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10-07-1914 Freud à Jones

10 juillet 1914

Vienne, IX. Berggasse 19

Mon cher Jones,

Merci beaucoup de tous vos cadeaux et de vos nouvelles. Je sais vos talents d’orateur plus grands encore que vos talents d’écrivain, et je me réjouis de la nou­velle de votre succès à Durham.

Contre mes habitudes, j’ai lu attentivement les articles sur le refoulement dans l’oubli que vous m’avez envoyés et que je devais juger, et ce qui m’a paru être un niveau hautement respectable parmi les psychologues était en vérité un piètre niveau pour l’analyste. Je n’ai rien trouvé de neuf dans ce verbiage — telle l’accusation que Hamlet porte contre Polonius -, quelques âneries et quantité de discussions sur des à-côtés qui pouvaient être réglées en se référant à une seule phrase de moi. Reste que nous devons être satisfaits.

La promesse que fait Putnam de se ranger à nos côtés paraît formelle, mais il a terriblement besoin d’une nounou pour le tenir par la main et guider ses pas. Il n’a pas idée de la perfidie d’Adler (1), Lou Salomé m’a adressé une lettre de lui, écrite en 1913, qui a pu l’impressionner.

J’ai le plaisir de vous annoncer que ma belle-sœur se rétablit, et que nous n’avons pas à différer notre départ fixé à dimanche soir. Il lui faudra attendre encore une semaine ou plus au Cottage Sanatorium avant de pouvoir entreprendre un voyage.

Le Congrès de Berlin n’est pas contre ma ligne, mais je ne vois pas l’intérêt de participer aux congrès. Peut-être feriez-vous mieux d’y aller pour vous faire mieux connaître des gens de Berlin.

Je prendrai congé de Loe demain. Elle s’est remise aussitôt après avoir pris davantage de morphine, et je ne vois aucun moyen de l’en arracher pour l’instant. Elle ne croit pas encore à la ψα, mais elle est charmante malgré tous ses défauts, qui sont plus que largement éclipsés par ses excellentes qualités. Il y a de la lumière et de l’ombre.

La 4e édition de la Traumdeutung vient de paraître et vous parviendra dans quel­ques jours.

Quelle est la voie que montrera la décision d’Eder pour Jung ? J’en suis navré pour vous, mais c’est l’action de la « scharfe Löffel» [la cuiller tranchante], retirer tout le tissu aliéné (2).

Avez-vous reçu la lettre de Bleuler ?

Ma prochaine carte pour vous donner mon adresse à Karlsbad.

Bien sincèrement à vous

Freud.


1. On peut trouver dans Hale (1971 a, p. 173-176) plusieurs lettres échangées en 1914 entre Freud et Putnam à propos d’Adler.

2. Freud a écrit insane, sans doute à la place de unhealthy, malsain.

08-07-1914 Ferenczi à Freud

Fer

INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/ Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8 Verlag Hugo Heller 8c C°, Wien, I. Bauernmarkt N° 3 Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = MK. 18. A

Journal International de Psychanalyse Medicale Édité par le Professeur Dr. Sigm. Freud Rédaction : Dr. S. Ferenczi, Budapest VII, Elisabethring 54/ Dr. Otto Rank, Wien, IX, 4 Simondenkgasse 8 Éditions Hugo Heller et Cie, Wien, I, Bauernmarkt n° 3 Prix d’abonnement pour 1 an (6 cahiers, 36-40 feuillets) 21,60 Couronnes, 18 Marks.

Budapest, le 8 juillet 1914

Cher Monsieur le Professeur,

Suite à votre télégramme d’aujourd’hui, j’arrive samedi soir à Vienne, descends à la Pension Washington. De là, je m’annoncerai et m’informerai plus précisément de l’heure et du lieu de la rencontre. Vous saluant cordialement,

Ferenczi

A. En-tête pré-imprimé.

10-07-1914 Freud à Eitingon

54 F

[En-tête Vienne], le 10 juillet 1914

Cher Docteur

Je sais que vous me restez fidèle. Nous sommes un petit groupe qui n’abrite ni bigots, ni traîtres.

