Kategoriarkiv: Sigmund Freud

22-12-1914 Eitingon à Freud

73 Den

Iglo, den 22 December [1914]en

Kära Professor,

depuis deux jours nous sommes revenus à Iglò. Notre hôpital a été trans­féré vers l’arrière. Vraisemblablement en rapport avec les événements surve­nus en Galicie et en Pologne et qui nous sont tellement favorables1. –

Comment les choses vont-elles chez vous? Que font messieurs vos fils? Vous a-t-on laissé Rank et Sachs2 ?

Mes salutations les plus cordiales, cher Professeur, à vous-même et aux vôtres

Yours M. Eitingon

en. Vykort militaire.

  1. Du 5 au 17 décembre se déroula dans les Carpates occidentales (près de Limanova) une grande bataille au cours de laquelle l’armée austro-hongroise l’emporta sur les Russes.
  2. Rank et Sachs furent réformés lors de ce conseil, puis enrôlés à l’été 1915, Sachs fut cependant de nouveau congédié au bout de trois mois (BL/W; Lieberman 1985, p. 216).

21-12-1914 Freud till Abraham

* Wien IX, Bergasse 19

21.12.14.

Kära vän,

Je risquerai un paradoxe, en vous disant que vos lettres font toujours plaisir, même quand elles apportent, comme la

dernière, des nouvelles déplaisantes. J’espère que vous êtes à nouveau sur pied, comme le sont les malades de ma famille.

Vous avez raison, j’ai besoin de quelqu’un qui me donne du courage. Il ne m’en reste pas beaucoup. J’apprécie dans votre lettre toutes les qualités par lesquelles nos alliés nous en impo­sent et, par-dessus tout, vos qualités personnelles, votre « Coraggio Casimiro! ». Je frémis parfois à la perspective d’un repas. Si vous pouvez vraiment vous arranger pour me rendre visite, vous rendrez un fier service à mon moral, et nous aurons aussi tout loisir pour discuter. Vos propositions touchant aux revues devront être débattues par les intéressés, dès qu’un des éditeurs se sera prononcé. Nous ne voulons couper l’herbe sous les pieds de personne.

La seule chose qui avance d’une manière satisfaisante est mon travail, qui, de fait, me conduit, d’interruption en inter­ruption, à des nouveautés et à des éclaircissements assez remarquables. Dernièrement, j’ai réussi à caractériser les deux systèmes du conscient (Cs) et de l’inconscient (Ics) d’une manière qui les rend tous deux presque tangibles, et à l’aide de laquelle on peut résoudre, je crois, assez simplement le problème du rapport de la démence précoce à la réalité. Tous les investissements de choses constituent le système Ics, le système Cs. correspond à la mise en relation de ces représenta­tions inconscientes avec les représentations de mots qui rendent possible l’accès à la conscience. Dans les névroses de transfert, le refoulement consiste dans le retrait de la libido du système Cs., c’est-à-dire dans la séparation des représentations de choses et des représentations de mots; dans les névroses narcissiques, il consiste dans le retrait de la libido des représentations de choses inconscientes, ce qui est, Naturligtvis, un trouble bien plus profond. C’est pourquoi la démence précoce commence par transformer le langage et traite dans l’ensemble les représenta­tions de mots de la même manière que l’hystérie traite les représentations de choses, c’est-à-dire qu’elle leur fait subir le processus primaire avec condensation, déplacement et décharge, etc..

II se pourrait que je termine une théorie de la névrose compor­tant des chapitres sur les destins des pulsions, le refoulement et l’inconscient, si mon ardeur au travail ne succombe pas à mes contrariétés.

Reik a présenté à nouveau un fort bon travail sur les rites de puberté (1).

Une lettre met maintenant 7 jours à venir de Hambourg! Comment se fait-il que vous puissiez déjà écrire des lettres fermées? Nous ignorons de tels progrès vers la liberté.

Här, Trigant Burrow(2) m’a fait part avec beaucoup de tendresse de son affliction devant les misères 0f my country, et il m’a très sérieusement proposé de trouver asile dans sa maison à Baltimore! Voilà ce qu’on pense de nous en Amérique.

Je ne sais si je vous ai déjà signalé que Rank a trouvé une solution très piquante au problème d’Homère(3). J’aimerais bien qu’il en fasse sa thèse. Je voudrais le voir, ainsi que vous et Ferenczi, titulaires d’une chaire, afin que les enseignements de la psychanalyse passent sans encombre au travers des temps difficiles qui s’annoncent.

