Archives de catégorie : Sigmund Freud

01-07-1914 Jones à Freud

1er juillet 1914

69 Portland Court, Londres

Cher professeur Freud,

Deux présents me sont arrivés, dont je vous remercie : le reprint « historique», où les modifications m’ont intéressé, et la citation de Goethe amusé (1) ; et les épreuves du Narzissmus. Je n’en dirai rien pour l’instant, car c’est l’un de vos articles « avancés» (comme le chapitre VII de la Tramdeutung) qui exige plus qu’une lecture. Nous aurons cette fois-ci un bon Jahrbuch, qui tranchera sur le dernier.

Ferenczi propose de passer un mois à Londres cet été, et j’espère qu’il donnera suite à ce projet.

Vendredi, je me rends à Durham pour un colloque sur «le rôle du refoulement dans l’oubli», organisé conjointement par la British Psychological Society, l’Aristotelian Society et la Mind Association. J’ai déjà reçu quatre des communications qui y seront présentées, et je vous les ferai parvenir plus tard. Trois d’entre elles sont excel­lentes, l’une étant d’un niveau remarquablement élevé, bien que critique. Vous serez surpris, je crois, de leur qualité (2).

Notre tout dernier visiteur ici a été Frink, le président de la New York ψα Society (3). Il a l’intention de venir fin mai se faire analyser par vous, Abraham ou moi ! Il paraît honnête homme, mais très limité. Il n’a donné aucune nouvelle particulière de l’Amérique, et a paru très satisfait du groupe de NY.

J’ai eu dernièrement des nouvelles d’Abraham, et j’ai hâte de savoir le résultat de sa bombe que, cependant, votre reprint peut rendre inutile; je lui ai suggéré d’at­tendre trois ou quatre semaines, si possible, car Jung peut encore jouer dans nos mains (4).

Trois autres personnes d’ici sont allées chez Jung, dont deux pour trois semaines seulement ! L’épouse d’Eder, le Dr Nicholl (5) — un jeune assez prometteur, mais influencé par le Dr Constance Long — et une collègue de Miss Long. Ce mois-ci, Jung descend une semaine chez Miss Long, et elle désirait que notre société l’invite à prendre la parole devant nous – ce à quoi j’ai bien entendu opposé mon veto. [Il (6)] Bryan m’est d’un grand secours, car je ne puis compter sur Eder. Bryan est notre vice-président, et il deviendra président au cas où je serais porté à la présidence de la Vereinigung, affaire qui — j’imagine — n’a pas encore été tranchée (7).

Je n’ai pas l’intention de me rendre au Congrès de Berne, car j’ai beaucoup de tra­vail ici. Les patients continuent à venir, et j’aurai sept heures d’analyse par semaine tout au long de l’été.

S’il fait aussi chaud à Vienne qu’ici à l’heure actuelle, vous serez particulièrement ravi de fuir, même si vous serez sans doute ravi de toute façon. Votre fille vient en Angleterre ce mois-ci, n’est-ce pas ? J’espère avoir l’occasion de la voir quelque temps.

Je n’ai pas grand-chose de neuf à ajouter, vous le voyez, à ma dernière lettre – les choses étant dans l’ensemble assez calmes à l’heure qu’il est. Je vous adresse mes meilleurs vœux pour de fécondes et bénéfiques vacances, dont je suis certain que vous profiterez. N’oubliez pas, je vous prie, de m’envoyer votre adresse à Carlsbad.

Bien fidèlement à vous

Jones.

1. L’épigraphe de la 3e partie (Freud, 1914 d, p. 42) est empruntée à quelques vers du dernier Goethe : « Mach es kurz ! A.m Jüngsten Tag ist’s nur ein Furz» « Sois bref, car le jour du jugement, autant en emportera le vent. »

2. Pour les contributions de T. H. Pear, A. Wolf, T. W. Mitchell et T. Loveday, réunies sous le titre The Rôle of Repression in Forgetting, voir British Journal of Psychology, 7 (1914-1915), p. 139-165.

3. Horace W. Frink (1883-1935) a été analysé par Freud après la guerre; pendant une courte période, Freud et Jones devaient voir en lui l’un des psychanalystes américains les plus prometteurs. Au début des années 1920, il quitta sa femme pour une autre, puis succomba à la maladie mentale avant de connaître une fin tragique.

4. Parallèlement à Freud (1914 d), la lettre circulaire d Abraham, qu’il avait préparée en sa qualité de président par intérim de l’International Psychoanalytic Association, visait à amener la société de Zurich à se retirer de l’Internationale (ce qu’elle fit le 10 juillet) ; voir les lettres échangées en juil­let 1914 entre Freud et Abraham (H. Abraham et E. Freud, 1965, p. 181-186).

