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14-04-1907 Freud à Jung

20 F

Wien, 14. 4. 07.

Cher et honoré collègue,

Voyez, le monde en général pense la même chose que moi de notre relation. L’exposé d’Amsterdam m’avait été proposé peu avant votre arrivée ici, et je l’ai précipitamment refusé de peur d’en discuter avec vous et de me laisser ensuite détermi­ner par vous à accepter. Puis la chose a passé à l’arrière-plan dans nos conversations, en regard de choses plus importantes. À présent je me réjouis beaucoup qu’on vous ait choisi. De mon temps cependant ce n’était pas Aschaffenburg le second orateur, mais il y en avait deux, à savoir Janet (1) et un indigène. On avait de toute évidence en vue un duel entre Janet et moi, mais je hais les combats de gladiateurs devant la noble popu­lace, j’ai peine à me résoudre à laisser une foule indifférente émettre un vote sur mon expérience (2); avant tout je ne veux pendant quelques mois rien savoir de la science, et procurer à l’instrument vilainement maltraité du repos par toutes sortes de plaisirs très éloignés. C’est vous maintenant qui aurez à soutenir la passe d’armes avec A[schaffenburg]. Je plaide pour le manque de ménagements, comptez sur la peau dure des pachydermes adversaires.

Je dois encore vous saluer comme mon successeur en une autre circonstance. Je voulais dernièrement déjà vous relater le cas que j’ai vu à Pâques à Görlitz. On me fait à présent savoir qu’il doit arriver chez vous au Burghölzli et que vous me deman­dez de l’information à son sujet. J’écris par conséquent au père que je suis directement en contact avec vous et je vous fais part de ce que j’ai vu. Le jeune garçon sera très intéressant, il profitera sans doute peu de nous, mais nous beaucoup de lui, et surtout c’est le premier objet que nous puissions sou­mettre tous deux à l’examen. Je suis curieux de voir si vous confirmerez ce que je prétends, à savoir que ce n’est pas une dem. pr., mais un cas commençant en obsession et continuant en hystérie; j’ai déjà observé à plusieurs reprises précédem­ment cette évolution, dans l’autre sens; je suis curieux de voir ce que vos expériences d’association diront de mon diagnostic. C’est un individu hautement doué, type œdipien, amour de la mère, haine du père (l’Œdipe antique est en effet lui-même un cas de névrose obsessionnelle — question du sphinx), malade dès la onzième année, à la révélation des faits sexuels; le retour à l’infantile est saisissable jusque dans l’habillement, le rejet du sexuel est gigantesque, ne peut pas ne pas être vu, comme une maison *, avait coutume de dire Charcot (3). Ce qui crée des difficultés avec lui et m’a empêché de le transporter à Vienne, ce sont ses accès de cris quand il se met en excita­tion; à l’origine ce n’était rien d’autre que ses moyens de pres­sion infantiles pour soumettre sa mère à sa volonté. A présent un accès se présente ainsi : il se tient debout devant une porte, crie, hurle, rage et crache. Si on contemple la scène on voit au premier coup d’oeil — mais un véritable psychiatre ne doit pas voir ce qui n’est pas dans Kraepelin (4) — qu’il frotte avec deux doigts de la main droite un sillon du panneau de la porte, en un mouvement montant et descendant (c’est ce que j’ai vu), c’est-à-dire qu’il imite un coït! Quand je lui ai présenté cela après l’accès, il a dit non; et ensuite : les garçons à l’école, eux, le mimaient avec le doigt ainsi (coups dans la main fermée). En faisant cela il compte : deux, trois, quatre, après des pauses assez longues, ce qui a bien son sens pour le coït; et en crachant il imite évidemment l’éjaculation de sperme. Il entend des voix en faisant cela (qui jouent aussi un rôle pendant ses intervalles, ce qui est bien sûr problématique pour le diagnostic mais ne paraît pas encore paranoïaque), sa mine est celle de la plus grande irritation et indignation, bref il est spectateur d’un coït, contre lequel il réagit avec rage; et si vous considérez qu’il a dormi chez les parents jusqu’à sa dixième année, vous pouvez deviner quel couple il épie là. Il joue naturellement deux rôles, le spectateur qui a le dégoût et l’homme qui a l’éja­culation. Mais le plus beau vient encore. Il est malheureuse­ment infantile organiquement aussi, dans la formation des organes génitaux, qui, comme il le raconte lui-même avec une froideur magnifique, ne se sont pas développés depuis la onzième année; il a refoulé au loin, par fierté, le désespoir à ce sujet, tous les affects qui s’y rattachent, et ce sont ceux-ci qui lui fabriquent maintenant l’accès. Il ne conviendrait bien sûr jamais qu’il attache de l’importance à cette action dégoû­tante (dont par hasard il n’est pas capable!)

Je ne sais pas si c’est sa seule forme d’accès, ni s’il a quelque peu modifié cet accès depuis que nous en avons parlé. Si vous le voyez, traitez-le uniquement, j’aimerais dire, comme un collègue. Il est terriblement fier et vulnérable, d’après mon estimation plusieurs fois aussi intelligent que par exemple Aschaffenburg.

Je dois présupposer chez lui une période d’activité sexuelle infantile; on n’a rien pu en apprendre dans l’anamnèse des parents. Mais qu’est-ce que les parents ne peuvent pas béate­ment ne pas voir ! Comme il a un phimosis (un cas pour Adler 5 !), il n’est guère possible qu’il ait échappé à des penchants masturbatoires dans son plus jeune âge.

Ce qui me fait le plus de plaisir, c’est que vous ne rejetiez pas mes observations sur la dementia. Vous savez que c’est la même chose, quand bien même je suis habitué à parler de paranoïa, puisqu’il s’agit d’expliquer la partie paranoïaque de la démence. J’emploierai donc la prochaine heure de liberté — aujourd’hui dimanche je suis encore trop incapable — à mettre dans une forme compréhensible mes quelques pensées. Je ne me défais pas de ces idées; si d’aventure je puis en faire quelque chose, je le ferai, mais je suis éloigné du matériel. J’espère que vous y arriverez plus tôt.

