolument dans l’intérêt de la cause de prendre garde à tous les éléments qui sont susceptibles de mettre en appétit. Pour l’instant, il y faut malheureusement une certaine réserve et un semblant de jugement autonome à l’égard de vos recherches. C’est ce qui a déterminé le caractère général de mon écrit. Les corrections plus particulières de vos opinions viennent de ce que certains points m’apparaissent autrement qu’à vous. Cela provient sans doute : Jag. De ce que mon matériel est totalement différent du vôtre. Je travaille dans des conditions rendues terriblement difficiles chez des malades mentaux généralement incultes, et de plus sur la matière extrêmement réfractaire de la dementia praecox. II. Mon éducation, mon milieu et mes prémisses scientifiques sont en tout cas extraordinairement différents des vôtres, Iii. Mon expérience est extrêmement mince en face de la vôtre, IV. Quant à la quantité et à la qualité du don psychanalytique, il doit sans doute aussi exister une différence considérable en votre faveur. Et V. l’absence de contact personnel avec vous, cette lacune regrettable dans ma formation est une circonstance qui doit jouer un rôle considérable. Pour ces raisons, je considère les points de vue de mon livre comme absolument provisoires et en fait simplement introductifs. Aussi vous suis-je extraordinairement reconnaissant de toute critique, même si elle n’est pas très douce à entendre, car ce qui manque ici est l’opposition, j’entends par là bien sûr une oppo­sition autorisée. J’ai vivement regretté que votre intéressante lettre ait été si vite interrompue.

Vous avez bien trouvé les points faibles de mon analyse de rêve (2). Je n’en sais en effet bien plus que je n’en ai dit sur le matériel et les pensées du rêve. Je connais parfaitement le rêveur : c’est moi-même. L’ « échec du mariage riche (3) » touche quelque chose d’essentiel, qui est indubitablement contenu dans le rêve, seulement d’une manière un peu différente de ce que vous pensez. Ma femme (4) est riche. J’ai tout d’abord essuyé un refus, pour diverses raisons, lorsque j’ai fait ma demande; plus tard j’ai eu son assentiment et je me suis marié. Je suis heureux avec ma femme sous tous les rapports (pas seulement par optimisme), ce qui bien sûr n’empêche pas de tels rêves. Il n’y a pas eu par conséquent d’échec sexuel, mais un échec social. L’explication-écran, « la modération sexuelle », est sim­plement, comme je l’ai dit, un déplacement à portée de main, à l’arrière-plan se tient un désir sexuel illégitime, qui fait mieux de ne pas voir la lumière du jour. Une des déterminantes du petit cavalier, qui éveille d’abord dans l’analyse la représen­tation de mon chef, est le désir d’un garçon (car nous avons deux filles (5)). Mon chef est déterminé parce qu’il a deux gar­çons (6). Je n’ai pu découvrir nulle part de racine infantile. J’ai également le sentiment que le « paquet » est insuffisamment éclairci. Mais je n’en sais pas l’interprétation. Så, bien que le rêve soit incomplètement analysé, j’ai quand même cru pouvoir l’utiliser pour illustrer les symbolismes du rêve. Il est vrai que l’analyse et l’utilisation de ses propres rêves est toujours une chose délicate, car on succombe toujours à nouveau aux inhi­bitions qui émanent du rêve, quand même l’on pense être le plus objectif possible.

En ce qui concerne la notion d’« indistinct (7) » *, je comprends bien qu’elle doive vous apparaître peu sympathique de votre point de vue. C’est une notion qui ne préjuge pas de trop de choses, et qui ne m’apparaît pas non plus comme le dernier mot. Ses avantages sont pourtant que : Jag. selon la psychologie de Wundt (8), elle médiatise, et II. qu’elle est une comparaison imagée, qui permet au sens commun de saisir aussi les consé­quences déduites du concept. A mon avis elle éclaire simple­ment l’ aptitude au déplacement [Verschiebbarkeit] de l’expression sans qu’il soit dit d’où ni vers où. On pourrait enfin dire aussi représentation « pauvre en associations » au lieu d’« indistincte ». Je préfère toutefois « indistincte ». Je ne sais pas s’il y a une erreur de principe là-derrière. Pour l’instant vous êtes le seul à pouvoir trancher. Mais je vous en prie, n’allez pas penser que je tende à tout prix à me différencier de vous par des opinions divergentes au possible. Je dis les choses comme je les comprends et comme je pense qu’elles sont justes. Une différenciation viendrait d’ailleurs bien trop tard, car les grands messieurs de la psychiatrie m’ont déjà abandonné. Il suffit qu’ils lisent dans un compte rendu que j’ai défendu votre point de vue. La conférence d’Aschaffenburg a énormément soulevé l’atmosphère contre vous. En face de ces difficultés considérables, il ne reste sans doute rien d’autre que la dosis réfracta (9) et une autre forme du médicament.