5. Maurice Nicoll, membre fondateur de la London Psycho-Analytic Society (30 octobre 1913).

6. Rayé dans l’original.

7. Sans l’ouverture des hostilités, Jones serait probablement devenu président de l’International Psychoanalytic Association en septembre 1914.

29-06-1914 Freud à Lou

Vienne, IX, Berggasse 19

29. 6. 14

Chère Madame,

Ma lettre d’aujourd’hui — contrairement à ce que l’on pourrait croire — ne se rapporte pas à la petite provocation que vous avez tenté d’introduire dans la vôtre. Mon brave Rank s’est chargé de l’envoi en masse des tirés à part et je me proposais, après un intervalle convenable, de vous prier de formuler vos critiques.

Elles sont infiniment plus aimables que je n’osais l’espérer. Mais j’imagine qu’il doit y avoir à la médaille un revers que vous n’avez pas encore montré. Car ce sujet n’a rien d’agréable. Accuser et dénoncer, démasquer et redresser, ce n’est pas là une tâche plaisante et elle ne fait pas partie de ces opérations que j’accomplis avec une sympathie particulière. La vie veut parfois que l’on soit contraint à ce que l’on déteste le plus au monde. Je n’ai réussi à résoudre ce devoir impérieux qu’en écrivant en quelque sorte pour moi-même, comme repré­sentant l’unique instance et en m’abstrayant le plus possible d’un tribunal dont je devais obtenir la faveur. C’est ainsi que j’ai intentionnellement prodigué des grossièretés à tout un chacun, et, à mes amis proches, que je n’avais pas besoin de gagner à ma cause, autant de compliments que j’en avais envie. Mais tout au fond de moi s’agite quand même le besoin de savoir comment l’ensemble peut être envisagé par une tierce personne — un juge, homme ou femme —, et j’avoue que je vous avais assigné ce rôle.

Naturellement, je sais aussi que les contradicteurs, les bavards et les interprètes tendancieux remplissent également une mission importante : ils accommodent une matière, par ailleurs difficilement assimilable, à l’usage du système digestif de la masse, mais ce ne sont point là des choses que l’on confesse tout haut. Je les soutiens dans le véritable accom­plissement de cette mission en les maudissant pour les souil­lures souffertes par cet objet, si pur, au cours de cette procédure.

Avec l’espoir que votre santé est bonne, je suis

votre tout dévoué Freud.

28-06-1914 Freud à Ferenczi

483 F

Prof. Dr. Freud

le 28 juin 1914 Vienne, IX, Berggasse 19

Cher Ami,

Je vous écris sous le coup de l’assassinat surprenant de Sarajevo (1), dont les conséquences sont tout à fait imprévisibles. Il me semble bien que la participation personnelle tienne ici peu de place.

Et maintenant, à nos affaires! Je crois que vous êtes trop sévère envers Jones. Par exemple, il n’y avait pas encore lieu de distinguer entre libido du moi et libido d’objet et, de plus, ce travail vise un cercle d’auditeurs bien précis. Je ne vous donnerai raison que sur un point : il parle à plusieurs reprises d’introversion 2 là où il veut dire régression. Cela pourrait bien lui être reproché. L’essentiel : les remarques sur la façon dont une névrose peut en cacher une autre, ou quelque chose de grave, sont aussi neuves qu’importantes. Elles proviennent, si ma mémoire ne me trompe pas, d’un « auteur inconnu »3, qui lui a raconté les cas en question. Cela, vous ne devrez pas le lui reprocher, ni par écrit, ni de vive voix.

Je pense que vous avez raison de supposer que votre manuscrit4 a une importance exceptionnelle. C’est une tentative qui promet beaucoup et qui est d’une urgente nécessité. Je peine depuis dix bonnes années sur ces problèmes, mais je ne m’y suis pas sérieusement attaqué, faute de pouvoir rn’appuyer sur l’observation. Ce point d’appui, l’observation de femmes ménopausées vous l’a maintenant fourni. J’aurais beaucoup de choses à vous conseiller et à vous proposer à ce sujet, mais je ne peux le faire par écrit. J’avoue franchement que je suis quand même par trop fatigué inté­rieurement, bien que, en façade, je tienne encore bien le coup au cours de ces semaines. Vous viendrez à Vienne encore une fois, j’imagine, avant que je ne parte, puisque, justement, nous nous verrons plus tard cette année. Nous en discuterons alors, et c’est pourquoi je garde votre esquisse.