Nous nous réjouirons beaucoup d’avoir votre visite à Karlsbad. Fin juillet serait plus favorable que le mois d’août, car nous partons après les premières journées d’août.

Vous recevrez prochainement une carte de moi avec mon adresse à Karlsbad, qu’il va d’abord falloir établir.

Avec mon cordial dévouement Votre Freud

07-07-1914 Jones à Freud

7 juillet 1914

69 Portland Court, Londres

Cher professeur Freud,

J’ai été très désolé d’apprendre la maladie de votre belle-sœur, et j’espère que les prochaines nouvelles que je recevrai seront bien meilleures.

Ci-joint une lettre asse2 tremblotante de Putnam. Sa « Gutmu[ü]tigkeit » [bon naturel] est réellement une maladie. Quoi qu’il en soit, j’essaierai de l’empêcher de frayer avec Adler, et espère y réussir. J’adresserai à Rank son article corrigé (1).

La coupure, ci-jointe, du British Medical Journal me rappelle votre remarque « Es ist den wenigsten Menschen möglich, im wissenschaftlichen Streit manierlich, ges­chweige denn sachlich zu bleiben2. » Reste que les observations du rédacteur en chef sont si manifestement déplacées et polémiques que le lecteur doit en retirer une impression d’ensemble essentiellement favorable à mon attitude, et tout compte fait je tiens que c’est une chance que d’avoir provoqué de sa part une réaction aussi sotte.

J’ai par ailleurs d’excellentes nouvelles à rapporter du côté des psychologues anglais, ce qui confirme mon espoir qu’ils se révèlent plus accessibles que les neurolo­gues. La réunion de Durham a été un succès sans réserve. J’en donnerai les détails dans la Zeitschrift. Tous les orateurs étaient de notre côté, et on peut dire que les conceptions du refoulement et de l’inconscient ont été bien reçues par les psychologues et les philo­sophes anglais3. Reste celle de la sexualité infantile, qui par chance n’a pas été abordée en premier. Je sais bien que l’acceptation de ces deux conceptions dans l’abstrait n’est qu’un petit pas en direction de leur application concrète, mais c’est tout de même un bon début. Chez certains, il y avait la tendance habituelle à expliquer l’oubli par les prin­cipes ordinaires, et à réserver l’explication ψα à quelques cas, mais j’ai mis les rieurs de mon côté en déclarant qu’avant de donner nos explications il nous avait d’abord fallu créer un besoin (comme pour l’amnésie infantile), de même que l’Armée du Salut ne saurait sauver les âmes avant d’avoir inculqué le sens du péché.

Après la réunion, nous avons eu deux jours de détente dans un cadre délicieux. Les participants se connaissaient tous très intimement, et ça a fait une agréable réu­nion de famille, au sein de laquelle j’ai été cordialement accueilli. La ψα a été tout du long le thème central de la discussion, et naturellement dans des circonstances aussi amicales et informelles il était possible d’expliquer les points difficiles de manière satisfaisante. McDougall, d’Oxford, m’a demandé d’analyser un rêve, et nous y avons passé toute une matinée. Il en est ressorti quantité de matériaux qui lui ont fait forte impression quant à la justesse de nos méthodes et de nos conclusions. Ils m’ont demandé de participer à leur prochain colloque de novembre sur la «relation émo­tion/pulsion» et de donner en janvier une conférence sur le Refoulement4 (j’en avais parlé pendant 1½ h. à la réunion, en expliquant que je ne pouvais aborder qu’une modeste partie du sujet). A présent, j’ai donc de bonnes raisons d’être détendu et j’es­père que d’autres vont s’y mettre. Un jeune psychologue intelligent, Pear de Man­chester (5), l’a déjà fait et confirme les conclusions pour la vie adulte, quoique pas encore pour l’enfance.

Vous avez raison de dire que Jung tenterait probablement la tactique du compro­mis si nous l’autorisions à prendre la parole devant notre société, c’est bien pourquoi j’ai opposé mon veto, d’autant que nous avons peu de membres solides.