Votre entièrement dévoué

Young.


1. Über die Psychologie der Dementia praecox ; ein Versuch [De la psychologie de la dementia praecox; un essai], Carl Marhold, Halle a.S., 1907; la préface est datée «juillet 1906 ». [Se trouve dans G.W., 3.] Cf. 69 J, n. 2. La lettre de remerciements de Freud, où il commente le livre, n’a pas été conservée.

2. Über die Psychologie der Dementia praecox G.W., 3, § 123-133. Le rêve se trouve au § 123 : « Je vis comme on hissait des chevaux au moyen de gros cordages à une hauteur indéfinie. L’un d’eux, un fort cheval brun, qui était ficelé dans des courroies et transporté vers le haut comme un paquet, frappa particulièrement mon attention, lorsque soudain la corde cassa et que le cheval fut précipité dans la rue. Il devait être mort. Il se leva cependant d’un bond et partit en galopant. Je remarquai que le che­val traînait derrière lui un lourd tronc d’arbre et m’étonnai qu’il avance néanmoins aussi vite. Il avait apparemment pris le mors aux dents et pouvait facilement causer un accident. Arriva alors un cavalier sur un petit cheval, qui marcha lentement devant le cheval emballé, qui modéra alors aussi quelque peu son allure. Je craignais toutefois encore que le cheval ne bondît par-dessus le cavalier, lorsque arriva une calèche, qui se mit à avancer au pas devant le cavalier, modérant ainsi encore l’allure du cheval emballé. Je pensai alors : maintenant tout est bien, le danger est passé. »

3. Sans doute une citation de la lettre perdue de Freud

4. Emma Jung, née Rauschenbach (1882-1955).

5. Agathe (« Agathli »), née en 1904, et Gret (« Grethli »), née en 1906.

6. Manfred Bleuler, né en 1903, psychiatre réputé, comme son père professeur à l’université de Zurich et directeur de l’asile du Burghölzli, från 1942 till 1969. Cf. aussi 188 F, n. 2. Richard Bleuler (1905-1973), qui étudia l’agronomie à l’École polytechnique fédérale de Zurich et passa la plus grande partie de sa vie au Maroc en tant qu’agriculteur et agro­nome.

7. Cf. Young, G.W., 3, § 133-135.

8. Wilhelm Wundt (1832-1920), professeur de psychologie et de physio­logie à Leipzig; ses travaux célèbres dans le domaine de la psychologie expérimentale annoncent les expériences d’association de Jung.

9. « En doses fractionnées et répétées ».

30-12-1906 Freud à Jung

IO F

30. XII. 06.

Très honoré collègue (1), Peut-être pourrez-vous tirer quelque chose d’utile de l’obser­vation suivante, malgré sa brièveté : J’ai été appelé comme médecin-conseil auprès d’une femme de 26 år, qui est à six semaines de son premier enfant, et dont l’état s’est déve­loppé à peu près dès le milieu de la grossesse. Le médecin traitant, qui est assez peu au courant de nos points de vue, rapporte que la femme donne comme raison d’une grave dépression l’accusa­tion de s’être rendue « abrutie » (2) par l’habitude prise dans son enfance de retenir longuement l’urine, jusqu’à ce que la décharge puisse lui procurer des sensations sexuelles. Elle dit avoir poursuivi cela pendant un certain temps dans le mariage, mais l’avoir abandonné par la suite (moment où la maladie a pro­bablement commencé). Elle a conclu un mariage d’amour après de longues luttes dans sa famille et une fréquentation de six années, aime beaucoup son mari (il est comédien), mais est restée entièrement insensible dans le commerce sexuel. La patiente ajoute ici qu’elle n’a jamais songé que ce puisse être son mari la cause de son insatisfaction, et qu’elle sait parfaitement que c’est uniquement sa faute à elle. L’irruption de son changement d’humeur était probablement liée aux atten­tes qui se rattachaient à l’accouchement prochain. Elle préten­dait toujours qu’elle ne serait pas capable de mettre normale­ment un enfant au monde, et lorsqu’un forceps fut nécessaire, elle triompha, ayant gardé raison. De l’enfant, elle affirme tout à fait sérieusement qu’il est désespérément « abruti ». Elle a fait à plusieurs reprises des tentatives de suicide, pas tout à fait sans s’assurer, et écrit au mari des lettres d’adieu d’une pro­fonde tristesse. Elle s’est même enfuie une fois, mais s’est simplement rendue chez une de ses sœurs, chez qui elle a joué du piano. Elle a parfois battu l’enfant. Interrogée si elle l’aime, elle répond : oui, mais ce n’est pas le bon.