Recevez avec votre femme et vos enfants les cordiales salu­tations de

Votre Freud.

(1) « Les rites de puberté des sauvages. Sur quelques concordances entre la vie psychique des sauvages et celle des névrosés », Imago, t. IV, 1915- 1916.

(2). Trigant Burrow, docteur en médecine, psychiatre et psychanalyste américain.

(3). “Homère; contributions psychologiques à l’histoire de la genèse de l’épopée populaire”, Imago, I, 1917-1919.


18-12-1914 Ferenczi à Freud

Järn

Pápa, den 18 December 1914

Kära Professor,

Votre lettre d’aujourd’hui m’a réellement procuré beaucoup de plaisir. Si j’en juge d’après son contenu, une quantité non négligeable de satisfac­tion intellectuelle m’attend au moment où je prendrai connaissance de vos plus récentes idées ; en outre — et bien qu’en soi et pour soi il s’agisse d’un constat regrettable —, je me suis réjoui de pouvoir être un des si rares à voir vos idées se développer in statu nascendi * et à en faire leur profit. J’ai remarqué d’ailleurs, en traduisant votre Théorie sexuelleen incor­porant mot à mot son contenu — que vos phrases brèves et souvent sèches recelaient des problèmes innombrablesà vrai dire tous les problèmes de la psychologie — et en partie aussi l’indication de la direction dans laquelle devrait se trouver la solution. Emellertid, le fait que vos trouvailles les plus récentes, ainsi que les idées surgies indépendamment chez moi, soient déjà prétravaillées, sans exception, dans la première version de la théorie sexuelle, me semble plus remarquable encore. Le mystique en moi (que vous sures­timez) affirmerait avec Silberer que tout ce qui est venu plus tard était rangé dans vos tiroirs, à cette époque déjà, sous forme de pressentiment. Mais la partie la plus sobre de mon pouvoir de jugement me laisse penser que vous vous êtes manifestement toujours contraint à la plus stricte et prudente honnêteté et que vous avez fait preuve d’une sévérité incroyable à l’égard des produits de votre imagination ; ceci suffit à expliquer le fait que tout s’ajuste si bien. De vérité, il n’en est qu’une /*/ ; et les vérités doivent être en harmonie les unes avec les autres.

Je suis d’avis qu’il ne faut pas abandonner la Zeitschrift, à condition que cela soit possible. Renonçons plutôt à sa dimension et au titre somptueux d’« internationale », etc.. Mais il est nécessaire qu’un lieu existe pour rece­voir vos travaux de moindre importance et qui vous donne aussi la possi­bilité de nous écrire quelques petites choses, techniques ou autres. Pour nous « cinq » aussi, un tel organe est indispensable, surtout pour moi, l’auteur de ψα au souffle le plus court, qui ne réussira certainement jamais l’exploit d’un fascicule indépendant. Votre pessimismejustifié en ce qui concerne l’A.[utriche]-H.[ongrie] – semble s’être en partie déplacé du domaine politique au domaine scientifique. Des névrosés, il y en aura aussi après la guerre, de même que des problèmes psychologiques inexpliqués, et ni la thérapie, ni la théorie ne pourront se passer de la psychanalyse ; elles n’ont « tout simplement » aucune chance d’avancer sans elle.

Mes observations dans ma position actuelle sont vraiment caractéris­tiques, J’espère quand même pouvoir bientôt vous les raconter personnel­lement. Assurément, je ne pensais pas que l’aller-retour se ferait en une seule journée, mais que vous auriez besoin de deux jours pour cette expé­dition ; ce qui, il est vrai, est déjà un peu plus difficile à réaliser.

Raconter des choses personnelles n’est pas facile, une fois qu’on a goûté à la minutie ψα. Physiquement je vais assez bien, psychiquement pas mal non plus, dans cette existence privée de pensées — quelque peu morne — dont je n’ose sortir que rarement, sinon presque jamais, pour m’aventurer dans les sphères douloureuses — non encore éclaircies — de mon Ics. De ces semaines d’analyse, le bénéfice psychique majeur que j’ai enregistré est la reconnaissance de la violence des pulsions homosexuelles en moi. Quant à la solution de la relation à la femme — et c’est bien elle qui nous ouvre d’abord la vie réelle — je n’y suis pas parvenu. De temps en temps, l’examen rapide d’un rêve m’apporte la confirmation de votre proposition de solu­tion : 1) érotisme urinaire — ambition — scène observée nuitamment (?), 2) importance de la question de l’enfant, etc..