Pouvez-vous me dire un mot de l’Internat. Congress for Sexology, qui doit se tenir à Berlin en octobre prochain? Je ne vois pas votre nom sur la liste des par­rains ? Y a-t-il une raison à ceci ? La Royal Society of Medicine m’a demandé de la représenter au Congrès, et j’ai provisoirement accepté, même si, comme je le leur ai dit, il est peu probable que j’y aille (6).

Ce que vous disiez de Loe ne m’a pas surpris ; nous ne pouvons qu’espérer le mieux. J’imagine que je la verrai dans un mois.

Encore une fois tous mes vœux pour vos vacances, en espérant que rien ne vien­dra les retarder.

Bien affectueusement à vous

Jones.


1. Putnam (1914 b).

2. « Seules de très rares personnes sont capables de rester polies, a fortiori objectives, quand elles prennent part à des controverses scientifiques. »

3. Voir lettre 194, note 2. Le compte rendu de Jones ne devait pas paraître dans la Zeitschrift.

4. Jones (1915 a).

5. T. H. Pear, M.A., B.Sc., devenu après la guerre professeur de psychologie, University of Man­chester.

6. Congrès international de recherche sexuelle, 31 octobre-2 novembre 1914; voir Zeitschrift, 2 (1914), p. 293, 400-401. Jones ne devait pas y participer.

07-07-1914 Freud à Jones

7 juillet 1914 (1)

Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Jones,

C’est un mauvais moment pour écrire des lettres, le temps le plus chaud et le tra­vail le plus intense de l’année. Je suis passablement épuisé et résolu à fermer boutique samedi prochain ; notre départ a été rendu incertain par la maladie soudaine de ma belle-sœur, une mauvaise grippe avec broncho-pneumonie, elle a de la fièvre depuis une semaine et, comme vous le savez, il est impossible de dire comment ça va évo­luer. Ma fille partira le 7 de ce mois, elle ira en Angleterre le 15, et sans doute aurez-vous l’occasion de la voir en août ou avant.

Pour ce qui est de Loe, la campagne morphine a tourné court ; en essayant de s’en libérer, elle est devenue si pitoyable qu’il était impossible de continuer dans le bref laps de temps que nous avions devant nous. Elle avait commencé trop tard, et s’était donné beaucoup de mal consciemment, mais la résistance intérieure est encore trop forte. Quant au succès des dernières années, il est facile de comprendre qu’elle n’y a consenti que parce qu’elle n’était pas convaincue. Cette fois-ci, elle l’était, et elle a dû apprendre quelles étaient les difficultés. Je ne pense pas qu’elle nous ait trompés plus d’une fois (que je savais) au cours du traitement, et j’imagine qu’elle est encore plus digne de foi que son accusatrice. J’espère qu’elle s’en tiendra dorénavant à de plus petites doses. L’incertitude sur la vraie nature de ses douleurs a été un obstacle de taille à un traitement conséquent. Après avoir étudié ses toutes dernières réactions, j’incline vivement à la solution — que la part de loin la plus importante est bel et bien hystérique.

Je suis ravi que vous héritiez de la bonne société de Ferenczi, car j’ai grand besoin de quelques semaines d’isolement cet été. J’ai écrit à Abraham pour lui pro­poser de remettre sa circulaire au 20 de ce mois, à moins que les saints hommes de Suisse ne réagissent auparavant. Je suis ravi que vous soyez inaccessible à Jung quand il vient à Londres. Il pourrait essayer la flatterie et le compromis.

Bien à vous, avec mes meilleurs vœux

Freud

1. En réalité, cette lettre a sans doute été écrite quelques jours plus tôt. Voir la réponse de Jones, lettre 196 [7.7.14]

07-07-1914 Freud à Lou

Vienne, IX, Berggasse 19

7. 7. 1914

Chère Madame,

Je suis tellement occupé qu’il vaut mieux que je vous réponde sans retard.

Merci du fond du cœur de votre lettre. J’ai été très heureux d’apprendre que vous vous êtes déjà aperçue, il y a un an, des tentatives faites pour déplacer le problème de son centre et que vous les avez reconnues pour telles. Il ne reste plus qu’à discuter des motifs desquels elles découlent.