Les états d’excitation de caractère délirant ne sont pas entièrement absents. On est frappé par des déclarations qui font de sa maladie la cause d’un délire de grandeur : un état comme le sien ne s’est encore jamais vu, les médecins ne peuvent pas l’aider et mettront longtemps à la comprendre. Elle argumente avec beaucoup de pénétration, est totalement imperméable à la persuasion, assure qu’elle se souvient très mal de sa vie et aussi des choses dont elle s’accuse. C’est juste­ment l« abrutissement » dans son cerveau, elle ne peut rien penser nettement, ne réfléchir à rien, seule sa maladie est spécialement claire pour elle. Bien que dans l’ensemble elle fasse une impression assez triste, il y a incontestablement une affectation sans naturel dans ses discours et ses gestes. Le méde­cin traitant dit qu’elle lui apparaît comme une comédienne (mouvements d’yeux comme je n’en ai en réalité vu que dans la paranoïa).

On aurait auparavant appelé cela folie masturbatoire, déno­mination qui est tout à fait à rejeter. Ne le tenez-vous pas pour une dementia praecox? La révélation de l’étiologie, si soigneu­sement gardée pour soi dans l’hystérie, ne vous paraît-elle pas intéressante dans ce cas?

On n’a pas pu en tirer davantage. C’est un cas initial, je le reverrai probablement dans plusieurs semaines. Pardonnez l’importunité.

Votre dévoué collègue,

Dr Freud.


1. Papier à lettres, 21 X 34 cm, sans en-tête

2. På tyska : blöd (N.d.T.).

06-12-1906 Freud à Jung

8 F

6. XII. 06.

IX, Berggasse 19.

Très honoré collègue.

Vous tirerez certainement vos conclusions de cette « accélé­ration du temps de réaction (1) » et devinerez que je me suis réjoui de votre dernière lettre sans restriction ni hypothèse auxiliaire. Je pensais bien que vous laissiez vos véritables opinions se modifier en vue d’un effet pédagogique, et je suis très content d’en faire la connaissance libres d’une telle déformation.

J’ai affaire, comme vous le savez bien, à tous les démons qu’on peut lâcher contre le « novateur »; l’un d’eux, non le plus docile, est la contrainte d’apparaître à mes propres partisans comme un morose * ou un fanatique, incorrigible et voulant perpé­tuellement avoir raison, ce que je ne suis vraiment pas du tout. Il est compréhensible que, laissé si longtemps seul avec mes opinions, j’aie été amené à accroître ma confiance en mes propres décisions. Une occupation de quinze années, toujours approfondie et parvenue depuis des années déjà à une exclu­sivité monotone, me donne en outre une sorte de résistance contre les invitations à accepter des choses divergentes. (Je fais actuellement dix heures de psychothérapie par jour.) Mais je suis constamment resté convaincu de ma faillibilité, et j’ai retourné la matière un nombre indéterminé de fois, pour ne pas me figer dans une opinion. Vous-même avez une fois relevé cette souplesse de mes opinions comme le signe d’un processus de développement (2).

Je peux souscrire sans restriction à vos remarques sur la thérapeutique (3). J’ai fait les mêmes expériences et j’ai redouté pour les mêmes raisons d’en dire publiquement plus que : « cette méthode nous mène plus loin que n’importe quelle autre ». Je ne veux même pas prétendre que toute hystérie soit guéris­sable ainsi, encore moins tout ce que l’on appelle de ce nom.