Sur le conseil des amis, j’ai renoncé, cette année, à la « soirée au Konstantinhügel » 5, si bien que vous pourrez choisir votre jour comme il vous plaira.

Aucune réaction à la bombe ne s’est encore fait sentir, en dehors de Vienne, naturellement. Ici, certains — peu nombreux — sont enthousiastes; d’autres laissent entendre de plus en plus nettement que ce serait trop tranchant, et on peut imaginer ce que d’autres encore en diront. Je ne crois pas que toutes les déclarations ultérieures, les conséquences, et même les procès en diffamation m’affecteront beaucoup. Pour une fois, je me suis donné de l’air — cela en valait la peine — et je compte toujours sur une issue à cette relation intenable avec les Zurichois. Je ne poursuivrai cer­tainement pas la polémique.

Il me faut encore travailler quinze jours, ici, de 8 h. du matin à 9 h. du soir. Martin est déjà à Salzbourg, au tribunal 6. Anna part avant nous, le 7 juillet7. Ce fut en fait une année extraordinairement difficile.

Dans l’attente d’avoir bientôt de vos nouvelles ou de vous voir,

Votre Freud.

  1. L’assassinat du Prince héritier autrichien, François-Ferdinand, et de son épouse, le 28 juin, par Gavrilo Princip et d’autres terroristes du mouvement «Jeune Bosnie », déclencha une réaction en chaîne qui aboutit à la Première Guerre mondiale.
  2. « Introversion » (retrait de la libido dans son propre moi) est une notion qui avait été introduite par Jung.
  3. Freud avait lui-même soulevé la question dans « Le début du traitement » (1913c) : « On est souvent obligé de se demander, lorsqu’on a affaire à une névrose avec symptômes hysté­riques et obsessionnels… si l’on n’a pas affaire à un début de démence précoce, suivant le nom qu’on lui a donné (de schizophrénie, suivant Bleuler) de paraphrénie, comme je préfère l’appeler… », La technique psychanalytique, 1967, pp. 81-82. Cependant, Freud pourrait aussi se référer à des remarques faites par Ferenczi à propos de Jones (pendant l’analyse de ce dernier?).
  4. Voir 482 Fer et note 1.
  5. La rencontre d’adieu traditionnelle de l’Association viennoise, à la fin de l’année de travail.
  6. Voir 438 Fer, note 1.
  7. A Hambourg, d’où elle repartit le 18 juillet pour l’Angleterre. Le voyage de retour vers Vienne ne put se faire qu’en passant par Gibraltar et Gênes, avec l’aide de Jones et sous la protection de l’ambassadeur d’Autriche.

27-06-1914 Binswanger à Freud

99B

Constance, le 27 juin 1914

Cher Professeur !

Merci beaucoup pour le tiré à part (1). Ce travail m’a telle­ment intéressé que je l’ai lu d’une traite dès le premier soir. J’étais tenu en haleine tantôt par le contenu, tantôt par la causticité de votre critique. Je ne trouve rien à redire, car ce travail est tout entier le reflet de votre personnalité et sera donc de la plus haute valeur pour vos futurs biogra­phes. Les coups que vous distribuez m’ont beaucoup réjoui ; mais ce qui m’a le plus réjoui c’est l’extraordinaire vitalité qui se dégage de ce travail. Puissiez-vous la conserver le plus longtemps possible.

Avec mes salutations cordiales je reste

Votre [L. Binswanger]


1. « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique » (1914d).

26-06-1914 Ferenczi à Freud

482 Fer

INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud Schriftleitung: Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/ Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8 Verlag Hugo Heller & C°, Wien, I. Bauernmarkt N° 3 Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = Mk. 18.

Budapest, le 26 juin 1914

Cher Monsieur le Professeur,

J’ai rarement été aussi incertain de la valeur, ou de l’absence de valeur, d’un travail que pour celui que je vous envoie ici (1). Vous pouvez me dire votre opinion sans ambages, je m’attends au pire. Je vous prie de considérer le courage de vous le soumettre comme une sorte de sincérité qui n’a pas l’intention de camoufler même ce qui est médiocre. Mais je ne vous cache pas qu’à certains moments, il y a des choses là-dedans qui me paraissent justes et importantes.

Je suis content de ne pas m’être trompé, en vous proposant de vous laisser tranquille cet été. J’ai du mal à repousser mes vacances jusqu’en septembre (vous savez bien que Budapest en août n’est pas vraiment un lieu de villégiature estivale convenable); je m’en tiens donc à ma décision de partir d’ici, où je n’aurai rien à faire, le 1er août. Je sonde Jones pour savoir s’il est libre vers cette époque, et il est possible que j’aille en Angle­terre où je ne suis pas encore allé.