Du reste, il me vient à l’esprit, à l’instant, que la résistance à l’égard de Madame G. (à qui je n’ai pas écrit depuis deux semaines déjà) pourrait avoir un rapport avec le fait qu’Elma vient ces jours-ci à Budapest en jeune mariée, et que cela a pu réveiller en moi toute la question, non résolue à Vienne, de ma relation avec elle.

Mais, à quoi bon dérouler tous ces problèmes ? Peut-être me reprendrez- vous un jour de nouveau en traitement ; jusque-là il faut s’en tirer tant bien que mal.

J’ai un commandant plus sévère à présent. Mais si vous ne pouviez venir (ce qui est possible compte tenu de ce que j’ai dit plus haut, ainsi que de votre santé), alors je me rendrais à Vienne pour deux jours, en semaine. En aucun cas à Noël : pour Noël on ne donne absolument aucune per­mission.

Salutations cordiales à vous et à ceux qui vous sont chers

de Ferenczi

/*/ Et non plusieurs, comme le pense Zurich.

* En latin dans le texte : à l’état naissant.

15-12-1914 Freud à Ferenczi

524 F

Prof.. Dr Freud

den 15 December 1914 Wien, IX. Berggasse 19

Cher Ami,

Nouvelle preuve de la petitesse du monde. Un de mes patients sporadiques s’est trouvé, quelques jours avant votre lettre, dans votre cher Papa et m’a remis les horaires de départ, mais il pense qu’il ne serait pas possible de rentrer dans la même journée. Ma visite est à présent remise en question par une énergique réapparition de mes troubles intestinaux chroniques. Voilà trois ans déjà que l’effet Karlsbad persiste pendant quatre mois.

Dans le travail, en revanche, tout marche bien à nouveau. Je vis, comme dit mon frère, dans ma tranchée privée, je me livre à des spéculations et j’écris ; och, après de durs combats, j’ai bien franchi la première série d’énigmes et de difficultés. Ångest, hystérie et paranoïa ont capitulé (1). Nous verrons bien jusqu’où les succès pourront être poussés. Beaucoup de belles choses en sont sorties, le choix de la névrose et les régressions sont achevés sans difficultés. Votre introjection (2) s’est révélée tout à fait utilisable ; quelques progrès dans les phases du développement du moi. La signification de l’ensemble dépend de ma réussite à maîtriser ce qui est proprement dyna­mique, soit le problème du plaisir-déplaisir, ce dont je doute, au vrai, après mes tentatives précédentes. Mais, même sans cela, je peux me dire que j’ai déjà donné à l’univers plus qu’il ne m’a donné. Je suis plus que jamais isolé du monde maintenant, et je le serai aussi plus tard, du fait des conséquences prévisibles de la guerre ; je sais que j’écris actuellement pour cinq per­sonnes (3), pour vous et les quelques autres. L’Allemagne n’a pas mérité mes sympathies en tant qu’analyste, et mieux vaut ne pas parler de notre patrie commune.

Mon gendre Max (4), lui aussi, est passé devant le conseil de révision à Hambourg ; il ne sera toutefois mobilisé que dans un temps indéterminé. Au printemps, quand arrivera le grand bain de sang, j’y aurai, pour ma part, trois ou quatre fils. Ma confiance dans l’avenir après la guerre est fort réduite. Förutom, nous avons appris aujourd’hui l’évacuation de Bel­grade (5), occupée si spectaculairement il y a quinze jours. On nous entretient depuis trois mois de l’inévitable effondrement de la Serbie. Beaucoup de dégoût pour la façon dont nous menons les choses.

Je ne peux pas m’attendre à ce que vous travailliez beaucoup à Papa ; je présume d’ailleurs qu’au Nouvel An Heller proposera l’arrêt de nos revues (6), et nous n’aurons rien de pertinent à lui opposer, puisqu’il y a peu de travaux, pas de lecteurs ni d’abonnés. On n’évitera pas l’effritement. Il promettra naturellement de les reprendre après la guerre. Maisl’Association, elle aussi, est morte. On ne la réveillera plus. Nous ne pouvons garder le mot « internationale » dans notre intitulé (7).

Rank a trouvé entre-temps une solution séduisante au problème d’Ho­mère, à l’aide d’une hypothèse ψα (8). Cela nous a bien amusés, c’était presque aussi drôle que les recherches sur le feu à Brioni (9).

