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18-05-1914 Jones till Freud

18 mer 1914

69 Hamn, London

Cher professeur Freud,

Les deux premiers lots d’épreuves sont arrivés1, et nous avons eu grand plaisir à les lire. Quand on est au courant de toutes les allusions et références, il est aussi inté­ressant que plaisant de compter vos délicats coups d’estoc. Je suis certain que l’effet sera excellent, qu’il va affermir notre camp, lui donner de l’énergie, et qu’il va « démanteler » l’autre camp, comme dit Shaw.

Vous imaginez bien que je n’ai aucune critique à formuler, mais puisque vous m’avez demandé de vous faire part de toutes les observations qui me viendraient à l’esprit, j’attirerai votre attention sur quelques détails insignifiants.

Le premier est personnel : S. 46 (Fahnen) vous écrivez « Alle drei (Brill, Ferenczi et moi-même) hatten die a in Zürich kennen gelernt2». För min del, je crains de devoir décliner cet honneur, les faits étant les suivants : je me suis procuré votre livre en 1906, et j’ai pratiqué la ψα (de manière imparfaite, assurément) un an avant le Congrès d’Amsterdam de septembre 1907 (3) où j’ai fait la connaissance de Jung et d’Otto Gross. Cet automne-là, j’étais à Munich, et j’y ai appris davantage de Gross que je n’ai jamais appris de Jung. Sur la route du retour, en décembre, j’ai passé 5- 6 jours à Zurich, où j’ai vu Jung tous les jours, et c’est ainsi que j’ai été invité au Congrès de Salzbourg en avril suivant. C’est Jung qui m’a alors présenté à vous, ce qui vous a peut-être donné l’impression que j’étais son élève. Depuis lors je n’ai séjourné que deux jours à Zurich. Je suis donc une exception minimale à votre affir­mation (S. 43) « an allen anderen Orten (ausserhalb Wien und Zürich) ergab diese Zuwendung von Interesse zunächst nichts anderes als eine meist leidenschaftlich akzentuierte Ablehnung4».

S. 45. Le sens est renversé par l’omission du mot «non» : «La ψα de Freud est désormais défendue et pratiquée inte seulement en Autriche, etc..5»

[S. 46 : la date6]

S. 55. Den. Jelliffe devrait être remplacé par «White et Jelliffe». White est bien plus fort que Jelliffe et ne doit pas être passé sous silence7.

S. 44. «jenes Charakterzuges von Jungseiner Neigung zum rücksichtslosen Beiseitedrängen eines unbequemen Andern8». Bien entendu, c’est absolument vrai, et en principe je suis d’avis qu’il ne faut pas de pitié dans une guerre d’une telle impor­tance, mais je n’en trouve pas moins ceci assez fort, personnellement, et je crains que, loin de le renforcer, ça n’affaiblisse, par une note personnelle, l’effet général de l’es­sai. On n’a pas intérêt à donner des armes à l’ennemi. Sachs me demande d’ajouter qu’il est tout à fait de mon avis.

Nous attendons le troisième lot avec le plus vif intérêt.

Bien fidèlement à vous

Jones.

  1. Freud (1914 d).
  2. « Tous trois (Brill, Ferenczi och Jones) ont étudié la psychanalyse à Zurich. » Phrase supprimée ; voir Freud (1914 d, p. 31) ; GW, flyg. 10, p. 70.
  3. På 1910, Jones affirmait qu’il s’était familiarisé avec l’œuvre de Freud en 1907, et reconnaissait, pour le déplorer, son manque d’expérience en psychanalyse, voir lettre 26, notera 9.
  4. « Partout ailleurs (en dehors de Vienne et de Zurich), cette vague d’intérêt n’a produit, dans un premier temps, qu’un rejet très appuyé, le plus souvent tout à fait passionné» (voir Freud (1914d, p. 27) ; GW Vol. 10, p. 65-66).
  5. Allusion à l’usage que fait Freud d’un passage en anglais de Havelock Ellis. Den inte figure dans la version publiée ; voir Freud (1914 d, p. 30) ; GW, flyg. 10, p. 69.
  6. Rayé dans l’original.
  7. Freud a révisé son texte en conséquence : « White et Jelliffe, à New York, ont lancé un nouveau périodique (The Psychoanalytic Review» ; voir Freud (1914 d, p. 30) ; GW, flyg. 10, p. 91.
  8. Ce passage — vindicatifa été abandonné : « Ce trait de caractère de Jungsa tendance à écarter brutalement quiconque se met en travers de son chemin. »