Comme je n’attachais aucune importance à la fréquence des guérisons, j’ai souvent pris en traitement aussi des cas qui frôlaient le psychotique, ou des formes de délire (délire d’obser­vation [Beachtungswahn], angoisse de rougir etc.), et j’ai au moins appris par là que les mêmes mécanismes s’étendent bien plus loin que jusqu’aux frontières de l’hystérie et de la névrose obsessionnelle. On ne peut pas donner d’explications à des gens mal intentionnés; aussi ai-je gardé pour moi bien des choses qu’il faudrait dire, sur les limites de la thérapeutique et sur son mécanisme, ou alors je les ai présentées de telle façon que seul l’initié les reconnaît. Il ne vous aura pas échappé que nos guérisons se produisent grâce à la fixation d’une libido régnant dans l’inconscient (transfert), que l’on rencontre le plus sûrement dans l’hystérie. C’est elle qui fournit la force pulsionnelle nécessaire à la saisie et à la traduction de l’incons­cient; là où elle se refuse, le patient ne prend pas cette peine et n’écoute pas quand nous lui proposons la traduction que nous avons trouvée. C’est en fait une guérison par l’amour. Il y a donc aussi dans le transfert la preuve la plus forte, la seule inattaquable, que les névroses dépendent de la vie amoureuse.

Il m’est extraordinairement sympathique que vous me pro­mettiez de m’accorder votre foi pour le moment, alors que votre expérience ne vous permet pas encore de décision, seule­ment, naturligtvis, jusqu’à ce qu’elle vous en permette une. J’estime — faisant la critique de moi-même que je crois la plus sévère — que je mérite ce crédit. Mais je ne l’exige que de très peu de gens.

J’espère apprendre beaucoup de choses dans cet écrit de vous, annoncé depuis longtemps, sur la dementia praecox. Je n’ai pas encore de position sûre quant à sa distinction d’avec la paranoïa, ni quant à toutes les dénominations récentes dans ce domaine, et je confesse une certaine incrédulité à l’égard de la communication de Bleuler 4 selon laquelle les mécanismes de refoulement sont démontrables dans la dementia mais pas dans la paranoïa. Mon expérience, certes, est plus mince dans ce domaine. J’essaierai donc, var, de vous croire.

Din hjärt ägnade

Dr Freud.


1. Allusion à l’écrit de Jung « Über das Verhalten der Reaktionszeit beim Assoziationsexperimente » [La variation du temps de réaction dans l’expérience d’association], Journal fur Psychologie und Neurologie, flyg. VI, n. 1, 1905, G.W., 2.

2. Young, « Psychoanalyse und Assoziationsexperiment », G.W., 2, § 660.

3. Ce paragraphe et le suivant sont cités par Jones, flyg. II, avec deux erreurs de lecture.

4. Bleuler, « Freudische Mechanismen in der Symptomatologie von Psychosen» [Mécanismes freudiens dans la symptomatologie des psychoses], Psychiatrisch-neurologische Wochenschrift, flyg. VIII, 1906-1907; voir le compte rendu de Jung dans les « Comptes rendus des travaux psycholo­giques d’auteurs suisses » du Årsbok, II, 1, 1910. [Les comptes rendus de la plume de Jung se trouvent dans G.W., 18.]

* På tyska : Griesgram. (N.d.T.)

04-12-1906 Jung à Freud

7 J

Burgholzli Zurich, 4. XII. 1906

Ärade professor!

Je dois avant tout vous exprimer ma sincère reconnaissance de ce que vous ne m’en avez pas voulu de divers passages de mon « apologie (1) ». Si je me suis permis de faire certaines restric­tions, ce n’était aucunement pour critiquer votre doctrine, mais par politique, comme vous aurez certainement remarqué. Comme vous le dites justement, je laisse aux adver­saires la liberté de répliquer, dans l’intention consciente de ne pas rendre la révocation par trop difficile. Ce sera bien assez difficile comme cela. Si on attaquait l’adversaire comme il le mérite vraiment, il ne s’ensuivrait qu’une discorde grosse de malheurs, qui n’aurait que des conséquences désavantageuses. Déjà telle qu’elle est, on trouve ma critique trop acerbe. Si je me contente de la moindre partie de ce qu’on peut défendre, c’est simplement parce que je ne peux défendre qu’autant de choses que j’en ai moi-même appris dans l’expérience, et cela, comparé à votre expérience, est naturellement très peu. Je suis seulement sur le point de comprendre nombre de vos assertions et certaines me sont encore inaccessibles, par quoi je ne veux pas dire, comprenez-moi bien, que vous avez tort. J’ai appris peu à peu à être prudent dans l’incroyance aussi.