A la maison, nous avons traversé, heureusement sans dégâts, y compris ma mère âgée de soixante-dix-neuf ans, l’épidémie de grippe qui sévit actuellement. A Noël, Ernst viendra peut-être ; pour Martin, c’est peu probable. Ne comptez-vous pas, vous aussi, sur une permission de Noël ?

Jag hjärtligt hälsar dig och invänta din nyhets,

din Freud

1. Il s’agit de trois articles métapsychologiques, non publiés. Voir « L’introduction aux écrits métapsychologiques” från 1915 dans l’édition allemande: Studienausgabe, Iii, p 71 sq.

2. Concept introduit par Ferenczi dans « Transfert et introjection » (1909 [67]), Psykoanalys, Jag, p. 93-125.

3. Les cinq membres que comprenait alors le Comité secret : Abraham, Ferenczi, Jones, Rank et Sachs.

4. Max Halberstadt, mari de Sophie Freud.

5. Den 15 December, Belgrade fut abandonnée sans résistance.

6. De tidskrift och Imago. La première parut encore en 1915 ; l’année 1916-1917 ne fut imprimée qu’en 1918. Imago interrompit sa publication en 1915 et reparut en 1916; elle interrompit de nouveau sa publication entre 1917 och 1918 ; l’année 1919 fut publiée à l’Internationaler Psychoanalytischer Verlag qui venait d’être fondée.

7. II s’agit du titre de la Internationale Zeitschrift für ärztliche Psychoanalyse.

8. Se 519 F, notera 4

9. Voir t. Jag, 469 Järn och anteckning 3, ainsi que 470 F.

15-12-1914 Jones till Freud

15 December 1914

69 Hamn, London

Cher professeur,

J’ai été ravi d’apprendre par Van Emden que ma lettre vous était parvenue, et j’espère patiemment une réponse, si c’est possible. Depuis lors, il n’y a pas grand- chose de nouveau. J’ai reçu une longue lettre, caractéristique, de Putnam1, qui semble écrire et donner des conférences, etc., beaucoup plus qu’il ne l’a jamais fait. Il est bien entendu tout à fait horrifié par la guerre, et ses sympathies sont clairement acquises au camp des Alliés (i.e. Entente). Brill, tvärtom, penche pour son pays natal, ce que je crois naturel. Loe et Herbert sont venus ici prendre le thé hier. Elle se porte comme un charme, et ils comptent emménager dans leur nouvelle maison (à dix minutes d’ici) à la fin janvier. Mon opération est pour la fin de la semaine. Le tra­vail progresse avec l’écriture, les réunions de la société, etc.. ; la semaine dernière, j’ai présenté un cas d’éreutophobie devant un Club psychiatrique privé (2). En janvier, mes heures d’analyse grimpent de huit à dix ou onze par jour, ce qui sera pour moi une expérience intéressante. Si j’avais le choix, je m’en tiendrais à sept, mais par ces temps incertains, où les honoraires sont aussi plus modestes, il faut [faire (3)] accepter ce qui vient. J’ai l’intention de prendre de bonnes vacances en avril après un hiver de tra­vail acharné.

Il semble qu’il y ait une petite confusion sur l’affaire de la traduction de votre Geschichte. Voici ce qu’il en est. Lorsqu’il est paru, j’ai écrit à Jelliffe pour lui dire que vous aviez écrit un article qui, espérais-je, allait neutraliser les effets des articles de Jung dans sa Review (celle de Jelliffe), et je lui ai suggéré de demander à Brill si la tra­duction ne pouvait pas paraître dans la même revue que celle de Jung, de manière à toucher le même public. J’ai également écrit à Brill dans le même sens. Brill assure que Jelliffe lui a dit que je m’étais offert de traduire l’essai, ce qui, naturligtvis, n’est pas vrai. Sur quoi Jelliffe a demandé à Payne de le traduire, étant donné qu’il appar­tient au comité de la Review et qu’il a fait beaucoup de travail pour Jelliffe, dont il est l’ami. Payne vous a écrit et, Tydligen, vous lui avez répondu de prendre contact avec Brill, et que l’essai devait paraître dans le Journal de Prince, non dans celui de Jelliffe. Quand je vous ai écrit sur ce point, je vous ai suggéré de laisser Brill décider quelle publication ferait le mieux l’affaire, la Review ou le Journal, car il connaît mieux la situation locale. Je n’ai jamais eu de nouvelles de Jelliffe à ce sujet. Dans sa dernière lettre (4), Payne cite une remarque de vous, suivant laquelle vous vous étiez laissé dire que j’avais proposé la traduction à Jelliffe, ce que vous qualifiez à juste titre de rumeur peu crédible; je me demande d’où vous la tenez. La jalousie de Brill paraît s’offusquer que j’en aie parlé à quiconque, et peut-être eût-il été plus prudent de ma part de ne rien dire, mais j’y ai été poussé par la satisfaction que j’ai conçue à l’idée que votre essai serait bientôt disponible en anglais pour influencer les tièdes Américains. Naturligt, j’étais à mille lieues de vouloir interférer avec les préro­gatives de Brill. J’ai fait de mon mieux pour tirer les choses au clair avec lui, mais il est « ombrageux », comme nous disons ici (5).