17-05-1914 Freud Jones

17 mer 1914

Wien, IX. Berggasse 19

Cher Jones,

J’ai terriblement besoin de quelques heures de discussion avec vous. Écrire une lettre est un mauvais substitut. Soyez certain que je ne songe pas à édulcorer mon article du Jabrbuch(1) il y aura quelques amendements et ajouts (invisibles dans les Fahnen qui vous ont été adressées), mais aucun dans le sens de la clémence.

Il se peut que nous surestimions Jung et ses agissements dans les temps qui vien­nent. Il n’est pas en position favorable devant le public quand il se retourne contre moi: i.e. son passé. Mais mon jugement général en la matière est très proche du vôtre. Je n’attends pas de succès immédiat, mais une bataille incessante. Quiconque promet à l’humanité de la libérer des épreuves du sexe sera accueilli en héros, on le laissera parler — quelque ânerie qu’il débite.

Putnam tient bon, voir son dernier article du Journal of Abnormal Psychology sur la sexualité dans l’interprétation des rêves (2), et laissons de côté son respect excessif des sophismes d’Adler.

Mais Stanley Hall a déclaré allégeance à Adler et, pour des raisons personnelles, cet accident m’a été plus cuisant que les autres. Il peut désormais l’inviter à Worcester pour des leçons d’Indiv. Psychologie. Je vois d’ici(3) ce qu’ils vont faire de ses prêches (4).

MacCurdy a promis spontanément d’agir contre Jelliffe s’il propose de faire de sa revue un organe officiel au lieu de la tidskrift. De tempérament, il semble être réel­lement américain.

Je pourrais écrire des heures durant au sujet de Loe. C’est une femme charmante, mais elle est éprouvante. Pas question de se laisser fléchir quand elle est heureuse, ni d’obéir quand elle est au plus mal. On a toute raison de poser la question: quand devrait-elle prendre « Lachs mit Mayonnaise (5) » ? Le mariage est décidé, mais la date n’est pas fixée, et il n’est pas sûr non plus qu’elle puisse rester jusqu’en juillet. Elle souhaite en finir avec la morphine avant de partir, mais elle diminue très lentement.

Ne vous tracassez pas au sujet du Napoléon de Jekels. Il est bon, il a trouvé l’un des ressorts de son caractère, mais il n’a pas vu l’autre, le vôtre. Mieux vaut ne pas vous précipiter. Bacon a certainement été une personne tout à fait extraordinaire ! Profitez donc de votre visiteur et ayez de bonnes pensées pour votre attentionné

Freud

P. -S. : Fisher Unwin écrit que l’édition anglaise de l’Alltagsleben sortira le 3 Juni (6). Il demande une liste de personnes et de périodiques, à qui adresser le livre. Je pren­drai la liberté de lui dire que vous (J.) lui donnerez les conseils nécessaires, et de vous faire envoyer un exemplaire en revanche (7).

F.

Il y a des tractations en cours avec F. Alcan (Paris) à propos de la traduction française ; elles peuvent facilement déboucher sur quelque chose.

1. Freud (1914 d).

2. Putnam (1914 en).

3. « I picture to myself » : Freud semble suivre ici la syntaxe allemande : Ich stelle vor mir.

4. Sur l’intérêt que Hall portait à Adler, par opposition à Freud, voir Ross (1972, p. 406-407, 409- 411). Adler ne devait pas prendre la parole à la Clark University.

5. Dans une anecdote que Freud analyse dans Der Witz un individu apppauvri, qui vient d’em­prunter un peu d’argent, se fait réprimander par son bienfaiteur pour avoir commandé un bon petit plat au restaurant, et rétorque : « Si je n’ai pas d’argent, je ne peux pas m’offrir du saumon mayonnaise, si j’en ai je ne dois pas m’en offrir. Sedan, quand puis-je le faire ?» (Freud (1905 c) ; GW, flyg. 6, p. 51, 53-54.

6. Brill (1914).

7. Sic ! I franska i texten.

16-05-1914 Freud à Ferenczi

475 F

INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/ Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8 Verlag Hugo Heller & C °, Wien, Jag. Halva nr. 3 Abonnementspreis ; alla (6 Hefte, 36-40 Bogen) KARLSSON. 21.60 = Mk. 18.

Wien, den 16 mer 1914

Cher Ami,

Je réagis vite à votre amical télégramme : je suis archi-bien-portant, tout à fait rétabli et mieux qu’avant Brioni. Så, ce n’est pas encore pour cette fois! Je suis en train de corrigerle mouvement ψαet j’ai bien présente à l’esprit la recommandation de Jones de ne rien atténuer. De lui et de Sachs, de bonnes lettres aujourd’hui. De Putnam, un honnête plai­doyer pour la sexualité dans l’Interprétation des rêves, dans le J.[ournal] of Abnormal Psychology (avril-mai). Annars, rien que des pertes : Stanley Hall, comme je l’ai dit, tout à fait adlérien, la Spielrein, meschugge *, écrit que j’ai quelque chose contre elle 2. Scientia annonce un article d’Adler sur la psy.[chologie] individuelle] (3). Sous peu, on l’invitera en Amérique pour libérer le monde de la sexualité et le fonder sur l’agression!

Votre fantaisie sur l’amphimixie des pulsions partielles est attendue avec impatience. Rien lu de sensé depuis longtemps.

Toujours aucune envie de travailler.

A Ophuijsen, on aurait pu dire tout de suite la vraie raison et, la pro­chaine fois, on peut vraiment le faire.

La première action d’Abraham vous sera bien parvenue, à vous aussi. Den 20/21 September4 me convient parfaitement. Après, je vais faire l’ex­posé à Leyde, peut-être le 23, puis partir pour Hambourg. Été encore tout à fait incertain.

Cordiales salutations,

votre Freud redivivus **

* En yiddish dans le texte : folle, marteau.

** En latin dans le texte : ressuscité, rendu à la vie.

  1. « Dream Interprétation and the Theory of Psychoanalysis », Journal of Abnormal Psychology, 1914 (avril-mai), 9, pp. 36-60.
  2. Spielrein (sa lettre n’a pas été retrouvée) s’était probablement plainte que Freud avait quelque chose contre elle, parce qu’il ne lui envoyait pas de patients. Freud répondit, den 15 I 1914 : « Voilà que vous aussi devenez dingo (meschugge), et avec les mêmes symptômes que vos prédécesseurs! J’ai reçu un jour, sans me douter de rien, une lettre de Madame Jung, me disant que son mari était persuadé que je lui en voulais. C’était le début ; la fin, vous la connaissez. Et votre argument selon lequel je ne vous aurais envoyé encore aucun patient? Cela s’est manifesté exactement de la même manière chez Adler, qui se croyait persécuté parce que je ne lui envoyais aucun patient. Ne reconnaissez-vous pas là le mécanisme connu qui consiste à grandir abusivement une personne afin de pouvoir la rendre par la suite responsable? » (Aldo Carotenuto et Carlo Trombetta, Sabina Spielrein entre Freud et Jung; 1981, p. 275.)
  3. « Die Individualpsychologie, ihre Voraussetzungen und Ergebnisse » (La psychologie indi­viduelle, ses hypothèses et ses résultats), Scientia, 1914, 16, 74-87.
  4. La date proposée pour le congrès projeté.

15-05-1914 Abraham till Freud

* Berlin W, Rankenstraße 24

15-5-14.

Kära Professor,

Je ne me suis vraiment pas préoccupé de votre état de santé dans ma dernière lettre; je pensais qu’il n’y avait rien de grave. Voilà ce qu’il arrive quand vos propres douleurs vous enferment dans votre narcissisme. Je m’empresse d’apporter ma voix très chaleureuse aux bons vœux de votre médecin. J’espère que j’apprendrai très prochainement que vous trouvez en vous-même et dans votre travail toute satisfaction. En atten­dant, peut-être appliquerez-vous un peu à votre santé l’épigra­phe dont vous me parlez! Car, en réalité, vous ne semblez pas justifié à voir les choses en noir.

En ce qui concerne la question de la présidence, je suis entiè­rement d’accord avec vous. A ceci près que je ne comprends pas du tout en quoi ma proposition concernant la présidence d’honneur sent le « à la retraite », étant donné que son inten­tion est de faire que vous dirigiez activement nos congrès. Je n’ai pas besoin, Naturligtvis, de vous assurer que ma préférence absolue serait de vous voir président. Cette question trouvera certainement, dans le cercle étroit de nos amis, sa solution la plus juste.

Cette lettre, cher Professeur, ne demande pas de réponse. Ne vous donnez donc pas, juste en cette période, de peine inutile. Je veux compléter ce que je vous ai annoncé la dernière fois en vous disant que j’ai en chantier un petit essai : « Des rela­tions entre la pulsion de nourriture et la pulsion sexuelle (1). » La Zeitschrift ne doit tout de même pas rester sans contribu­tion de moi.

Je vous en dirai plus sur nos projets pour cet été, dès que j’en saurai plus moi-même! A l’occasion, j’aimerais savoir quand vos vacances commencent; milieu juillet ou plus tard? Avec mes salutations cordiales et mes meilleurs vœux,

Din Karl Abraham.


1. Cf. article cite en note 2 de la lettre du 3.3.13.

15-05-1914 Freud à Sabina-Spielrein

Freud à Sabina Spielrein

15 mer 1914 Wien, IX, Berggasse 19

BÄSTA FRU,

Voilà que vous aussi devenez dinguo( 20) et avec les mêmes symptômes que vos prédécesseurs ! J’ai reçu un jour, sans me douter de rien, une lettre de madame Jung21 me disant que son mari était persuadé que je lui en voulais. C’était le début; la fin, vous la connaissez. Et votre argument selon lequel je ne vous aurais envoyé encore aucun patient ? Cela s’est manifesté exactement de la même manière chez Adler qui se croyait persécuté parce que je ne lui envoyais aucun patient. Ne reconnaissez-vous pas là le mécanisme connu qui consiste à grandir abusivement une personne afin de pouvoir la rendre par la suite responsable (22) ? Depuis au moins six mois, je n’ai pas eu un seul client de Berlin, et par ailleurs aucun que j’eusse pu vous envoyer. J’ai de grandes difficultés à m’occuper de mes jeunes gens à Vienne. La moitié des analystes et tous ceux qui ne le sont pas s’amusent à m’injurier, comment vous étonner après cela que tous les névrosés ne viennent pas chez moi pour se faire indiquer des médecins. Je ne sais si Abraham pourra faire grand-chose, mais je suis persuadé qu’il tiendra compte de vos désirs à condition que vous ne vous teniez pas trop en dehors des activités de Association.

Après les relations que nous avons eues jusqu’à présent, que voulez-vous donc que j’aie contre vous ? Y a-t-il là autre chose que l’expression de votre mauvaise conscience de n’avoir pu vous libérer de votre idole ? Réfléchissez-y encore une fois et écrivez-moi ce que vous en pensez.

Je vous salue cordialement, Freud

20. Freud utilise une expression d’origine yiddisch, passée dans l’usage viennois : « meschugge », qui signifie, encore aujourd’hui, quelque chose d’équivalent à notre moderne « cinglé » (ou « dingue ») (N.d.t.).

21. Cf. la correspondance S. Freud — Emma Jung in S. Freud, C.G. Young, Korrespondens, op.cit., t. II, p. 209 sq. (il s’agit de la lettre du 30 Oktober 1911).

22. Cf. Totem et tabou, ed. fr., p. 63, G.W. IX, p. 64, S.E. Xiii, p. 50.

13-05-1914 Freud till Abraham

Wien, IX, Berggasse 19

13-5-14.

Kära vän,

Merci bien pour votre longue lettre. Entre-temps, j’ai été à nouveau malade, et je n’ai absolument pas de répit, comme si les tourments et le travail voulaient m’avoir à l’usure!

Le dernier accès de mes douleurs intestinales a amené mon « médecin personnel (1) » à entreprendre, par précaution, un examen rectoscopique, à la suite duquel il me congratula si chaleureusement que j’en conclus qu’il avait tenu le carcinome pour hautement probable.

Ce n’est donc rien pour cette fois-ci; il me faut continuer à m’échiner. Nous n’avons encore rien décidé pour cet été. One, comme Rank le propose, vous faites adopter les 20 och 21 sep­tembre (dimanche) pour le congrès, nous pourrons avoir notre rencontre privée le 19, je pourrai reporter ma conférence de Leyde au 23 handla om, et je partirai ensuite voir ma fille et mon petit-fils à Hambourg. En Hollande, ma plus jeune fille pourra faire un saut jusqu’à moi depuis l’Angleterre; il me restera bien alors pour Berlin plus qu’un intervalle entre deux trains.

En attendant, j’enregistre la promesse de votre visite après votre excursion dans les Dolomites. Nous irons peut-être ensemble à Dresde.

Vous voir comme président définitif, c’est en effet ce que je désire personnellement. Je sais tout ce que nous avons à atten­dre de votre énergie, de votre correction et de votre esprit consciencieux (contraste des plus agréables avec votre prédé­cesseur). Ailleurs, on fait valoir que le problème des relations avec l’Amérique et l’importance qu’il y a à bien tenir le groupe londonien tout récent, parlent en faveur de Jones. Dans ces conditions, je désire vous laisser à tous le soin de prendre une décision qui devra intervenir durant notre précongrès. Il serait prématuré, de fait, de décider maintenant. Nous ne pouvons pas savoir si les Suisses partiront réellement après la parution du Jahrbuch, ce qui devrait aussi avoir des conséquences sur le choix du président. Quant à moi, j’aimerais me garder à l’écart, éventuellement, me réserver pour quelque cas extrême. Votre proposition de président d’honneur non plus ne me plaît pas ; premièrement, elle a quelque chose qui sent le « retraité », et deuxièmement, l’époque actuelle, assombrie par les crises, ne me semble propice pour que l’on décerne des honneurs. Je ne veux pas manquer, toutefois, de vous remercier cordia­lement de cette idée amicale. Dans des temps calmes et féconds, je l’aurais acceptée volontiers. Pour le moment, l’institution d’un président et d’un vice-président me semble indispensable et la répartition de ces deux fonctions entre vous et Jones, avec alternance à de courts intervalles (tous les deux ans), opportune. Mais, comme je l’ai dit, je suis certain que le Comité trouvera une solution à cette question, sans se laisser troubler par des problèmes d’ambition personnelle.

Je me sens réellement mortifié par mon manque d’ardeur et de capacité à travailler, qui dure ainsi depuis Pâques. Cette semaine, j’ai enfin mené à bien la correction des épreuves du premier tiers de la « Contribution au Mouvement psychana­lytique »; il n’y avait dans cette partie pratiquement rien à changer. Je n’ai fait qu’ajouter une épigraphe et insérer le nom de Rank dans un passage où la louange était anonyme. Je me propose de changer beaucoup de choses dans la troisième section.

Tous vos projets de travaux ont mon entière sympathie. J’espère avoir demain, par Sachs, des nouvelles de vous et de Berlin.

Ne prenez pas en mal, dans cette lettre, le niveau bas de mon moral et recevez, dig och din, mes salutations cordiales.

Votre Freud.


(1) Leibarzt (de Leib — corps et Arzt — médecin) signifie normalement en allemand : médecin personnel, ordinaire. Mais Freud joue ici sur un autre sens spécialisé de Leib — ventre, abdomen (N. d. T.). Il s’agit du Dr Walter Zweig, chargé de cours sur les affections gastro-intestinales à l’Université de Vienne.

13-05-1914 Jones till Freud

13 mer 1914

69 Hamn, London

Cher professeur Freud,

Vous avez pensé, j’imagine, que Sachs me donnerait toutes les nouvelles de Vienne, et il m’en a donné quantité. Ainsi l’affaire de la Vereinsleitung est-elle réglée pour le moment de la manière la plus satisfaisante, mais nous devons nous préparer à l’éventualité de nouveaux ennuis prochainement. Jung n’est pas tué, mais juste défait temporairement. En juillet, il prend la parole devant la British Medical Asso­ciation1. Il exercera un puissant attrait en Amérique et peut-être en Angleterre, où la ψα n’est encore qu’une jeune pousse. Pour toutes ces raisons, j’espère que vous n’amenderez pas votre Réferat du Årsbok (2) d’un iota, car l’enjeu n’en était pas uni­quement la Vereinigung.

Sachs me dit que votre santé s’améliore, et qu’Ernst Wolfgang a surmonté sa fai­blesse originelle, deux bonnes nouvelles, mais que votre plus jeune fille a eu du mal à se défaire de son rhume ; j’espère que l’air marin de l’Angleterre en fera disparaître les dernières traces, s’il en reste3.

Ci-joint les lettres reçues d’Abraham. Les affaires ne semblent pas très brillantes en Amérique, bien que j’aie été ravi de voir que sur les 13 articles annoncés dans le programme de l’American Psychopathological Association, tous sans exception por­taient sur un thème de la ψα, 11 étant positifs et 2 seulement négatifs4. MacCurdy, sur qui j’avais fondé de grands espoirs, semble avoir montré un mauvais côté dans l’af­faire Herbert Jones (sûrement par jalousie, car il est très homosexuel), et ceci augure mal de son activité ψα, où le tempérament est au moins aussi important que l’intel­lect. Aucune nouvelle de Putnam depuis deux mois, mais je lui ai écrit dernièrement — lui demandant également l’autorisation de publier son dernier excellent article dans la tidskrift (5).

Loe a écrit une longue lettre cette semaine, après trois mois de silence, mais je serais ravi de savoir par vous l’effet qu’a eu sur elle la triste nouvelle de la mort de sa tante, qui était vraiment une femme magnifique. C’est encore un cas de mort pour des causes, en dernière instance, psychiques (vous souvenez-vous de m’avoir parlé de ce sujet un soir, à une heure tardive), comme le fut celle de Scott dans l’expédition en Antarctique6, à ce que je découvre. La décision de Loe quant à son mariage ne m’a pas surpris, car c’était la seule décision raisonnable, et j’en suis ravi. Emellertid, je ne saurais être très optimiste pour son avenir, car elle ne renon­cera pas à la morphine, bien que je prie de tout mon cœur qu’elle puisse avoir quelques années de bonheur. Poursuit-elle le traitement jusqu’à la fin de votre sai­son de travail ?

L’histoire de l’Arbeit de Jekels était amusante, quoique un peu contrariante. Elle peut m’inciter à écrire mon livre sur Napoléon pour les Schriften, peut-être à la fin de cette année-ci après le Congrès7. Croyez-vous que je devrais sacrifier d’autres travaux à celui-ci ?