J’ai relu encore une fois d’un trait l’« Histoire du mouvement psycha­nalytique ». Je la trouve excellente et je me réjouis que vous ne vous soyez pas laissé attendrir et n’ayez fait aucune modification. L’effet ne peut manquer de se produire et j’attends avec impatience de vos nouvelles.

Demain je pars en province chez ma sœur, qui habite près de Nyiregy-haza (2), mais je serai de retour lundi soir.

Cordiales salutations à vous et aux vôtres,

Ferenczi

Une importante contribution à la régression du génital à l’oral m’a été fournie par un patient, déjà guéri d’une impuissance, qui doit vivre maintenant dans l’abstinence, à cause d’une gonorrhée. Depuis, ses dents le préoccupent avec une fréquence surprenante; il lui faut sans cesse mordre quelque chose, ou grincer des dents. J’en suis venu à croire que mordre apporte aussi une contribution libidinale au génital (voir l’analogie de rythme dans l’acte de mordre et le coït) et que la symbolique des dents trouve là sa dernière source. Donc : une perspective de découvrir les fondements orga­niques de la symbolique.

1. Probablement « Pour comprendre les psychonévroses du retour d’âge », mentionné dans 479 Fer.

2. Voir 203 Fer et note 3.

25-06-1914 Freud à Abraham

Vienne, IX, Berggasse 19

25.6.14.

Cher ami.

La bombe a donc maintenant éclaté. Nous connaîtrons bientôt les effets qu’elle provoquera. Je pense que nous devons laisser à ses victimes 2 à 3 semaines, le temps qu’elles se ressaisissent et réagissent, et, du reste, je ne suis pas certain que leur réponse à nos caresses soit précisément de se retirer.

Rank m’a montré que mon démon familier m’a joué un petit tour. J’envoie donc un rectificatif pour la dernière page du Jahrbuch; peut-être trouverez-vous vous-même dans d’autres travaux quelque chose à ajouter.

Salutations cordiales.

Votre Freud.

23-06-1914 Ferenczi à Freud

481 Fer

INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR

ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE

Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud

Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/

Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8

Verlag Hugo Heller & C°, Wien, I. Bauernmarkt N° 3

Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = Mk. 18.

Budapest, le 23 juin 1914

Cher Monsieur le Professeur,

Jones m’a envoyé récemment quelques tirés-à-part, m’invitant à en faire un compte rendu pour la Zeitschrift; entre autres, l’article ci-joint sur l’« Interrelation of Biogenetic Psychoses (1) ». Je regrette de ne pas trouver dans ce travail l’esprit psychanalytique authentique et, mis à part quelques remarques pertinentes, il me paraît confus et déconcertant. Quel est votre avis sur cet écrit et comment dois-je faire face à mon devoir de rapporteur dans ce cas?

Cordiales salutations de

Ferenczi


(1) «The Inter-Relation of the Biogenetic Psychoses», American Journal of Insanity, 1914, 19, réimp. in Papers on Psycho-Analysis, Londres, 1920, pp. 466-473.

22-06-1914 Binswanger à Freud

98 B

Constance, le 22 juin 1914

Cher Professeur !

Merci beaucoup pour votre lettre du 19 juin. Je vous demande seulement de me dire à peu près quand doit paraître le prochain volume du Jahrbuch. Je suis très excité par le texte annoncé.

Depuis le 18, j’ai repris du service, ce qui me pèse encore un peu. Je ne suis ni mal luné, ni réellement inquiet, il ne s’agissait que d’une intoxication par la nicotine (1) avec des manifestations cérébrales et cardiaques. Je souffre encore un peu de vertiges et d’une légère tendance à l’épuisement, mais je me sens malgré tout mieux en travaillant qu’en ne faisant rien.

Avec mes salutations cordiales, je reste, cher Professeur, fidèlement

votre [L. Binswanger]

1. Dans le Journal de Binswanger (II, pp. 5-8), on trouve à la date du 12 juin [1917] le récit dramatique d’une nouvelle intoxication à la nicotine : « Premier empoisonnement à la nicotine depuis trois ans. Caractère de crise vasculaire encore plus accentué qu’à cette époque. »

22-06-1914 Freud à Ferenczi

480 F

Prof. Dr. Freud

le 22 juin 1914 Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,

Nous vivons dans l’attente de la « bombe » qui doit être expédiée dès son arrivée. Pour le moment, rien qui puisse m’intéresser plus vivement.