Depuis que j’ai écrit ceci, j’ai appris par Martin que votre frère de Manchester était mort subitement (6). Je vous prie d’accepter mes condoléances. J’espère que ce ne sera pas un choc trop rude pour vous, bien que je sache que vous lui étiez intime­ment attaché.

J’espère cordialement que vous aurez une période de Noël aussi agréable que possible dans ces tristes circonstances, et que le Nouvel An apportera des jours plus légers. J’avais imaginé, à Noël dernier, que je vous retrouverais sûrement à Vienne cette année, mais la capacité de prédiction humaine quant aux affaires humaines a, nu, des limites très définies. Mais c’est réconfortant de penser que, avec le temps, notre travail doit réduire ces limites, peut-être de manière très considérable. S’il doit jamais y avoir le moindre salut du monde, pour l’arracher à ces cauchemars, ce sera certainement la psychanalyse qui ouvrira la voie. D’où mon sentiment que s’il fallait mettre en balance l’avenir de la psychanalyse et l’avenir de mon pays, je choi­sirais la première.

Avec mes sincères amitiés et mes bons vœux à votre famille, à nos amis et surtout à vous tous

de votre toujours très affectueux

Ernest Jones.


1. Probablement Putnam à Jones, 1han November 1914 ; voir Haie (1971 en, p. 283-286).

2. Jones (1919 c) distingue l’éreutophobie, la peur de rougir, de l’érythrophobie, ou peur du rouge ; Se Jones, Papers, 2och éd., 1918, p. 226.

3. En anglais do. Mot biffé dans l’original.

4. Jones avait écrit better, meilleure, au lieu de letter, Brev.

5. « Ombrageux» traduit touchj. A propos de Freud (1914 d) et de Brill (1916 b), voir aussi Jones (1955 en, p. 175-176 ; 1955 b, p. 197).

6. Il s’agit en fait d’Emanuel, le demi-frère de Freud.

14-12-1914 Freud Jones

[résumé de la lettre de Freud par J. Den. G. an Emden]

14 December 1914 Hack

Kära vän,

Le prof. Freud étant d’avis qu’il ne peut vous répondre directement, il me demande de vous faire savoir que :

Rank et Sachs sont libres ; il va essayer de toute urgence de vous faire parvenir la Zeitschrift ; vous devez faire ses compliments à Loe et Herbert J. et les encourager à lui écrire. La question de la traduction anglaise de l’histoire du mouvement ps. a., il l’a bien sûr cédée à Brill (1). Au Nouvel An sortira à Naples la traduction italienne par Bianchini des conférences américaines sur la Ps. ETT.(2) La troisième édition de la théorie sexuelle est sous presse (3). Pratique très faible ; toute la situation devient monotone. Il prépare quel­ques articles. Martin et Ernst sont encore à l’instruction et écrivent très animés. Anna est occupée par la crèche et la soupe populaire ; les vieilles dames vont très bien, son épouse a passé deux semaines à Hambourg. Oli construit des casernes dans le quartier des hôpitaux. Le temps est mauvais, et tout le monde souffre de catarrhe et de fièvre

Rien de neuf par ici. Avec mes meilleurs vœux

bien sincèrement à vous

J.v. Emeller


1. Brill (1916 b).

2. M. Levi-Bianchini, Sulla psicoanalisi, Bibliotheca Psichiatrica Internazionale, Napel, Nocera Superiore, 1915.

3. Freud (1905 d), 3och ed. 1915.

11-12-1914 Ferenczi à Freud

523 Järn ETT

Dr. FERENCZI SANDOR

IDEGORVOS, KIR. TÖRVÉNYSZ. ORVOSSZAKÉRTÔ *

TELEFON : 42-46 BUDAPEST VII. ERZSÉBET-KÖRUT 54 B

Potatis, den 11 December 1914

Kära Professor,

Ci:joint l’horaire des trains praticables entre Vienne et Pâpa, via Gyôr.