Je passerai cet été à écrire un petit livre sur Le traitement des névroses et à traduire Ferenczi8. Puis j’ai signé le contrat pour produire l’an prochain (avant la fin) un gros ouvrage sur la ψα destiné à un public scientifique, mais non médical, et ceci exigera un immense travail9. Outre ces tâches, j’en ai suffisamment d’autres pour occuper le temps libre de mes soirées.

Sir Ed. Durning-Lawrence vient de mourir10. J’ai dîné avec lui il y a à peu près un mois11, et il m’a assuré que Bacon a écrit non seulement tout Shakespeare, mais aussi tout Spenser et Marlowe (qu’il paya de la même façon pour se servir de leur nom), et qu’il avait également supervisé la traduction de la Bible ! ! Paix à ses cen­dres ! Au passage, on a découvert un autre ensemble de références contemporain, où le nom est écrit Shackspere12, confirmant ainsi ce que vous me disiez à propos de Jac­ques-Pierre13.

Sachs vous écrit au sujet de Londres, qui l’enchante. Sa compagnie m’est un grand plaisir.

Bien affectueusement à vous

Jones.

1. Young (1914),

2. Freud (1914 d).

3. Allusions au neveu de Freud, le fils de Sophie, et à Anna Freud, qui était sur le point de se rendre en Angleterre.

4. La cinquième réunion de l’American Psychopathological Association eut lieu à Albany, NY, 6 mer 1914.

5. Putnam (1914 b).

6. Robert Falcon Scott (1868-1912), officier de marine et explorateur, conduisait la fatidique deuxième expédition au Pôle Sud (1910-1913) ; utsikt Scott’s Last Expedition : The Personal Journals of Cap­tain R. F. Scott, C. I. O., R.N., on his Journey to the South Pole, 2 vol., London, Smith, Elder, 1913.

7. Ludwig Jekels (1867-1954), psychanalyste viennois, consacra une brève étude à Napoléon (Ryck, 1914). Jones ne devait jamais publier son essai sur Napoléon Bonaparte.

8. Jones (1920 b, 1916 b).

9. Voir lettre 156, notera 5.

10. Sir Edwin Durning-Lawrence (1837-1914), mort le 21 April, prétendait que Francis Bacon se cachait derrière Shakespeare ; voir son Bacon Is Shakespeare, London, Gay & Hancock, 1910.

11. Dans Jones (1957 en, p. 429; 1957 b, p. 460), Jones date ce dîner de 1913.

12. Den c est souligné de deux traits dans l’original.

13. Voir la lettre 20.

13-05-1914 Ferenczi à Freud

473 Järn

INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/ Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8 Verlag Hugo Heller 8c C°, Wien, Jag. Halva nr. 3 Abonnementspreis : alla (6 Hefte, 36-40 Bogen) KARLSSON 21.60 = Mk. 18.

Budapest, den 13 mer 1914

Kära Professor,

Depuis Brioni je me sens physiquement bien, ce qui, chez moi, ne va pas de pair avec la productivité (de la pensée). Partant du problème de l’énurésie, quelques idées me sont venues sur « l’amphimixie des pulsions par­tielles» lors de l’installation du primat de la zone génitale (1). J’ai pris la résolution de ne pas fragmenter la chose, här, en des récits oraux ou épistolaires, mais de l’écrire et de vous l’adresser comme des associations libres sur ce thème, sans me soucier de me rendre éventuellement ridicule.

L’issue unanime de l’élection présidentielle m’a surpris. Y a-t-il quelque perfidie cachée là-derrière (2)?

Du Dr. Ophuijsen, j’ai reçu la carte ci-jointe (3), à laquelle j’ai répondu dans un esprit d’apaisement, mais non sans faire remarquer que, d’après les numéros de la Zeitschrift déjà parus, il pouvait se rendre compte que nous ne craignons pas (lorsque la chose l’exige) d’aller de l’avant sans ménagement ; qu’il peut donc nous accorder sa confiance quand nous l’as­surons qu’il n’y avait, här, aucun motif de le faire.

La pratique marche bien.

Cordiales salutations de votre Ferenczi

(1) Par amphimixie, Ferenczi entendait la « fusion de deux ou plusieurs érotismes en une seule unité supérieure », par exemple, « la fusion des érotismes, anal et urétral, dans un érotisme génital ». « Thalassa, essai sur la théorie de la génitalité » (1924, 268), Psykoanalys, Iii, p. 258. Dans ce travail, Ferenczi développe des idées qui le préoccupent depuis 1910 déjà (utsikt 155 Järn).

(2) La surprise de Ferenczi concerne les deux présidents qui ne faisaient pas partie du Comité : Maeder à Zurich et Seif à Munich. Maeder avait donné son accord pour qu’Abraham devienne président intérimaire « en termes très obligeants », Seif « d’une manière laconique », comme l’écrivit Freud à Abraham, den 7 I 1914 (Correspondance Freud Abraham, p. 148)

(3) Non retrouvée.


12-05-1914 Freud à Ferenczi

472 F

Prof.. Dr. Freud

den 12 mer 1914 Wien, IX. Berggasse 19

Cher Ami,

Je ne vous ai pas écrit ces derniers jours, car je n’aurais pas su quoi vous dire. Vous vous souvenez de mon malaise à Brioni. Peu après, une laryngite s’est déclarée, qui est montée jusqu’au nez ; elle est maintenant presque guérie. Den 6 au soir, favorisée peut-être par un excès de festivités, une crise intestinale aiguë s’est déclarée, qui a décidé le Dr. Zweig 1 à me rectoscopier, puis à me féliciter! Il a avoué que je n’avais pas encore la néoformation qu’il supposait, mais seulement une inflammation suraiguë du Romanum 2. Me voilà ainsi rendu à la vie et je peux à nouveau vous écrire. Je suis d’ailleurs subjectivement mieux maintenant qu’avant ces maladies.

Entre-temps, l’affaire de la présidence a été, comme vous le savez, net­tement tranchée. Abraham va bientôt s’atteler à la tâche, pour nous livrer le numéro du Korrespondenzblatt. J’ai eu, aussi, une correspondance avec lui à propos de la date du congrès, qui me serait très incommode début septembre. Lui-même est d’avis de le reporter au 20-21 September; nous nous réunirons un jour avant, en congrès privé. Je pourrai alors faire mon exposé à Leyde 3 vers le 23, et partir ensuite pour Hambourg. Nos projets d’été sont tout à fait suspendus par ma maladie et l’incertitude de savoir si Zweig recommandera une cure.

Mes meilleurs vœux de bonheur à l’occasion de votre déménagement. Le tournoi projeté me séduit beaucoup; je vais assurément encourager R.[ank] et S.[achs] à s’y rendre.

Depuis Brioni je n’ai pas travaillé du tout. Hier j’ai commencé la correction de mon « Histoire du mouvement ». Quand vous viendrez ici la pro­chaine fois, vous pourrez admirer une galerie ψα comme à Worcester 4. Stanley Hall, d’après un travail reçu aujourd’hui, est passé à Adler.

Je vous salue cordialement, vous et Madame G.

Votre Freud encore en vie

  1. Walter Zweig (1872-?). Maître de conférences à Vienne, spécialiste des maladies gastro­intestinales. Freud l’appelait plaisamment son « Leibarzt », littéralement : médecin du corps, mais signifiant aussi : mon médecin préféré. Freud â Abraham du 13 I 1914, Correspondance Freud-Abraham, p. 181.
  2. Terme ancien pour une partie du côlon.
  3. Jelgersma avait invité Freud à donner des cours à l’université de Leyde, à l’automne.
  4. Peut-être une allusion aux photographies prises au séminaire psychologique tenu à Wor­cester. Freud à Abraham du 9 Iii 1914, Correspondance Freud-Abraham, p. 170.