C’est pourquoi je ne réponds pas aujourd’hui non plus à vos questions à propos de le dementia, je ne saurais certainement pas répondre par écrit et comme cela de loin. J’ai seulement le sentiment que vous relevez à bon droit comme la chose la plus essentielle le fait que ces malades nous livrent leurs com­plexes sans résistance et qu’ils ne sont pas accessibles au trans­fert, c’est-à-dire qu’ils ne montrent aucun effet de ce dernier. C’est précisément cela que j’aimerais traduire en théorie.

Il serait d’ailleurs tout à fait possible qu’un véritable cas d’hystérie ou de névrose obsessionnelle tourne au bout d’un temps en dementia, i.e. paranoïa, sans que l’on se soit trompé dans le diagnostic. Cette possibilité est théoriquement bien démontrable — quelque chose de tel serait après tout possible chez le garçon de Görlitz.

Ma femme ne va pas mal du tout, elle vous remercie de votre sympathie et de celle de votre femme. Vous aurez bientôt d’au­tres nouvelles de moi.

Avec mes salutations cordiales, votre

Dr Freud.


1. Pierre Janet (1859-1947), professeur de psychologie au Collège de France. Il fut l’un des premiers à admettre l’inconscient, mais refusa la psychanalyse. Jung suivit en 1902-1903 ses cours à la Salpêtrière à Paris.

2. Cf. Jones, II, p. 118, où cette phrase est inexactement citée.

3. Jean-Martin Charcot (1825-1893), neurologue français, médecin- chef de la Salpêtrière, connu pour ses travaux sur l’hystérie et sur l’hyp­nose, qui eurent une influence décisive sur Freud. Celui-ci étudia auprès de Charcot en 1885-1886, traduisit ses cours en allemand {Neue Vorle­sungen über die Krankheiten des Nervensystems, insbesondere über Hyste­rie, Wien 1886, traduction des Leçons du mardi till la Salpêtrière, Paris, 1889-1892), et donna à son fils aîné son prénom.

4. Emil Kraepelin (1856-1926), professeur de psychiatrie à Munich de 1903 till 1922. Il fit avancer la systématique psychiatrique, en distin­guant notamment la dementia praecox (schizophrénie) de la psychose maniaco-dépressive. Son ouvrage principal, Psychiatrie ; ein Lehrbuch fur Studierende und Àrzte [Psychiatrie; un manuel pour les étudiants et les médecins], Leipzig, 1883, a longtemps fait autorité et a connu de nom­breuses éditions. Voir aussi 14O J, n. 5.

5. Alfred Adler (1879-1937), från 1902 membre du groupe viennois rassemblé autour de Freud, premier président de l’Association viennoise de psychanalyse (1908), et le premier des élèves importants de Freud à faire sécession, i 1911, pour fonder sa propre « psychologie individuelle ». Il travailla dès 1926 principalement en Amérique, et à partir de 1935 définitivement. Il mourut à Aberdeen, en Écosse, i 1937, au cours d’une tournée de conférences. Dans sa monographie La compensation psychique de l’état d’infériorité des organes, Paris, Payot, 1936. Éd. orig. Studie über Minderwertigkeit von Organen, Berlin et Vienne, 1907, dont il avait tiré une conférence faite le 7 November 1906 devant le cercle viennois du mer­credi, Minutes, Jag, p. 36, il avait dit que l’on constatait souvent un phi­mosis (rétrécissement du prépuce) dans les cas d’énurésie.

* I franska i texten. (N.d.T.)

14-04-1907 (handla om) Freud à Jung

22F

[env. 14 April 1907] (1)

Quelques opinions théoriques sur la paranoïa

Donnée fondamentale à peu près celle-ci : chez une per­sonne f. (2) surgit le désir du commerce avec l’homme. Il subit le refoulement et réapparaît sous la forme suivante : on dit au-dehors qu’elle a le désir, chose qu’elle nie. (Ou bien : ce commerce a eu lieu nuitamment contre son gré. Mais cette forme n’est pas la forme primaire.)

Qu’est-il arrivé dans cette espèce de refoulement et de retour caractéristique de la paranoïa? Une idée — le contenu du désir — a surgi et est restée, est même d’inconsciente devenue consciente, mais cette idée née à l’intérieur a été projetée à l’extérieur, elle revient comme une réalité perçue, contre laquelle le refoulement peut à présent de nouveau s’exercer comme opposition. Le crédit a été refusé à l’affect du désir, et lors de son retour apparaît un affect contraire, hostile.

La projection doit être expliquée. Quelle est la condition pour qu’un processus interne, investi d’affect, soit projeté à l’extérieur? Un coup d’œil sur le normal : notre conscience, à l’origine, ne perçoit que deux sortes de choses. Tournée vers l’extérieur, DE perceptions (P), qui en elles-mêmes ne sont pas investies d’affect et qui ont des qualités; provenant de l’inté­rieur, elle fait l’expérience de « sentiments », ce sont des exté­riorisations des pulsions qui prennent certains organes comme support; ils sont peu qualitatifs, en revanche susceptibles d’un fort investissement quantitatif. Ce qui présente cette quantité est localisé à l’intérieur, ce qui est qualitatif et sans afïect, à l’extérieur.

Ce sont naturellement là de grossiers schémas. Tous les pro­cessus de la représentation, de la pensée, etc., sont produits avec des contributions des deux côtés.

Ce qui nous parvient à l’extrémité P rencontre immédiate­ment la croyance, ce qui est produit endopsychiquement est soumis à l’ épreuve de réalité, qui consiste en une réduction aux P, et à la tendance au refoulement, qui est directement dirigée contre les qualités de déplaisir des sentiments.