Staatsbahnhof
Wien départ à 9 h 10 du matin (train rapide)
Györ arrivée à 11 h 21 (omnibus à partir de Györ)
Potatis arrivée à 12 h 58
Wien départ à 12 h 00 (omnibus)
Györ arrivée à 15 h 45 (3/4 d’heure d’arrêt)
Potatis arrivée 17 h 15, le soir.
Wien départ à 10 h 20 (omnibus)
Györ arrivée à 2 h 11 (arrêt d’une heure !)

arrivée à 5 h 15 du matin.

Retour

1) Papa départ à 6 h 25 (train rapide)

2) Györ 7 h 12 omnibus

Wien 11 h 20 omnibus

3) Papa départ à 2 h 29 de l’après-midi

Györ départ à 4 h 14 omnibus

Vienne arrivee a 7 h 52 (le soir) omnibus

4) Papa départ à 5 h 21 du matin, omnibus Györ départ à 9 h 30 du matin, rapide Vienne arrivée à 11 h 40

5) Papa départ à 1 h 36 la nuit Györ 3 h 6

Wien 6 h 45 du matin.

A utiliser selon votre bon plaisir!

Ferenczi

[Écrit au dos d’une deuxième carte de visite :J

P.S. Pour plus de sécurité encore, Oli devrait demander à la Staatsbahnhof si les trains indiqués ici vont réellement tous jusqu’à Vienne, ou seulement jusqu’à Bruck, et repartent bien de Vienne et pas seulement de Bruck !

ETT. Écrit sur les deux côtés d’une carte de visite.

B. Carte de visite imprimée jusqu’ici.

* Dr. Sandor Ferenczi, neurologue, expert auprès des tribunaux royaux.

09-12-1914 Ferenczi à Freud

Järn

Potatis, den 9 December 1914

Kära Professor,

Le motif extérieur — conditionné de l’intérieur — de mon long silence a été, här, un refroidissement assez sérieux, contracté lors d’un exercice nocturne — auquel j’ai assisté sans y avoir été requis. Nu, je vais de nouveau très bien. Les travaux de mutation ne veulent progresser plus rapidement que les Allemands en Argonne 1 ; des mines sont toujours posées, bien que quelques-unes aient explosé sans succès. (Il y a 6 mois, cette manière militaire de s’exprimer aurait paru insensée. Je crains que, pendant des années, toute la vie intellectuelle de l’Europe ne soit dominée par la guerre — même si la paix est conclue bien plus tôt.)

Je suis très heureux de ne pas abandonner l’espoir de vous voir ici un jour. On m’enverra demain, par courrier de Györ, la liste des correspon­dances qui fonctionnent. Un nouveau commandant, plus sévère, nous a tout simplement interdit les sorties dominicales habituelles, de sorte que mon voyage à Vienne est remis en question. Peut-être y arriverai-je quand même.

Après avoir réussi à me faire des amis de tous les messieurs et dames de la garnison, et aussi à donner satisfaction à mes supérieurs en tant que médecin militaire, il me semble avoir accompli mon devoir, et mon désir de retourner à Budapest à mon travail habituel devient de plus en plus vif.

J’ai déjà oublié par deux fois de vous raconter que j’ai reçu à Budapest quelques lignes d’Otto Gross ; il a rejoint l’armée — comme il me l’écrit — en tant que médecin militaire, en Hongrie 2. J’ai été très surpris par cette situation. L’autre collègue qui m’a écrit est Eitingon 3. Tous deux ont aussi cherché à me joindre personnellement, à Budapest.

Mes salutations cordiales aux chers membres de votre famille. Que dit votre fille Sophie de l’atmosphère en Allemagne ?