J’ai suffisamment vu que l’opposition a sa racine dans les affects, et je sais aussi qu’aucune raison ne remédie à cela.

Si je sous-estime en apparence les succès thérapeutiques de la psychanalyse (2), c’est seulement par égard diplomatique; je me fais les réflexions suivantes :

1. Le gros des hystériques incultes est inapte à la psycha­nalyse. J’ai fait ici en partie de mauvaises expériences. Dans ces cas l’hypnose donne occasionnellement de meilleurs résultats.

2. Plus la psychanalyse se fera connaître, plus de médecins impropres s’y adonneront et feront bien entendu beaucoup de mauvaises expériences. On mettra alors cela à votre compte et au compte de votre science.

3. Le concept d’hystérie est pratiquement encore tout à fait inéclairci. On trouve encore sous le diagnostic d« hysté­rie » d’innombrables cas de légère hébéphrénie, et chez ceux-là le résultat va du douteux au mauvais, ce que je sais par ma propre expérience. (Dans certaines exceptions il est vrai que le résultat était passagèrement bon.) On voit dans une publi­cation récente de la clinique de Heidelberg (3) combien il règne peu de clarté dans ce domaine : un cas indubitable de catatonie y a été déclaré comme étant une hystérie.

Pour ces raisons j’ai considéré comme plus prudent de ne pas m’appuyer trop sur le succès thérapeutique, sinon on aura vite rassemblé un matériel apte à y montrer que le résultat théra­peutique est très mauvais, ce qui ferait du mal à la théorie également.

Personnellement je suis plein d’enthousiasme pour votre thérapeutique et je sais fort bien en apprécier les excellents services. D’une manière générale, votre enseignement signifie pour nous, maintenant déjà, un énorme accroissement de nos connaissances et l’expression d’une nouvelle ère de perspectives infinies.

Votre très dévoué

Young.


1. La lettre de Freud n’a pas été conservée.

2. Psykoanalys, forme du mot en usage dans le groupe de Zurich

3. N’a pas été identifiée.

26-11-1906 Jung à Freud

6 J

Burgholzli Zurich, 26. XI. 19O6.

Ärade professor!

Genom samma skrivelse får du ett särtryck, ett svar till konferensen från Aschaffenburg (1). Fast jag kinda sak från min subjektiva åsikt, Detta är varför du inte kanske håller med allt vara. J’espère ne pas vous nuire avec cela! En tout cas j’ai écrit par conviction honnête. J’ai d’ailleurs également plaidé votre cause à Tübingen (2) à l’assem­blée des médecins aliénistes, en face d’une opposition écra­sante, i laquelle le Geheimrat Hoche (3) s’est particulièrement distingué par la bêtise de ses arguments. Heureusement, le Gaupp (4) s’est ensuite rangé un peu plus de notre côté, en admet­tant du moins que la chose valait la peine d’être examinée.

J’ai récemment à nouveau analysé une névrose obsessionnelle chez un collègue allemand — naturellement de nouveau des complexes sexuels allant jusqu’à la septième année! Après la première séance déjà, disparition de l’angoisse, qui cependant montre encore une forte tendance à reparaître, bien entendu seulement consécutivement à des traumatismes. Il me semble qu’il est extrêmement important pour la thérapeutique qu’il y ait déjà ou non des dispositions au tic et des habitudes de pensée déjà stéréotypées (mise en clivage *, par l’habitude, de tout le désagréable). Autant que j’aie vu, l’ « hystérie d’accou­tumance ** » réagit généralement mal à l’analyse.