La pulsion sexuelle est à l’origine auto-érotique, plus tard elle attribue aux représentations mnésiques des objets un investissement d’affect, l’amour d’objet. Un fantasme de désir comme celui que nous avons admis au début doit être consi­déré comme un investissement libidinal d’objet; qu’il puisse 2en, nu, subir le refoulement avant de devenir conscient, cela peut se produire de diverses façons (caractéristiques prin­cipales des différentes psychonévroses). Si son contenu de repré­sentations a été projeté à l’extrémité P, cela3 ne peut être arrivé que si son investissement libidinal lui a été auparavant retiré. Il a alors le caractère d’une perception.

Dans la paranoïa, la libido est retirée à l’objet; une inver­sion de cela est le deuil, où l’objet est retiré à la libido.

Ce que la représentation d’objet a perdu en investissement, lui est tout d’abord rendu sous forme de croyance. L’hostilité envers l’objet4 qui se manifeste dans la paranoïa indique où est allée la libido. Cette hostilité est la perception endogène du désinvestissement libidinal. Vu la relation de compensation qui existe entre investissement d’objet et investissements du moi, il devient probable que l’investissement retiré à l’objet est retourné dans le moi, c’est-à-dire est devenu auto-érotique. Aussi le moi paranoïde est-il surinvesti — égoïste, mégalomane.

L’opposé du processus supposé ici nous est montré par l’hys­térie d’angoisse. L’hystérie en général est caractérisée par la démesure des investissements d’objet. Elle est amour d’objet extrême, elle recouvre même l’auto-érotisme des premiers temps de fantasmes d’objet (séduction). Elle prend pour objet tout ce qui est en un rapport éloigné avec l’objet normal, des lieux même; d’où l’hystérie est liée au lieu (claustrophobie) comme à la proximité de l’aimé, au contraire de l’instabilité, de la pulsion au nomadisme [Wandertrieb] de la dementia praecox.

Dans l’hystérie d’angoisse se produit le contraire de ce que nous avons supposé pour la paranoïa. Des stimulations externes, des P donc, sont traitées comme des processus internes, investis d’affect; la simple représentation verbale agit comme un vécu interne; la facilité à être effrayé. Le simple retrait des inves­tissements d’objet dans le moi — dans l’auto-érotique — existe [aussi], sous forme d’un processus organique avec trans­formation des affects (en déplaisir), dans ce qu’on appelle l’hypochondrie. Ce n’est que l’utilisation de ce mécanisme à des fins de refoulement qui donne la paranoïa. L’hypochondrie est donc à la paranoïa dans un rapport analogue à celui qu’a la névrose d’angoisse, à fondement purement somatique, avec l’hystérie, qui passe par le psychique. L’hypochondrie s’appro­che bien souvent de la paranoïa, évolue en paranoïa, se mêle à la paranoïa.

Il ne faut à présent pas oublier qu’il s’agit entièrement, dans les psychonévroses, d’une défense qui a échoué. La défense dans la paranoïa semble échouer le plus sûrement, c.-à-d. la libido recherche à nouveau son objet, cherche à s’imposer, et s’atta­che après inversion en déplaisir aux P que l’objet est devenu.

La lutte du retour est plus nette dans la paranoïa que dans les autres névroses. L’investissement libidinal élève les repré­sentations devenues P au rang d’hallucinations; ce que nous observons en clinique, est cette lutte secondaire de défense contre le fantasme libidineux, qui attaque à présent l’appareil psychique à une extrémité où n’arrive habituellement que la réalité.

Ajoutons que ce processus est en règle général partiel, c.à.d. qu’il ne touche que l’une ou l’autre des composantes de l’investissement libidinal d’objet. Au cours de ce processus, toute la libido refoulée se change peu à peu en croyance; cette origine dans la libido donne au délire sa force. Le délire est de la croyance d’origine libidinale en la réalité.

Résumé. La projection est une sorte de refoulement (ana­logue à la conversion, etc.), dans laquelle la représentation devient consciente sous forme de perception, et l’affect qui lui est adjoint est détaché et retiré dans le moi avec inversion en déplaisir. Cet affect (l’investissement libidinal) cherche alors, de l’extrémité P, à s’imposer à nouveau au moi.

La paranoïa pourrait s’exposer plus facilement que les autres psychonévroses par les processus psychiques normaux.

Comme vous le remarquez, les relations exposées ici entre l’investissement libidinal d’objet et les investissements du moi donnent aisément une formule pour la sorte particulière­ment réussie de refoulement qui a lieu dans les formes hallu­cinatoires de la première folie (amentia). (Cf. une ancienne ana­lyse dans le Recueil 5.)

Avec un cordial salut

votre Dr Freud.

Coquin qui donne plus qu’il n’a.


1. Sur de plus grandes feuilles, 28 X 22 cm, sans en-tête.

2. Sans aucun doute abréviation de « féminine », ajoutée dans l’espace entre les deux mots.

2 en. Une erreur de transcription à cet endroit a donné un contresens dans l’édition en langue anglaise, qu’il n’a malheureusement plus été possible de corriger dans cette dernière (« car il doit » pour « qu’il puisse ») (Correction de W. Sauerländer).

3. De là, à la fin du paragraphe, souligné au crayon bleu (sans doute par Jung).

4. Ces mots également soulignés.

5. Cf. 11 F, n. 5. L’essai avait été repris dans le premier tome, 1906, de la Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre.

11-04-1907 Jung à Freud

19 J

Burgholzli Zurich, 11. IV. 07.

Ärade professor!

Tack för ditt långa brev så nådig! Jag är bara orolig att du överskattar mig, mig och min styrka. Säkert, med din hjälp, Jag har tittat på ett visst djup, mais je suis encore très loin de voir clairement. J’ai néanmoins le sentiment d’avoir fait un progrès intérieur tout à fait essentiel depuis que j’ai fait personnellement votre connaissance, car j’ai l’impression que l’on ne saurait jamais comprendre entièrement votre science si l’on ne connaît pas votre personne. Là où tant de choses nous sont obscures, à nous qui sommes éloignés, seule la foi peut nous aider; or la foi la meilleure et la plus efficace me semble être la connais­sance de votre personnalité. Aussi ma visite à Vienne a-t-elle été pour moi une véritable confirmation.