Je considère qu’en me permettant de prendre connaissance de votre correspondance avec Adler, vous me donnez la marque d’une grande confiance. La lettre montre sa viru­lence spécifique et caractérise parfaitement sa personnalité. Je ne crois pas qu’elle démente le portrait que j’ai tracé de lui. Disons en bon allemand (ce sera ensuite plus facile de continuer) que c’est un être répugnant.

Je n’ai jamais combattu des divergences de vues dans la sphère des recherches sur la ψα,d’autant plus que j’ai habi­tuellement moi-même plusieurs opinions sur un même objet, tout au moins jusqu’au moment où je publie l’une d’elles. Mais il faut conserver son unité au noyau, sans quoi cela changerait toute l’atmosphère.

On ne peut pas prévoir aujourd’hui comment se déroulera le congrès. Il se peut que tout se passe dans le plus grand calme, notamment si, à ce moment, les Suisses s’étaient retirés. Dans le cas contraire, je ne voudrais pas hasarder notre revoir sur cette carte.

Le mystérieux invité que vous annoncez sera très bien accueilli par tous. Et si vous vous êtes raconté Anal und Sexual, nul doute que les frères (31) voudront l’écouter, eux aussi.

Bien à vous.

Freud.

31. Une allusion — fréquente — de Freud à propos du sentiment de Lou A.-S. (tel qu’elle l’a plus tard exprimé dans Lebensrückblick) d’une certaine appartenance à ses frères, éprouvé par elle dans son enfance, et qu’elle fit plus tard « rayonner sur tous les hommes du monde ». (« Il me semblait toujours retrouver caché en chacun d’eux un de mes frères. ») Louise von Salomé naquit le 12 février 1861 après cinq frères (desquels deux moururent jeunes). Freud parle la plupart du temps de six frères.

06-07-1914 Eitingon à Freud

53 E

[En-tête III Berlin], le 6 juillet 1914

Cher Professeur,

Tous mes remerciements pour « l’Histoire du mouvement psychanaly­tique1 ». Avec émotion et admiration – ces affects que je connais si bien en bon lecteur de vos textes -, j’ai reconnu ici votre plume, qui ouvrait jus­qu’ici comme une charrue notre terre la plus noire et la plus fertile et se transforme à présent en une lame acérée2. Les coups portent bien et les personnes concernées auront beau monter sur leurs ergots, ces cicatrices ne s’effaceront pas. Qu’il était bon de voir cette mêlée excentrique, cette confusion babylonienne des langues de ceux qui ne sont plus des nôtres lar­gement déchirée par le large écho de votre parole sur ce qu’est l’analyse et sur les endroits où elle ne se trouve pas.

Il est extraordinairement stimulant d’écouter le récit de ces années, où vous avez, seul, posé les fondations de ce qui nous rassemble et nous porte, de ce à quoi nous sommes plus désireux que jamais de contribuer active­ment.3

A titre personnel je vous remercie aussi cordialement pour avoir si aima­blement mentionné cet instant où mon bon instinct m’a conduit auprès de vous à Vienne3. C’est la même pulsion qui m’amène à vous demander à présent si jeb pourrais vous rendre visite vers la fin juillet pour une journée à Karlsbad, comme je l’ai fait l’an passé à Marienbad.

Cela pourrait aussi être au début août, n’importe quelle date me convien­dra également puisque nous restons à Berlin après notre congrès4.