Cela vous intéressera peut-être de savoir que le Dr Frank (5), l’ancien directeur de l’asile d’aliénés de Münsterlingen, emploie également ici votre analyse avec grand succès et s’est ainsi créé une grande pratique dans un temps très court. Il y a encore un excellent connaisseur et pratiquant de votre méthode, c’est le Dr Bezzola (6), médecin-chef du sanatorium Schloss Hard, canton de Thurgovie. Tous deux s’accordent à juger que votre méthode est un événement qui ouvre des voies nou­velles à la pratique neurologique. Ils ont tous deux dernière­ment parlé dans ce sens à Tübingen. Cela leur fait néanmoins plaisir à tous deux (humainement) de se permettre de s’écarter de vous sur quelques points. Vous voyez que votre conception fait de rapides progrès en Suisse. En Allemagne en revanche il semble que la génération actuelle doive tout d’abord périr. On étouffe dans les préjugés.

Avec l’expression de mon respect, votre très dévoué

Young.


1. « Die Hysterielehre Freuds; eine Erwiderung auf die Aschaffen- burgsche Kritik » [La théorie freudienne de l’hystérie; une réplique à la critique d’Aschaffenburg], Münchener medizinische Wochenschrift, LIII, n ° 47, 20 November 1906, G.W., 4.

2. Congrès de l’association des psychiatres de l’Allemagne du sud-ouest, 3-4 November 1906; voir le compte rendu dans : Zentralblatt für Nervenheil­kunde und Psychiatrie, flyg. XXX, N.S. XVIII, Jaghan Mars 1907, p. 185, avec une citation de Jung.

3. Alfred Erich Hoche (1865-1943), professeur de psychiatrie à Fribourg-en-Brisgau; adversaire décidé de la psychanalyse.

4. Robert Eugen Gaupp (1870-1953), professeur de neurologie et de psychiatrie à Tubingue. Éditeur responsable du Zentralblatt für Nerven­heilkunde und Psychiatrie.

5. Ludwig Frank ( 1863-1935), neurologue à Zurich, partisan de Forel. Cf. 17 J, n. 4.

6. Dumeng Bezzola (1868-1936), psychiatre originaire des Grisons, l’un des chefs du mouvement anti-alcoolique.

* På tyska : Abspaltung. (N.d.T.)

** På tyska : « Gewöhnungshysterie ». (N.d.T.)

27-10-1906 Freud à Jung

27. X. O6.

IX, Berggasse 19.

Très honoré collègue,

Mes remerciements pour la nouvelle analyse. Vous n’avez vraiment pas été très retenu, et en outre le « transfert », preuve principale de la nature sexuelle de la force pulsionnelle du tout, semble vous être apparu avec suffisamment de netteté. Quant à la « critique », nous ne voulons en faire qu’une fois que les critiques auront acquis un peu d’expérience propre.

Je n’ai rien en théorie contre l’égalité de droits de l’autre pulsion fondamentale, si elle voulait bien annoncer ses revendi­cations dans la psychonévrose d’une manière non méconnaissable. Ce qu’on peut en voir dans l’hystérie et la névrose obsession­nelle se laisse expliquer sans difficulté par les anastomoses existant entre les deux, donc par le préjudice porté à la compo­sante sexuelle de la pulsion d’alimentation. Je reconnais toutefois que ce sont là des questions « délicates », qui requièrent encore un examen approfondi. Je me borne pour l’instant à attirer l’attention sur ce qui nous apparaît grossièrement et avec évidence, sur le rôle de la sexualité. Possible que nous trouvions ailleurs, dans la mélancolie-manie, dans les psychoses, ce qui nous manque dans l’hystérie et la névrose obsessionnelle.