Vos contributions ou esquisses, je les attends également avec impatience. Il me semble que la Zeitschrift a besoin maintenant de quelques réalisations vigoureuses. En ce qui concerne l’ambivalence, on devrait surtout penser au travail de Bleuler (1). Abraham, en principe, a raison dans sa remarque sur les travaux énumérés, mais ce n’est vraiment pas le bon moment pour brandir le crayon rouge de la critique, sinon nous n’aurons aucune contri­bution; il faut bien admettre une certaine diversité des points de vue, voire un alliage avec un certain pourcentage de non-sens. – Putnam m’a écrit, à moi aussi, plus gentiment que d’habitude (2). Il se peut que des quatre groupes américains, nous en gardions trois après le schisme (3).

Pour ce qui est de l’été, je vais vous révéler que j’ai un besoin impérieux d’un temps de solitude, car à Seis je dois faire le travail destiné à Kraus (4), qui ne peut être mûri qu’au cours de promenades tranquilles. Après, tout dépendra du moment où j’en aurai fini avec ce travail, quatre semaines, peut-être, donc le 4 ou le 5 septembre. Abraham ne viendra qu’avant le congrès. Ce serait très bien alors, si nous pouvions passer ensemble la période à partir du 18 septembre jusqu’au moment d’aller en Hollande ou à Hambourg. La période du 4 au 18 septembre n’est pas encore prise, peut-être resterons-nous à Seis; je vous informerai de chaque phase.

Vous devriez vraiment participer au congrès occultiste (5). Mais d’après la date, ce n’est pas compatible avec notre congrès (16-24 octobre!).

A Madame G., mon plus cordial salut.

Par ailleurs, je travaille de nouveau comme une vraie bête, de 8 h du matin à 9 h ½ du soir!

Votre Freud

1. « L’excellente expression » (Freud, 1912-1913, Totem et tabou, 1947, p. 47) d’ambivalence avait été introduite en 1910 par Bleuler lors d’une conférence intitulée «Über Ambivalenz» (De l’ambivalence), compte rendu dans Zentralblatt 1910-1911, 1, pp. 266-268, et dans Dementia praecox oder Gruppe der Schizophrenien (Démence précoce ou groupe des schizophrénies), Leipzig et Vienne, 1911.

2. Dans sa lettre du 2 juin, Putnam avait loué l’étude de Freud sur Moïse (Freud, 1914A), (« Le Moïse de Michel-Ange », Essais de psychanalyse appliquée, pp. 9-40) et partagé l’avis de Freud sur Adler : «Je crois que vous voyez juste; je crois aussi que mes propres complexes me poussent à de trop anxieuses tentatives pour » rendre justice « , qui ne sont, en réalité, que des tentatives de conciliation » (Hale, Putnam, p. 204).

3. La New York Psychoanalytical Society fondée par Brill, l’American Psychoanalytical Association initiée par Jones, la Washington-Baltimore Psychoanalytic Society fondée par William Alanson White (1870-1937) et la Boston Psychoanalytic Society fondée en 1914, avec Putnam comme président et Isidor Coriat (1875-1943) comme secrétaire. Freud pouvait craindre la défection des groupes autour de White et de Smith Ely Jelliffe (1866-1945) qui avaient accepté la notion de libido désexualisée selon Jung.

4. Le projet de « Psychoanalytische Darstellung der Neurosen » (Présentation psychanaly­tique des névroses) (voir 432 F et note 2).

5. Un projet abandonné du fait de la guerre.

19-06-1914 Freud à Binswanger

97 F

Prof, Dr. Freud

Vienne, IX. Berggasse 19 le 19 juin 1914

Cher Docteur !

Je ne suis pas du tout aussi « indigné » que vous le pensez. J’ai trouvé la même explication que celle que vous proposez. Je pense seulement que des psychiatres liront aussi la revue, et je ne me passe pas volontiers de vos contributions. Peut- être vous ai-je fait cette impression malveillante du fait de

mon inquiétude, car je n’ai pas tiré plus d’information de la seconde lettre que de la première, pour en déduire si vous êtes simplement « mal luné » ou si vous avez un motif réel d’inquiétude.

Le VIe tome du Jahrbuch est maintenant terminé et doit paraître dans trois semaines environ. Votre offre appré­ciable arrive donc trop tard, mais dans le prochain Jahrbuch (1) nous vous garderons toute la place nécessaire et ne voulons plus nous passer de vous.

Bientôt vous recevrez quelque chose d’imprimé (2) de ma part et j’attends avec impatience votre réaction. En vous priant de donner de vos nouvelles Cordialement

votre Freud


1. N’a pas paru.

2. Freud (1914d) ; cf. 99 B.