Une excellente analyse de dementia praecox que j’ai faite dernièrement m’a rappelé bien des choses que nous avons dis­cutées ensemble. J’aimerais maintenant vous soumettre une question qui m’occupe tout particulièrement : l’architecture du cas que j’ai mentionné était tout à faithystériforme “, tellement que pendant l’analyse j’ai totalement perdu la conscience de parler avec une dem. praec. Le rapport (transfert) était excellent, de sorte qu’en 1 heure j’avais trouvé toute l’histoire : rien que des événements sexuels jusqu’à la sixième année, le tout très typique. La patiente acceptait aussi la trans­position (1) avec très grand affect. La patiente avait acquis au cours de l’analyse une vision claire de la nature et de la genèse de la maladie, de sorte qu’on aurait pu s’attendre à une amélio­ration considérable. Le lendemain, il n’en était encore rien. Cela pouvait encore venir. Jusque-là tout est comme dans l’hystérie. Mais voici : la patiente n’a pas d’associations « hys­tériques ». Elle réagit tout à fait superficiellement, a les temps de réaction les plus courts que j’aie jamais vus. Cela veut donc dire que les mots stimulateurs ne percent pas jusqu’à son affec­tivité, ce qui a toujours lieu dans l’hystérie. Vous direz : non pas libido d’objet, mais auto-érotisme. Les complexes se trou­vaient fortement clivés pendant l’expérience, de sorte que les affects n’étaient pas éveillés. Mais dans l’analyse c’était l’in­verse; les morceaux de complexes venaient à flots, sans résis­tances. Dans cette situation, on aurait pu s’attendre à ce que les mots stimulateurs atteignent aussi considérablement les complexes, mais ils ne le faisaient pas. Cela me donne l’impres­sion que dans la dem. praec. le complexe organise moins la personnalité en fonction des stimuli associables que dans l’hys­térie, de sorte qu’il se produit une bien moindre « perlaboration » [Durcharbeitung] de la personnalité par le complexe. Dans l’hystérie, une synthèse a encore lieu entre le complexe et l’ensemble de la personnalité. Dans la d. pr., les complexes semblent se fondre d’une manière seulement approximative, en tout cas moins que dans l’hystérie et surtout que dans le normal. Les complexes s’isolent en quelque sorte. Vous direz que les complexes deviennent auto-érotiques et n’ont plus de libido qu’en eux-mêmes. Mais d’où cela vient-il? Dans les déli­res toxiques (alcool, etc.), nous voyons quelque chose de sem­blable : nous trouvons des fragments de complexes mêlés à des hallucinations élémentaires, qui reposent sur des stimuli de neurites, ce qui donne un mixte composite inanalysable, que je n’ai jamais pu élucider (psychologiquement!). Dans de tels états, des choses quotidiennes indifférentes, des morceaux de complexes, des stimuli sensitifs endogènes, etc., apparaissent à niveau, et la constellation sensée fait totalement défaut. Y aurait-il là une analogie avec l’isolement des complexes dans la dem. praec.? Il faudrait naturellement se représenter l’effet des toxines dans la dem. praec. comme seulement très léger. Mais d’où vient la régression au niveau auto-érotique? L’auto-érotisme n’est-il pas quelque chose d’infantile? et pourtant l’infantile est si totalement autre chose que la d. pr. Dans les examens galvanométriques 2 j’ai même vu que la mise en clivage des affects dans la d. pr. allait si loin que de forts stimuli physiques n’avaient pas la moindre influence, alors que des sti­muli psychologiques provoquaient encore de l’affect. Så, l’analyse et le transfert étant parfaitement accomplis, il n’ad­vient absolument pas que la personnalité en tant que telle soit révolutionnée, comme dans l’hystérie. En règle générale, il ne se passe rien du tout, les malades n’ont rien appris et rien oublié, ils continuent de subir tranquillement. C’est comme si leur personnalité s’était décomposée, donnant les complexes isolés, qui ne s’influencent désormais plus mutuellement. Je vous serais très reconnaissant si je pouvais entendre votre opi­nion là-dessus.

Cela vous intéressera d’apprendre que le Congrès interna­tional d’Amsterdam de cette année m’a chargé de faire un exposé sur « les théories modernes de l’hystérie ». Le second orateur est Aschaffenburg! Je m’en tiendrai bien sûr à votre seule théorie. La discussion sera de toute manière affligeante, je le sens déjà. ETT[schaffenburg) m’a récemment écrit qu’il n’avait encore rien compris.

J’ai maintenant lu jusqu’au bout le livre de Rank 3. Il me semble qu’il y a de très bonnes idées dedans, mais je suis loin d’avoir tout compris. Mais je lirai la chose encore une fois plus tard.

Bleuler a maintenant accepté env. 70 % de la théorie de la libido, après que je lui ai fait la démonstration sur plusieurs cas. Sa résistance se dirige maintenant principalement contre le mot. Son oscillation négative semble avoir été temporaire, à l’occasion de ma visite à Vienne. Bl[euler] a été pendant très longtemps un célibataire totalement refroidi et a par là déjà accompli bien du travail de refoulement dans sa vie. Aussi son inconscient est-il devenu fort bien portant et influent. Vous avez néanmoins un soutien courageux en lui, même si de temps en temps se présentent quelques restrictions mentales. Ce que Bl[euler] a reconnu comme juste, il ne le lâche pas. Il possède les vertus nationales suisses à un degré inhabituel.

Je vous suis naturellement extrêmement reconnaissant de m’avoir fait part de vos idées sur la d. pr., comme je le suis de toute stimulation qui émane de vous.