Ce qui est réjouissant chez votre Russe, c’est que c’est une étudiante; les personnes incultes sont pour l’instant bien trop peu transparentes pour nous. L’histoire de défécation que vous rapportez est jolie, non sans de nombreuses analogies. Vous vous souvenez peut-être de cette affirmation dans ma Théorie de la sexualité (1), que la rétention des fèces est déjà exploitée par le nourrisson comme source d’acquisition de plaisir. De 3och– 4och année est la période la plus importante pour les activités sexuelles postérieurement pathogènes (ibidem). La vue du frère battu éveille une trace mnésique remontant à la 1re– 2och année ou un fantasme reporté à cette époque. Il n’est pas rare que les petits enfants souillent la main de celui qui les porte. Pourquoi cela ne lui serait-il pas arrivé? Ainsi s’éveille donc son souvenir des tendresses de son père dans la première enfance. Fixation infantile de la libido sur le père, cas typique, en tant que choix d’objet; auto-érotisme anal. La position qu’elle choisit alors doit être décomposable en ses éléments, elle semble formée aussi d’autres composantes. Lesquelles? L’excitation anale doit par la suite être reconnaissable dans les symptômes comme force pulsionnelle, même dans le caractère. De telles personnes présentent fréquemment des combinaisons typiques de certains traits de caractère. Elles sont très ordon­nées, avares et butées, traits qui sont en quelque sorte les sublimations de l’érotisme anal (2). Des cas comme celui-ci, reposant sur une perversion refoulée, sont particulièrement beaux à percer à jour.

Vous ne m’avez donc aucunement ennuyé. J’ai beaucoup de plaisir à recevoir vos envois, et suis, avec mes salutations collégiales les plus dévouées, votre

Dr Freud.


1. Trois essais sur la théorie de la sexualité, 1905. Éd. franç. citée Paris, Galvete, 1962, II : La sexualité infantile.

2. Cf. Charakter und Analerotik, 1908 [Érotisme anal et caractère], où ces idées sont développées par Freud deux ans plus tard. G.W., VII. Se även 77 F, n. 6.

23-10-1906 Jung à Freud

4 J

Burgholzli Zurich, 23. X. 1906

Ärade professor!

Par le même courrier je me permets de vous envoyer à nou­veau un tiré à part, qui contient à nouveau des recherches en psychanalyse1. Je ne crois pas que vous tiendrez le point de vue « sexuel » que j’y défends pour exagérément modéré. C’est dans la même mesure que la critique va se jeter dessus.

Comme vous l’observez, il est possible que ma retenue à l’égard de vos vues qui vont si loin repose sur une expérience insuffisante. Mais ne pensez-vous pas que l’on puisse peut-être considérer une série de points-frontière plutôt sous l’aspect de l’autre pulsion fondamentale, la faim? Par exemple manger, téter (prépondérance de la faim), donner un baiser (prépon­dérance de la sexualité). Deux complexes qui existent simul­tanément ne doivent-ils pas toujours se fondre psychologique­ment, de sorte que l’un contient toujours les constellations de l’autre? Peut-être pensez-vous aussi seulement cela; alors c’est que je ne vous ai pas bien compris, et dans ce cas je serais tout à fait de votre avis. On se sent pourtant effrayé par le positi­visme de votre présentation.

Il me faut abréagir auprès de vous, quitte à vous ennuyer, une expérience que j’ai vécue tout récemment. Je traite actuel­lement une hystérie selon votre méthode. Cas grave, une étu­diante russe, malade depuis six ans 2.

Jaghan traumatisme : 3och-4och année. Elle voit son père frapper son frère aîné sur le postérieur nu. Forte impression. Forcée de penser ensuite qu’elle a déféqué sur les mains de son père. De la 4och à la 7och année, efforts appliqués pour déféquer sur ses propres pieds, de la façon suivante : elle s’asseoit par terre avec un pied replié sous elle, presse le pied contre l’anus et essaie de déféquer et en même temps d’empêcher la défécation. Retient ainsi plusieurs fois les selles jusqu’à 2 semaines! Ne sait pas comment elle en est venue à cette histoire singulière; elle dit que c’était tout à fait pulsionnel, avec un sentiment voluptueux de frisson. Plus tard ce phénomène a été remplacé par un onanisme violent.

Je vous serais extrêmement reconnaissant si vous pouviez me communiquer en quelques mots votre opinion sur cette histoire.

Med uttryck för min respekt.

Votre très dévoué

C. G. Young.

1. Sans doute « Assoziation, Traum und hysterisches Symptom », [Asso­ciation, rêve et symptôme hystérique], Journal für Psychologie und Neu­rologie, VII, 1906, G, W., 2. Jung écrit ici psyko, bien qu’il semble à cette époque préférer Psykoanalys. Cf. aussi 7 J, n. 1.

2. Jung décrit le cas dans « Die Freudsche Hysterietheorie » [La théorie freudienne de l’hystérie] G.W., 4 § 53-58. C’est la conférence faite à Amsterdam en 1907.