Avec tous mes vœux pour votre cure à Karlsbad, je reste

dans mon ancien et fidèle dévouement Votre M. Eitingon

  1. Ms : « plus » et « que jamais » ajoutés après coup.
  2. Dans le manuscrit, suivi par un « vous » ajouté après coup et faisant doublon.
  3. Freud a largement diffusé sous forme de tiré à part ce texte polémique (1914d) tiré du 6′ vol. du Jahrbuch, avec lequel il voulait provoquer la scission avec Zurich (voir Schröter 1995a, p. 527).
  4. Inversion de la phrase biblique (par ex. Isaïe 2, 4) : les épées deviendront des char­rues.
  5. Dans le texte de Freud, on lit (1914d, p. 65) : « En janvier 1907, le premier membre de la clinique de Zurich, le Dr Eitingon, arriva à Vienne. » Pour obtenir la date de cette visite, Freud a posé la question à Abraham, lequel se l’est fait transmettre par Eitingon (Abr. à Freud, 15 janvier : F/A, p. 159). Voir l’Introduction, p. 11.
  6. Pour les 20 et 21 septembre, on avait prévu un congrès de l’API à Dresde. Il fut annulé en raison de la guerre.

05-07-1914 Abraham à Freud

* Berlin W, Rankestrasse 24

5.7.14.

Cher Professeur,

Je n’ai reçu jusqu’à présent encore aucun signe de Zürich et de Munich. A moins que vous ne manifestiez d’autres désirs, dimanche prochain, je laisserai partir la lettre adressée à Maeder et à Seif.

En conclusion du semestre d’été, j’ai fait, vendredi dernier à la « Gesellschaft für Sexualwissenschaft », un exposé sur l’inceste, le mariage entre parents et l’exogamie. J’ai trouvé beaucoup plus de compréhension et d’approbation que je ne m’y attendais.

Il me faut maintenant encore une fois vous demander un conseil. Il y a quelque temps déjà, je vous ai dit que je voulais parler à Dresde du traitement des psychoses. Entre-temps, j’en suis venu à penser qu’il était souhaitable d’avoir une expé­rience plus grande, avant d’intervenir publiquement; ce thème pourrait peut-être, sous la forme d’un rapport central, être l’objet de discussion d’un des prochains congrès. Un autre sujet s’impose maintenant à moi. Je crois avoir réussi, à travers plusieurs analyses que j’ai meneés cette année, à éclairer pres­que complètement l’éjaculation précoce, c’est-à-dire jusqu’aux racines les plus profondes, dans les deux premières années de vie. J’aimerais présenter les résultats au congrès. Mais j’aime­rais savoir si vous trouvez que le sujet est approprié. En outre, je tiens à vous faire remarquer que je devrais alors analyser assez en détail l’angoisse de castration; or ce que vous m’aviez dit à Noël, pendant le voyage à Berlin, n’est toujours pas publié! Le mieux serait, bien sûr, que vous parliez vous-même de ces choses à Dresde; je pourrais ensuite, pour ainsi dire, en montrer l’application à une question particulière. Du reste, la dérivation de l’angoisse de castration n’est qu’un des résultats que j’ai acquis.

Les vacances sont maintenant proches pour vous; pour le cas où je n’aurais pas l’occasion de vous écrire d’ici là, je veux dès maintenant vous souhaiter, à vous et aux vôtres, un bon voyage et un bon repos. J’aimerais bien d’ailleurs connaître votre adresse à Karlsbad. — Ma femme s’en va demain avec les enfants sur la Baltique.

Salutations cordiales à vous tous de la part de nous tous

Votre Abraham.

La réponse aux questions ci-dessus ne presse pas!

05-07-1914 Lou à Freud

Göttingen, 5. VII. 1914

Cher Professeur,

Non, je n’ai pas cherché à dissimuler des objections — la plus terrifiante franchise serait apparue noir sur blanc, tant je crois peu, dans ce cas, à une brouille résultant de cette sin­cérité. J’ai simplement cherché à m’exprimer avec d’autant plus de brièveté que l’envoi massif d’un ouvrage important entraînant avec soi un envoi massif de réponses, j’en ai été épouvantée pour vous.

En lisant votre essai, je me disais avec une certaine irri­tation que toute véritable révolution suscite des clameurs indignées ; mais il appartient à la partie la plus spécifique de la psychanalyse freudienne d’avoir à le supporter d’une manière tout à fait nouvelle et de se voir ainsi contrainte à ces « démasquages », « accusations » et très pénibles dis­cussions. Car seules, vos découvertes sont constamment situées, et progressent, derrière des résistances (chez nous tous) et nous avons complètement oublié notre joie enfantine lors du jeu de cache-tampon, où ce qui a été intentionnellement caché est extirpé de son coin avec un cri de triomphe. Que l’on ne puisse convaincre personne ici — à moins qu’il n’y soit à l’avance vraiment prédisposé —, cet accord entre l’expérience et la connaissance est ce qu’il y a de plus attirant et de plus grand dans cette science nouvelle et c’est ce qui prête à toutes ces luttes un côté si pathétique.

Certes, personne ne peut prévoir si, en dehors des recherches psychanalytiques proprement dites, dans ces autres milieux où on les considère sous l’angle philosophique, etc., les opinions concorderont toujours ; car c’est là qu’elles se décident pour chacun très personnellement, même lorsque l’on veut s’en libérer complètement. Mais alors que les points discutables qui se situent à la périphérie de la psychanalyse ne pourront jamais cessé d’exister, mieux, ne le devraient même pas ; il me semble que les malentendus des diverses « scissions » * proviennent presque tous du fait que l’on a déplacé le problème nucléaire de sa position centrale et que l’on prend un point de départ tout à fait ailleurs ; et cela, uniquement pour des raisons personnelles. Il y a juste un an que j’ai correspondu avec Adler 27 à ce sujet ; à cette époque, j’ai eu grande envie de vous soumettre îa lettre et la réponse ; ultérieurement, je le voudrais encore, bien qu’aujourd’hui, j’aurais su, je l’espère, mieux m’expliquer.

Cet été, je me suis efforcée d’écrire un ouvrage que j’ai intitulé Anal und Sexual28, je ne sais pas encore si c’est publiable, mais en attendant, je me le suis raconté à moi-même.

Nous nous reverrons lors de ces journées de fin septembre que l’on est en droit de prévoir orageuses 29. Il se peut alors que je vous demande la permission de vous présenter un invité 30, qui pourra sans doute être utile un jour.

Votre Lou Andréas.

* « Spaltungen ».

27. Le 12 août 1913, Lou A.-S. avait écrit de Göttingen à Alfred Adler « afin de formuler certaines choses que je conçois aujourd’hui autrement que l’été dernier, où je vous écrivis pour la première fois ». Adler lui répondit le 16 août. Les deux lettres sont publiées dans le Journal, pp. 388-392.

28. Cet ouvrage parut sous ce titre dans le 5e fascicule de la quatrième année d’Imago.

29. Il avait été prévu un Congrès à Dresde pour les 20/21 septembre ; il n’eut pas lieu, sans doute à cause de la guerre. Lou A.-S. s’attendait à un « déroulement orageux » des discussions.

30. Étant donné les circonstances, il peut s’être agi d’Eduard Spranger, lequel (à cette époque, il enseignait à Leipzig) s’était adressé à elle vers la fin mai à propos d’une revue qu’il voulait fonder pour servir la jeunesse. « Vos nouvelles Im Zwischenland (1902) m’ont touché au plus profond de mon travail et de mon sentiment. » Elle ne put pas approuver ce projet de Spranger, mais il résulta de ces premières lettres une correspondance et un échange d’idées animés ainsi que des rencontres de personne à personne, sans doute jusqu’en octobre 1914.

01-07-1914 Jones à Freud

1er juillet 1914

69 Portland Court, Londres

Cher professeur Freud,

Deux présents me sont arrivés, dont je vous remercie : le reprint « historique», où les modifications m’ont intéressé, et la citation de Goethe amusé (1) ; et les épreuves du Narzissmus. Je n’en dirai rien pour l’instant, car c’est l’un de vos articles « avancés» (comme le chapitre VII de la Tramdeutung) qui exige plus qu’une lecture. Nous aurons cette fois-ci un bon Jahrbuch, qui tranchera sur le dernier.

Ferenczi propose de passer un mois à Londres cet été, et j’espère qu’il donnera suite à ce projet.

Vendredi, je me rends à Durham pour un colloque sur «le rôle du refoulement dans l’oubli», organisé conjointement par la British Psychological Society, l’Aristotelian Society et la Mind Association. J’ai déjà reçu quatre des communications qui y seront présentées, et je vous les ferai parvenir plus tard. Trois d’entre elles sont excel­lentes, l’une étant d’un niveau remarquablement élevé, bien que critique. Vous serez surpris, je crois, de leur qualité (2).

Notre tout dernier visiteur ici a été Frink, le président de la New York ψα Society (3). Il a l’intention de venir fin mai se faire analyser par vous, Abraham ou moi ! Il paraît honnête homme, mais très limité. Il n’a donné aucune nouvelle particulière de l’Amérique, et a paru très satisfait du groupe de NY.

J’ai eu dernièrement des nouvelles d’Abraham, et j’ai hâte de savoir le résultat de sa bombe que, cependant, votre reprint peut rendre inutile; je lui ai suggéré d’at­tendre trois ou quatre semaines, si possible, car Jung peut encore jouer dans nos mains (4).

Trois autres personnes d’ici sont allées chez Jung, dont deux pour trois semaines seulement ! L’épouse d’Eder, le Dr Nicholl (5) — un jeune assez prometteur, mais influencé par le Dr Constance Long — et une collègue de Miss Long. Ce mois-ci, Jung descend une semaine chez Miss Long, et elle désirait que notre société l’invite à prendre la parole devant nous – ce à quoi j’ai bien entendu opposé mon veto. [Il (6)] Bryan m’est d’un grand secours, car je ne puis compter sur Eder. Bryan est notre vice-président, et il deviendra président au cas où je serais porté à la présidence de la Vereinigung, affaire qui — j’imagine — n’a pas encore été tranchée (7).

Je n’ai pas l’intention de me rendre au Congrès de Berne, car j’ai beaucoup de tra­vail ici. Les patients continuent à venir, et j’aurai sept heures d’analyse par semaine tout au long de l’été.

S’il fait aussi chaud à Vienne qu’ici à l’heure actuelle, vous serez particulièrement ravi de fuir, même si vous serez sans doute ravi de toute façon. Votre fille vient en Angleterre ce mois-ci, n’est-ce pas ? J’espère avoir l’occasion de la voir quelque temps.

Je n’ai pas grand-chose de neuf à ajouter, vous le voyez, à ma dernière lettre – les choses étant dans l’ensemble assez calmes à l’heure qu’il est. Je vous adresse mes meilleurs vœux pour de fécondes et bénéfiques vacances, dont je suis certain que vous profiterez. N’oubliez pas, je vous prie, de m’envoyer votre adresse à Carlsbad.

Bien fidèlement à vous

Jones.

1. L’épigraphe de la 3e partie (Freud, 1914 d, p. 42) est empruntée à quelques vers du dernier Goethe : « Mach es kurz ! A.m Jüngsten Tag ist’s nur ein Furz» « Sois bref, car le jour du jugement, autant en emportera le vent. »

2. Pour les contributions de T. H. Pear, A. Wolf, T. W. Mitchell et T. Loveday, réunies sous le titre The Rôle of Repression in Forgetting, voir British Journal of Psychology, 7 (1914-1915), p. 139-165.

3. Horace W. Frink (1883-1935) a été analysé par Freud après la guerre; pendant une courte période, Freud et Jones devaient voir en lui l’un des psychanalystes américains les plus prometteurs. Au début des années 1920, il quitta sa femme pour une autre, puis succomba à la maladie mentale avant de connaître une fin tragique.

4. Parallèlement à Freud (1914 d), la lettre circulaire d Abraham, qu’il avait préparée en sa qualité de président par intérim de l’International Psychoanalytic Association, visait à amener la société de Zurich à se retirer de l’Internationale (ce qu’elle fit le 10 juillet) ; voir les lettres échangées en juil­let 1914 entre Freud et Abraham (H. Abraham et E. Freud, 1965, p. 181-186).

5. Maurice Nicoll, membre fondateur de la London Psycho-Analytic Society (30 octobre 1913).

6. Rayé dans l’original.

7. Sans l’ouverture des hostilités, Jones serait probablement devenu président de l’International Psychoanalytic Association en septembre 1914.