Med vänliga hälsningar, Ferenczi

  1. Chaîne de montagnes à la frontière franco-beige, où l’avance allemande fut stoppée, pour se transformer en guerre de position.
  2. Den 8 Juli 1914, Otto Gross fut congédié, «guéri», de la clinique psychiatrique de Troppau (Silésie) ; efteråt, il entreprit une analyse avec Wilhelm Stekel, à Bad Ischi. Lorsque la guerre éclata, Gross travailla comme médecin engagé volontaire à la section des malades de la variole, à l’hôpital François-Joseph de Vienne, puis en Hongrie du Nord, dans une infirmerie de campagne pour contagieux, à Ungvar (aujourd’hui en Ukraine). Ensuite, rendu à la vie civile, il servit comme médecin de réserve de l’armée territoriale, à l’hôpital Impérial et Royal Vinkovci pour contagieux, en Slavonie. Voir Emmanuel Hurwitz, Otto Gross, Paradies-Sucher zwischen Freud und Jung (Otto Gross à la recherche du Paradis entre Freud et Jung), Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1988.
  3. Max Eitingon, en tant que citoyen autrichien, s’engagea volontairement dans l’armée (Eitingon à Freud, 24 VIII 1914, SFC) ; il fut stationné d’abord à l’hôpital de la garnison à Prague, puis dans diverses localités hongroises (Kassa, Iglo, Hatvan, Miskolc).

06-12-1914 Abraham till Freud

* Berlin W, Rankenstraße 24

6.12.14.

Kära Professor,

Ce que vous me dites dans votre dernière lettre m’a vraiment beaucoup intéressé et fait grand plaisir. En général, on n’entend parler que de tranchées, de nombres de prisonniers, etc.. ; mais voilà enfin un signe que notre science aussi est encore en vie. Je suis très impatient de savoir quelles nouvelles idées ont pu mûrir en vous dans le bref laps de temps qui s’est écoulé depuis notre rencontre, et je souhaite vivement pouvoir venir à Vienne entre la Noël et le Jour de l’An. Mais c’est très problé­matique; en fait, je ne sais même pas si je continuerai à m’occuper de l’hôpital. Peut-être aurons-nous le plaisir, entre-temps, de recevoir la visite de votre femme à son retour de Hambourg. Si elle voulait bien nous accorder quelques heures, nous en serions très heureux.

C’est bien de vous voir si plein d’entrain pour le travail. De ce point de vue-là, je me sens très bien aussi. Bien que je ne me sois pas reposé pendant l’été, je résiste bien à la grosse somme de travail. Mes séances se maintiennent toujours au rythme de 3 till 4 par jour. Mais il est possible que la mobilisation de la réserve fasse une brèche dans ma petite troupe de clients.

Que va-t-il advenir du prochain Jahrbuch? Jusqu’ici, je n’ai qu’un travail de Sadger. De votre côté, je peux compter sur le gros travail dont vous m’avez parlé à plusieurs reprises. Reik m’a fait savoir que sa contribution tombait à l’eau. Nous pourrions bien venir à bout des comptes rendus; mais je crois que nous manquerions de travaux originaux. Quant à moi, personnellement, je ne puis garantir que je mettrai quelque chose sur pied dans les mois qui viennent. L’hôpital me prend trop de temps. Dessutom, le Jahrbuch de cette année ne trou­verait guère preneur, et Deuticke fera sans doute des difficultés. Sedan, qu’en sera-t-il?

Vous avez déjà, cher Professeur, autant que je sache, un manuscrit assez important en réserve; dans votre dernière lettre, vous me signalez que Reik a terminé quelque chose; sa « Couvade », d’ailleurs, est toujours inédite. Nous pourrions aussi nous adresser à Jones par l’intermédiaire de Van Emden, pour savoir s’il a quelque chose. Ferenczi, Rank et Sachs apporteront sûrement leur contribution. De Sadger nous avons déjà un manuscrit. De mon côté, j’ai l’intention de mettre au point la question de l’éjaculation précoce. Peut-être pourrait-on augmenter le tout de quelques miscellanées. Tous les travaux qui se feront ensuite dans le courant de l’année prochaine constitueraient le capital de base de nos trois périodiques de 1916, où ils pourraient à nouveau paraître séparément. Si cette proposition vous paraît discutable, vous pourrez en parler avec nos amis viennois.

Votre pessimisme momentané me désolerait, s’il ne succédait à une période de productivité intense. Des résultats comme ceux que vous m’avez laissé entrevoir récemment ne vous tombent pas tous les jours du ciel; mais il est tout aussi certain qu’ils se renouvellent. One, Som jag hoppas, je vous revois dans quelque temps, je suis sûr que vous me parlerez encore de nouvelles idées et de nouvelles trouvailles. Bien sûr, tout le monde n’a pas la chance de Mmig Salomé avec ses 6 grands frères. Toujours est-il que vous avez en ce moment 6 collabo­rateurs, petits, mais fidèles, qui ont à cœur, en des périodes comme celle-là, de vous remonter le moral.