Bezzola est un maudit têtu, qui doit encore compenser une situation dans la vie extrêmement désagréable. C’est pourquoi il se croit autorisé à s’enrichir des miettes qui tombent de la table du seigneur. C’est un collectionneur de détails, à qui il manque toute vue d’ensemble claire; par ailleurs un homme correct, que l’inconscient, il est vrai, tient encore bien forte­ment entre ses griffes. Son travail m’a horriblement énervé.

Ma femme et moi avons appris avec les plus vifs regrets la maladie de votre femme et nous lui souhaitons de tout cœur un bon rétablissement.

Recevez les meilleurs salutations

de votre reconnaissant et dévoué

Young.


1. Jung dit ici Transposition ; il emploie à cette époque aussi les termes Rapport, cf. 2 J, n. 5 och 3 F (ajout) och Übertragung de manière apparem­ment synonyme, avant de se limiter à Übertragung. Cf. 27 F, le texte avant la n. 9.

2. Jung est l’auteur de trois essais en anglais sur ce sujet : « On Psychophysical Relations of the Associative Experiment », Journal of Abnormal Psychology, flyg. Jag, 1907; « Psychophysical Investigations with the

Galvanometer and Pneumograph in Normal and Insane Individuals » (avec Frederick W. Paterson), Brain, flyg. XXX, Juli 1907; et « Further Investigations of the Galvanic Phenomenon and Respiration in Normal and Insane Individuals » (avec Charles Ricksher), Journal of Abnormal and Social Psychology, flyg. II, 110 5, décembre 1907-janvier 1908. Textes allemands dans G.W., 2. [« Sur les relations psychophysiques de l’expé­rience d’association »; « Recherches psychophysiques avec le galvano­mètre et le pneumographe chez des individus normaux et aliénés »; « Nou­velles recherches sur le phénomène galvanique et la respiration chez des individus normaux et aliénés ».]

3. Der Künstler [L’artiste], Wien 1907. Cf. 17 J, n.1.

07-04-1907 Freud à Jung

18 F

7. 4. 07.

Cher et honoré collègue,

Je choisis un autre papier (1), parce que je veux parler avec vous sans contraintes. Votre voyage était une action très aimable et digne de gratitude; j’aurais envie de vous répéter par écrit plusieurs choses que je vous ai confessées oralement, avant tout que votre personne m’a rempli de confiance en l’avenir, que je sais à présent que je suis remplaçable comme tout autre, et que je ne souhaite pas d’autre et de meilleur continuateur que vous pour achever mon travail, tel que j’ai fait votre connaissance. Je suis sûr que vous ne laisserez pas le travail en plan, car vous y avez regardé trop profondément et trouvé vous-même combien nos choses sont saisissantes, combien elles mènent loin et combien, véritablement, elles sont belles.

Je pense certes à vous rendre votre visite à Zurich, où je pourrai me faire faire par vous la démonstration de la fameuse dem. praecox (2), mais cela ne sera sans doute pas bientôt. En ce moment je suis également gêné par le rapport non éclairci à votre chef. Après sa dernière défense dans la Münchner medizinische Wochenschrift (3), je croyais être à présent sûr de lui, et vous me rapportez à nouveau une oscillation négative très sérieuse de sa part, que vous comprenez sans doute, tout comme moi, comme une défense contre la conviction que vous avez ramenée d’ici. Combien le « complexe personnel » l’emporte sur tout travail purement logique de l’esprit!

En ce qui concerne la dem. praecox, j’aurais une proposi­tion à vous faire. Après votre départ, j’ai noté quelques spécu­lations sur le thème dont nous avons débattu, et je vous les remettrais volontiers, si cela ne vous gêne pas en deux sens de les accepter. Premièrement, parce que vous pourriez tomber sur les mêmes, deuxièmement parce qu’acccepter vous est peut-être pénible en tant que tel. Je dois dire que je tiens pour une forme très respectable d’économie une sorte de communisme intellectuel, dans lequel on ne contrôle pas anxieusement ce qu’on a donné et ce qu’on a reçu. Répondez-moi donc avec une franchise analytique si vous voulez, ou préférez ne pas, écouter ces choses, dont vous ne devez pas surestimer la valeur à cause de ce préavis.

Je rends hommage, pour leurs motifs, à vos efforts pour épar­gner aux autres le goût acide de l’instant où ils mordent dans la pomme, mais je ne crois pas que cela aura du succès (4). Si même nous appelons l’inconscient « psychoïde », il n’en reste pas moins l’inconscient, et si nous n’appelons pas dans la sexualité élargie ce qui pousse « libido », cela n’en reste pas moins la libido, et dans tout ce que nous en faisons découler nous reve­nons à ce dont nous voulions détourner l’attention par une dénomination. Nous ne pouvons pas nous épargner des résistances, pourquoi ne pas plutôt les provoquer tout de suite? L’agression est la meilleure défensive, Jag tror det. Peut-être sous-estimez-vous l’intensité de ces résistances quand vous essayez de les prévenir par de petites concessions. Ce qu’on nous demande n’est rien d’autre que de nier la pulsion sexuelle. Reconnaissons-la donc.

Rank aura certainement peu de chance. Il écrit de manière pratiquement auto-érotique, les égards pédagogiques lui font malheureusement totalement défaut. Mer, comme vous le remarquez, il n’a pas encore surmonté l’influence de la nourriture spirituelle qu’il a eue jusque-là et s’épand dans la manipulation d’abstractions que je ne peux saisir en aucun endroit. Pourtant son indépendance vis-à-vis de moi est plus grande que cela n’en a l’air; c’est un esprit doué, très jeune, och, ce qui est particulièrement honorable vu sa jeunesse, parfaitement hon­nête. Nous aurons bien sûr plus de choses à attendre de votre manière de présenter la chose.

Ce qui ne m’a pas fait une impression d’honnêteté, c’est le travail (5) de Bezzola, qu’il m’a envoyé récemment, très imperson­nellement et sans doute par simple « piété ». Les remarques adjointes sont issues d’une lâcheté personnelle prometteuse. Il semble bien perfide de taire que la psychosynthèse est la même chose que la psychanalyse. Ne cherchons-nous pas par l’analyse les morceaux refoulés dans le seul but de les assembler? La différence essentielle, le fait qu’il n’emploie pas les choses qui viennent à l’esprit mais seulement les sensations, provient simplement de ce qu’il ne travaille que sur des hystéries traumatiques; dans d’autres cas ce matériel n’existe même pas. Förutom, d’après ma connaissance de la structure d’une névrose, il est généralement tout à fait impossible de résoudre la tâche thérapeutique par le simple dévoilement des scènes traumatiques. Il en est donc là où Breuer (6) et moi en étions il y a douze ans et n’a rien appris depuis lors.

Pour la « piété » il mériterait une bonne claque, mais nous avons mieux à faire.

Dans le courant de ce mois vous recevrez encore deux petites publications de moi, dont la Material (7), qui doit vous donner envie d’apporter bientôt, Jag hoppas, à la « collection(8) » une contribution capable d’attirer un plus grand cercle. Je vous remercie beaucoup pour l’assentiment de Riklin. Espérons que son travail en remplira les exigences particulières. Je me mettrai directement en contact avec lui par le biais de la Material.

A Pâques j’ai été à Görlitz chez Kahlbaum (9) et j’ai vu là un cas extrêmement instructif, que je voudrais également vous relater, si cette première lettre depuis votre présence chez moi ne dépassait pas déjà toute mesure.

Ma femme (10) a eu beaucoup de plaisir à recevoir la lettre de votre femme. C’est l’hôte, et non l’invité, qui doit remercier de l’honneur et du plaisir. Malheureusement elle ne peut pas répondre en ce moment, car elle a acquis au cours d’une Stomakake, * une iridocyclite d’ailleurs bénigne. Son état est bien satisfaisant.

En me réjouissant de votre réponse, votre cordialement dévoué

Dr Freud.


1. Papier à lettres de plus grand format, 16,5 X 20 cm, sans en-tête.

2. Voir le cas de la couturière B. St. i G.W., 3, § 198 sq.

3. Dans un compte rendu de la Sammlung kleiner Schriften zur Neuro­senlehre 1893-19o6 dans la Wochenschrift, flyg. LIV, n ° 11, 1907.

4. Ce paragraphe est cité par Jones, II, 486.

5. « Zur Analyse psychotraumatischer Symptome » [Contribution à l’analyse des symptômes psychotraumatiques], Journal fiür Psychologie und Neurologie, VIII, 1906-1907. Cf. les comptes rendus de Jung [G.W., 18].

6. Josef Breuer (1842-1925), médecin et physiologiste autrichien, est avec Freud l’auteur des Études sur l’hystérie, Wien, 1895. Éd. franç., Paris, P.U.F., 1956. Breuer, ami paternel et mentor du jeune Freud, se sépara de lui par la suite.

7. Se 24 J, n. 5; pour l’autre publication, utsikt 23 F, n. 2.

8. Dem Schriften zur angewandten Seelenkunde (comprenant des travaux d’auteurs divers), que Freud édita dès 1907. Cette correspondance s’y réfère souvent comme à la « collection ». Les deux premiers fascicules, publiés chez Hugo Heller, étaient l’essai sur la Material de Freud, cf. 24 J, n. 5, et le travail sur les contes de Riklin, cf. 17 J, n. 3; dès le troisième fascicule — Le contenu de la psychose de Jung, — la publication se fit chez l’éditeur Franz Deuticke, cf. 82 F, n. 4- Pour la liste des titres jusqu’en 1913, voir l’Appendice 5.

9. L’institut « Dr Kahlbaums Ärztliches Pädagogium für jugendliche Nervenkranke », fondé par Karl Ludwig Kahlbaum (1828-1899), alors dirigé par son fils Siegfried. KARLSSON. L. Kahlbaum était un psychiatre réputé; il introduisit la notion de « paranoïa ». L’exemplaire possédé par Freud du livre de Kahlbaum, Die Gruppierung der psychischen Krankheiten und die Eintheilung der Seelenstörungen [Le classement des maladies psy­chiques et la classification des troubles de la psyché], Danzig 1863, se trouve conservé au Sigmund Freud Memorial Room à New York City, cf. 193 F, n. 4, et comprend de nombreuses annotations en marge, que Freud fit lorsqu’il était jeune médecin. Voir Ernest Harms, « A Fragment of Freud’s Library » [ Un fragment de la bibliothèque de Freud ], Psychoanalytic Quarterly, flyg. XL, n ° 3, Juli 1971

10. Martha Freud, née Bernays ( 1861-1 951 ).

* Maladie d’estomac? Lecture difficile ou jeu de mots. (N.d.T.).

31-03-1907 Jung à Freud

17 J

Burgholzli Zurich, 31. Iii. 1907.

Honoré Monsieur le Professeur!

Cette fois en tout cas vous aurez tiré vos conclusions de la longueur de mon temps de réaction. J’ai eu jusqu’à présent une forte résistance contre le fait d’écrire, parce que jusque très récemment les complexes suscités à Vienne étaient encore en pleine agitation. Maintenant seulement la chose s’est un peu éclaircie, de sorte que j’espère être en état de vous écrire une lettre à peu près raisonnable.

Le morceau le plus difficile, votre théorie élargie de la sexua­lité, est maintenant quelque peu assimilé et éprouvé au contact de divers cas concrets. En ce qui touche le général, je reconnais que vous avez raison. auto-érotisme comme essence de la dementia praecox, voilà qui m’apparaît de plus en plus comme un approfondissement important de notre connaissance, dont je ne mesure toutefois pas encore les limites. Vos critères du stade aigu devraient également être exacts; leur démonstra­tion se heurte cependant encore à de grandes difficultés, principalement techniques : la d. pr. ne permet qu’une aperception insuffisante de la personnalité. Un cas doit aussi se présenter tout à fait différemment suivant que le « retrait de la libido » se déroule dans un complexe accessible à la cons­cience ou dans un complexe inconscient. Les rapports entre infantilisme et auto-érotisme gagnent également de plus en plus de clarté. Je suis à présent encore davantage réduit à penser en toute indépendance, du fait que les résistances chez le Pr Bleuler sont actuellement plus vives que jamais. Il conteste notamment le caractère intentionnel du rêve, cela équivaut donc à nier la mascarade des complexes, soit en fait la partie principale de l’interprétation des rêves. Contre l’analyse de ses rêves, de ses associations aussi, Bleuler a d’énormes résis­tances inconscientes, qu’on peut à peine surmonter. Lors de mes fréquentes discussions avec Bleuler, il est d’ailleurs devenu assez clair pour moi que le terme de « libido », et généralement tous les termes transférés de la sexualité à son champ conceptuel élargi (termes qui sont certes indubitablement justifiés), sont équivoques et pour le moins non didactiques. On provoque même directement par eux des inhibitions affectives, qui ren­dent la leçon impossible. J’ai ainsi dû par exemple faire les digressions les plus vastes pour donner une image à Bleuler de ce que vous entendez par « libido ». Ne serait-il pas pensable, par égard pour le concept restreint de la sexualité qui est actuel­lement admis, de réserver les termes sexuels aux seules formes extrêmes de votre « libido » et de dresser pour le reste un concept collectif un peu moins offensif pour toutes DE libidines? M. Placering (1) présuppose lui aussi simplement le concept élargi de sexualité et cela de telle façon que moi, qui suis intensive­ment votre pensée depuis plus de 4 år, j’ai de la peine à saisir. Le public pour lequel M. Rank écrit ne saisira pas du tout. Il faudrait une fois présenter et expliquer avec d’innombrables exemples d’intensité diverse la relation libidineuse du sensible à l’objet. De cette manière le public pourrait peu à peu aper­cevoir dans quelle mesure se justifie l’emploi de cette termi­nologie. (Surtout « pansexualité » [Allsexualität »]!) On a aussi chez Rank le sentiment inconfortable que jurat in verba magistri (2), et l’empirie lui fait défaut. En le lisant j’ai plus d’une fois pensé à Schelling et à Hegel. Votre enseignement cependant est pure empirie et devrait être introduit empiriquement aussi. Du moins est-ce là l’image que je m’en fais, comme de ma tâche la plus noble. C’est pourquoi je cherche ces méthodes pour illustrer la psychanalyse de la manière la plus exacte possible. J’espère fonder par là une vulgarisation scientifique de votre enseignement. Un de mes prochains travaux sera de représenter les rêves de désir dans la dementia praecox selon un important matériel empirique. Lorsque ces travaux-là et d’autres sembla­bles seront achevés, alors seulement j’espère pouvoir me rappro­cher un peu de la théorie de la sexualité. Pour la « confirma­tion » subjective, les rêves sont en effet, comme vous le dites, la meilleure chose, ce que j’ai à nouveau pu constater récem­ment dans quelques très beaux exemples. Des doutes quant à la justesse de votre doctrine ne me poursuivent plus. Mon séjour à Vienne, qui a été en réalité un événement dans le sens le plus plein du mot, a dissipé les dernières ombres du doute. Binswanger aura d’ailleurs déjà fait allusion à l’impression profonde que j’ai acquise auprès de vous. Je ne veux pas vous en parler, mais mon travail pour votre cause vous montrera, Jag hoppas, quelle reconnaissance et quelle vénération j’ai pour vous. J’espère et je rêve même que nous pourrons vous saluer à Zurich l’été ou l’automne prochain. Vous me rendriez personnellement extrêmement heureux par votre visite, car les quelques heures que j’ai pu passer auprès de vous ont été malheureusement bien trop courtes.

Riklin (3) m’a promis de vous envoyer son travail sur les contes dès qu’il sera terminé. Un certain temps s’écoulera encore jusque-là, il est vrai.

Forel (4) est venu dernièrement à Zurich. Je l’ai fait inter­viewer à cette occasion par un ami. Il s’est révélé qu’il n’a pas la moindre idée de vous et qu’il reproche à mes travaux de ne pas assez tenir compte de l’hypnotisme. C’est donc là que gît le lièvre.

Recevez, ainsi que Madame et toute votre famille, mes remer­ciements les plus chaleureux, ainsi que ceux de ma femme, pour l’accueil si aimable que nous avons connu chez vous.

Votre reconnaissant

Young.


1. Otto Rank (1886-1939), s’appelait à l’origine Rosenfeld, mais chan­gea son nom à cause de son conflit avec son père. Il fut de 1906 till 1915 le secrétaire de l’Association viennoise de psychanalyse, dont il rédigea les protocoles. Son livre Der Kiinstler ; Ansatz zu einer Sexualpsychologie [L’artiste; essai d’une psychologie sexuelle] parut au printemps de 1907. Il fut promu en 1912 docteur en philosophie de l’université de Vienne. Rank fut le premier analyste non médecin, et membre fondateur du « comité ». Voir la notice après la lettre 321 J. Il se détourna de la psycha­nalyse au début des années 1920; il vécut aux États-Unis de 1935 à sa mort.

2. « Il jure par les paroles du maître. » Se rapporte aux disciples de Pythagore. (Horace, Epistulae, Jag, 1, 14.)

3. Franz Riklin (1878-1938), från 1902 till 1904 psychiatre au Burghölzli et collaborateur de Jung pour les expériences d’association. Leurs résul­tats furent publiés en commun en 1905 under titeln Experimentelle Untersuchungen über die Assoziationen Gesunder. [Recherches expérimen­tales sur les associations d’hommes sains], G.W., 1. De 1904 till 1909 médecin à la clinique de Rheinau (cf. Walser, Rheinau). Marié à une cou­sine de Jung; suivit Jung après la rupture de ce dernier avec Freud, mais ne pratiqua pas l’analyse. — Le travail promis était Wunscherfüllung und Symbolik im Märchen [Réalisation du désir et symbolique dans le conte], dans la collection Schriften zur angewandten Seelenkunde, fasc. 2, 1908.

4. Auguste Henri Forel (1848-1931), psykiater, psychologue et ento­mologiste suisse, du Pays de Vaud; prédécesseur de Bleuler à la direction du Burghölzli, il acquit sa réputation grâce à ses travaux sur l’hypnose. A la tête du mouvement anti-alcoolique, et adversaire de la psychanalyse. Il avait fait en 1899 une conférence lors des fêtes du dixième anniversaire de la Clark University, Worcester, Massachusetts. Cf. notice après 154 F.

00-03-1907 Jungs första vistelse i Wien (mars-1907)

Jungs första vistelse i Wien (Mars 1907)

Jung rendit sa première visite à Freud le dimanche 3 mars à 10 heures du matin; cf. Jones, II, p. 35 (où la date est fausse­ment donnée comme étant le 27 Februari), och Young, Ma vie; souve­nirs, rêves et pensées, Paris 1966, p. 166 (2) (Young place égale­ment la visite en février). Ludwig Binswanger (cf. son livre Erinnerungen, p. 10 sq.) et le couple Young furent les hôtes des Freud; ils participèrent à la séance du mercredi et prirent part à la discussion. Cf. les protocoles, Minutes, Jag, p. 144, och 23 F, n. 2. Binswanger séjourna encore une semaine à Vienne; Carl et Emma Jung passèrent par Budapest, où ils rencontrèrent Philipp Stein, cf. J, n. 1, et par Fiume, prenant de courtes vacances à Abbazia avant de regagner Zurich. (Nous devons cette information, qui provient d’un journal d’Emma Jung, à M. Franz Jung.)

2. Traduction de Erinnerungen, Träume, Gedanken von C. G. Young, aufgezeichnet und herausgegeben von Aniela Jaffé, Zurich, Rascher, 1962.

26-02-1907 Jung à Freud

16 J

Burgholzli Zurich, 26. II. 1907.

Ärade professor!

C’est en effet extrêmement dommage que je sois dans l’impos­sibilité de venir à Pâques, et je regrette vivement de venir maintenant à un moment qui convient mal. Malheureusement cela ne va pas autrement. Je serai à Vienne samedi prochain au soir et j’espère pouvoir ensuite me présenter chez vous dimanche matin à 10 timme. Je voyage avec ma femme et un de mes élèves (1), un neveu de Binswanger d’Iéna. Peut-être l’occasion me sera-t-elle donnée de vous présenter ma femme et M. Binswanger. Pour la durée du séjour à Vienne, ma femme m’a libéré de toutes les obligations. Je me permettrai encore de vous faire brièvement savoir avant mon départ dans quel hôtel je compte descendre, pour que vous puissiez y adresser une éventuelle communication.

Med uttryck för min respekt, din helt hängiven

Dr Young.


1. Ludwig Binswanger (1881-1966), alors médecin assistant à la clinique du Burghölzli et participant aux expériences d’association de Jung. Sedan, après un court séjour à Iéna, directeur de la clinique privée de Belle- vue, à Kreuzlingen au bord du lac de Constance. Premier président, i 1910, de la section locale de Zurich de l’Association Internationale de Psychanalyse. Cofondateur de l’analyse existentielle. — Son oncle, Otto Binswanger (1852-1929), était professeur de psychiatrie et directeur de la clinique psychiatrique de l’université d’Iéna, où il traita Nietzsche en 1889-1890.

21-02-1907 Freud à Jung

15 F

21. 2. O7.

IX, Berggasse 19.

Mon honoré collègue,

C’est une petite déception pour moi que vous ne puissiez pas venir à Pâques, car je suis habituellement occupé de 8 h — 8 h de la manière que vous savez. Mais le dimanche je suis libre, et c’est pourquoi je vous prie d’organiser votre présence à Vienne de façon que vous puissiez me donner un dimanche. Ce serait aussi très bien si je pouvais vous faire faire la connais­sance, un mercredi soir (1), de mon petit cercle de partisans.

J’admets en outre que vous serez prêt, les quelques soirs que vous voulez passer à Vienne, à renoncer au théâtre, et qu’en revanche vous prendrez après 8 heures le repas avec moi et les miens, et que vous passerez le reste de la soirée chez moi. Je serai très heureux de recevoir l’avis de votre venue et votre assentiment.

Avec mes salutations cordiales

votre

Dr Freud.


1. Les disciples de Freud se réunissaient régulièrement, från 1902, dans sa salle d’attente pour les « soirées psychologiques du mercredi». Le groupe se donna en 1908 le nom de Wiener Vereinigung für Psychoanalyse (Asso­ciation viennoise de psychanalyse). Cf. 87 F, n. 6. Av 1910 les séances eurent lieu au séminaire des médecins. Voir l’introduction de Hermann Nunberg aux protocoles : Minutes of the Vienna Psychoanalytic Society, ed. H. Nunberg et E. Federn, New York, 1962.

20-02-1907 Jung à Freud

14 J

Burgholzli Zurich, 20. II. 1907.

Ärade professor!

Je peux m’absenter de Zurich au début de mars et j’aimerais bien venir alors à Vienne pour quelques jours. Comme mon intention principale est de vous rendre visite, j’aimerais si possible fixer la date de mon départ comme cela vous convient le mieux. Il m’est malheureusement impossible de venir plus tard en mars ou en avril. Je vous serais extrêmement reconnais­sant de m’avertir brièvement.

Votre très dévoué

Young.

13-01-1907 Freud à Jung

13 F [Vykort]

13.Jag.07.

Très honoré collègue,

Je vous prends au mot. Vous venez donc à Vienne à Pâques 1 et vous me faites savoir vos dates à temps, pour que je puisse m’arranger avec les malades. J’espère que nous nous exprime­rons et communiquerons sur beaucoup de choses ; et je me réjouis de la belle perspective que m’ouvre votre assentiment.

Votre très dévoué

Freud.

1. Den 31 Mars.