På pannan, la situation est, je crois, plus favorable qu’on ne nous le dit. En particulier, l’armée russe a l’air complètement démoralisée. On entend beaucoup parler ici de la volonté de nos ennemis de faire la paix; mais on ne sait pas s’il faut y croire. Les revers actuels en Serbie sont fâcheux; on peut présumer que les Serbes ont reçu des renforts de l’extérieur.

J’espère que, la prochaine fois, je n’aurai de vous et des vôtres, ainsi que de vos fils, que de bonnes nouvelles, et je vous adresse à tous mes bien cordiales salutations, liksom min fru.

Din Karl Abraham.

04-12-1914 Lou till Freud

Göttingen,

den 4. XII. 1914

Kära Professor,

Au milieu de toute cette tristesse, vous m’écrivez quelque chose de merveilleux : que votre esprit a repris sa liberté, que vous vous êtes remis au travail et que ce long repos invo­lontaire vous a été plutôt profitable. Ce n’est que plus tard et quand ce sera mûr pour l’impression que cela arrivera jusqu’à moi. C’est ce à quoi j’ai déjà pensé avec impatience quand j’ai vu dans la tidskrift de septembre des échos de votre conférence d’avril à la Société sur le narcissisme, conférence que je n’ai pu lire ensuite que dans le nouveau Årsbok. Ce n’est pas la première fois que je vous écris depuis la réception du tiré à part de cet essai, non plus depuis celle de votre dernière lettre dont je vous suis très reconnais­sante. Mais, en ce qui concernait le thème du narcissisme, cela devenait trop important, faisait éclater le cadre d’une lettre et me paraissait très prétentieux. Cela arrivera jusqu’à vous un jour ou l’autre et sous une forme quelconque, parce que ce thème me poursuit depuis longtemps ; il est certain que cette circonstance se fonde sur une raison personnelle, sans que pour autant, espérons-le, cela m’égare sur le plan objectif.

En un point, cela touche à votre prise de position comme à la mienne quant à la gravité de notre époque et aussi à ce que vous appeliez mon optimisme, lequel semble courir main­tenant à un lamentable échec. Cela ne m’empêche pas de continuer à penser que derrière les activités humaines et ce qui peut être encore atteint psychanalytiquement, se situe un abîme où les impulsions les plus précieuses et les plus infâmes se conditionnent mutuellement sans que l’on puisse les distinguer les unes des autres et, ainsi, rendent un ultime jugement impossible. Cette remarquable unité est un fait non seulement dans le degré tout à coup franchi de la vie la plus archaïque (de l’humanité comme de l’individu) mais encore et constamment pour chacun. Ce fait est de nature à anéantir tout orgueil, mais aussi à rendre courage aux plus pusillanimes. Säkert, cela ne change rien à notre répulsion ou à notre ravissement en ce qui concerne un mode d’ex­pression humain et c’est pour cela qu‘à une époque comme la nôtre, toute joie et tout espoir peuvent en conséquence contracter une maladie mortelle ; mais l’on sait aussi par soi- même que l’on ne « vit » que ce dernier espoir, en sorte que cela devrait compter pour tous. Cela devraitMais ce n’est pas le cas, pas aujourd’hui, alors que ce serait possible si l’on voulait seulement s’y employer avec assez de volonté — cela seul m’aide un peu.

Mais il faut que je conclue vite, autrement, je retomberais dans ma prolixité de l’autre jour.

Très affectueusement.

Votre Lou.

Comme le Årsbok est devenu bon et intéressant! Jus­qu’aux rapports 35, surtout celui de Ferenczi et Rank. Re­marquables aussi les travaux de Jones et Abraham comme accompagnement à vos deux papiers 36.

35. Dans le 6och volume du Årsbok, Ferenczi avait fait un rapport sur « la théorie générale des névroses », Rank un autre sur les nombreux ouvrages concernant « l’interprétation des rêves ». (Ces rapports passaient en revue les « progrès de la psychanalyse de 1909 à 1913».) Le travail de Jones avait pour thème : « La conception par l’oreille de la mère de la Vierge. Une contribution aux rapports entre l’art et la religion. » L’essai d’Abraham s’intitule : « Limitations et modifications du voyeurisme chez les névrosés. Remarques concernant des manifestations similaires dans la psychologie collective » (trad. fr. in Kompletta verk de Karl Abraham, flyg. II, Payot, 1966).

36. C’est dans le sixième volume du Årsbok que parurent « Pour introduire le narcissisme » et « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique ».