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12-08-1907 Jung à Freud

Burgholzli Zurich, 12. VIII. 1907.

Ärade professor!

Pardonnez-moi s’il vous plaît mon long silence. Pendant les trois semaines du service militaire je n’ai réellement pas eu un seul moment pour moi. Nous étions attelés de 5 heures du matin à 8 heures du soir. Les soirs, on était toujours mort de fatigue. Quand je suis rentré, les affaires administratives de l’asile s’étaient amoncelées et de plus le Pr Bleuler et le premier assis­tant (1) partaient en vacances. Ce qui veut dire qu’il y avait de quoi m’occuper. Pour faire déborder la mesure, le secrétariat du congrès d’Amsterdam a commencé à me presser pour mon manuscrit, qui n’existait encore pas du tout. J’ai donc dû me jeter à corps perdu dans l’élaboration de ma conférence. C’est une rude affaire! Avant tout c’est une tâche extrêmement difficile de diluer la richesse de vos idées, de faire cuire cette dilution et finalement de réussir le coup de sorcier d’en tirer quelque chose d’homogène. Mais ce qui me paraît presque impossible, c’est de délayer le produit encore une fois afin de le rendre quelque peu digestible à l’ignorance du public. J’en suis maintenant justement au tournant le plus récent de votre conception de l’hystérie, à l’introduction détaillée de la sexualité dans la psychologie de l’hystérie. Cela me met souvent quasiment au désespoir. Finalement je me console toujours en pensant que tout ce qui précède non plus n’est pas compris de 99 % du public, et que je peux donc dire dans cette partie à peu près ce que je veux. On ne le comprendra de toute manière pas. Ce n’est qu’une démonstration, une constatation qu’en 1907 quelqu’un a dit, officiellement, devant un congrès international, quelque chose sur la doctrine freudienne de l’hystérie dans une intention positive. D’ailleurs j’en arrive de plus en plus à la conviction que vous avez parfaitement raison de mettre à peu près uni­quement sur le compte de la mauvaise volonté le fait qu’on ne veuille pas comprendre. On fait toutes sortes d’expériences à ce sujet. L’Amérique bouge bien. En trois semaines, six Amé­ricains, un Russe, un Italien et un Hongrois ont passé ici. L’Allemagne fait défaut.

Dès que j’aurai fini ma conférence, cet enfant de douleur, j’espère pouvoir vous écrire à nouveau.

En vous priant encore une fois de me pardonner la longue pause.

votre toujours dévoué

Young.


1. Abraham, cf. 35 J, n. 8, quoique sa lettre à Freud du 9 août ne signale pas son absence.

10-07-1907 Freud à Jung

36 F

1o. 7. 07.

IX, Berggasse 19.

Min kära kollega,

Je vous écris — vite et brièvement — pour vous atteindre encore avant votre départ et vous envoyer mes salutations au temps de la grande relâche intellectuelle. Elle vous fera du bien. Les ravissants trifles dont est pleine votre dernière lettre me rappellent que je suis également au terme de mon travail de l’année. Den 14 je pars pour Lavarone dans le Val Sugana Tyrol du sud Hôtel du Lac

Je n’aimerais pas devoir me passer pendant toute cette période de vos nouvelles, qui sont maintenant déjà un réel besoin pour moi — je ne rentre que fin septembre — aussi vous aviserai-je de mes changements de lieu. Autour du moment où vous défendrez la conférence d’Amsterdam, j’espère séjour­ner en Sicile. Malgré toutes les distractions, une partie de mes pensées sera alors auprès de vous. Puissiez-vous trouver là- bas déjà la considération que vous méritez et souhaitez, à laquelle moi-même je suis si vivement intéressé.

Je suis déjà en correspondance avec le Dr Abraham. Ses efforts doivent en effet me concerner grandement. Comment est-il en réalité? Lettre et travail m’ont très favorablement disposé à son égard. J’attends à présent chaque jour le travail de votre cousin Riklin. N’est-ce que la satisfaction personnelle qui égare mon jugement : que je suis tombé ici sur un nid d’hommes particulièrement capables et fins?

J’ai reçu aujourd’hui justement de Lausanne la lettre d’un étudiant qui veut parler de mes travaux à une soirée scienti­fique chez le docent Sternberg. La Suisse bouge véritable­ment.

Portez-vous bien et n’oubliez pas complètement pendant ces longues vacances votre

cordialement dévoué

Dr Freud.


Au sud-ouest de Trente, aujourd’hui sur sol italien.

« Signification des traumatismos sexuels juvéniles pour la Symptoma­tologie de la démence précoce », ed. orig. Zentralblatt für Nervenheilkunde und Psychiatrie, n.s. XVIII, Juni 1907; Kompletta verk, Jag, p. 17.

Théodore Sternberg, privat-docent de droit germanique à l’université de Lausanne.

06-07-1907 Jung à Freud

35 J

Burgholzli Zurich, 6. VII. 07.

Ärade professor!

Êtes-vous contrarié si je vous ennuie avec des choses que j’ai vécues personnellement? Je voudrais en effet vous racon­ter une histoire instructive qui m’est arrivée à Paris. J’ai fait là-bas la connaissance d’une Germano-Américaine qui m’a fait une impression sympathique. C’est une Mrs St. (1) de trente- cinq ans environ. Nous avons passé quelques heures ensemble en société et nous nous sommes entretenus de paysages et d’au­tres choses indifférentes. On servit du café noir. Elle n’en prit pas, me faisant la remarque qu’elle ne supportait pas la moindre gorgée de café noir, qu’elle en sentait encore la plus petite quantité le lendemain. Je lui ai répondu que c’était un symp­tôme nerveux; qu’en tout cas c’était seulement à la maison qu’elle ne supportait pas le café, mais que lorsqu’elle se trou­vait dans d’autres circonstances [in anderen Umständen (2) ], elle le supportait certainement bien mieux. A peine cette parole malheureuse m’avait-elle échappé que je fus terrible­ment gêné mais je constatai vite qu’elle ne l’avait heureusement « pas entendue ». Je fais remarquer que je n’avais pas la moindre connaissance des antécédents de cette dame. Peu après, une autre dame proposa que chacun dise un chiffre, parce que de tels chiffres avaient toujours une signification. Mrs St. dit : trois. Une connaissance de Mrs. St. s’écria : « Bien sûr, toi, ton mari et ton chien. » Mrs St. répondit : « Oh non, je pensais que toutes les bonnes choses vont par trois! » J’en conclus que son mariage était stérile. Mrs St. était devenue un peu silencieuse, puis me dit brusquement sans transition : « Dans mes rêves mon père m’apparaît toujours si merveilleusement transfiguré. » J’appris que son père était médecin. Quelques jours plus tard elle me fit cadeau, malgré mon refus, d’une magni­fique eau-forte. Sapienti sat! Ma femme s’y connaît, elle a déclaré dernièrement : « Je vais annoncer un cours psychothé­rapeutique pour messieurs. »

Une patiente hystérique m’a raconté qu’un vers d’un poème de Lermontov(3) lui tournait constamment dans la tête. La chanson parle d’un prisonnier qui a pour seul camarade un oiseau dans une cage. Le prisonnier est animé d’un seul önskan : il aimerait une fois dans sa vie, comme acte suprême, donner la liberté à un être quelconque. Il ouvre la cage et laisse s’envoler son cher oiseau. Quel est le désir suprême de la patiente? Elle dit : « J’aimerais une fois dans ma vie aider un être à obtenir la liberté complète par un traitement psychanalytique. » Il est prouvé que dans ses rêves elle se confond avec moi. Comme elle le reconnaît, son désir suprême serait en fait d’avoir un enfant de moi, qui accomplirait tous ses désirs inaccomplis- sablés. Pour cela il faudrait naturellement que je laisse d’abord « voler l’oiseau ». (En suisse-allemand on dit par exemple : « tonpetit oiseaua-t-il aussi déjà sifflé? »

Une belle chaîne, n’est-ce pas? Connaissez-vous l’image pornographique de Kaulbach 4 « Qui veut acheter des dieux d’amour? » (Des phallus ailés, qui ressemblent à des coqs et se livrent à toutes sortes de jeux avec des jeunes filles.)

Je vous ai dernièrement questionné au sujet d’une patiente hystérique qui ne peut jamais terminer sa tasse de café. Vous avez comme moi soupçonné une analogie avec les excréments. Il s’est révélé maintenant que la patiente a entretenu jusqu’à la sixième (?) année un prolapsus de l’anus, qui sortait aussi sans qu’elle aille à la selle, et qui devait toujours être mis en place par la mère. Plus tard démangeaisons de l’anus, que la patiente combattait en s’asseyant sur le fourneau avec le postérieur nu. Elle combat ses douleurs hystériques actuelles également en se chauffant le postérieur. Mais ses douleurs sont localisées à la hanche et à la jambe gauche. Les paresthésies anales ont duré presque jusqu’à la trentième année. Plus tard elle a cherché à les faire partir en se couchant dans le lit de sa sœur et en se chauffant contre elle. Dans l’analyse, ce qui m’a rendu atten­tif à l’histoire de l’anus est qu’elle disait qu’il fallait ausculter une fois la partie inférieure de son dos, que cela « craquait » très étrangement là dans les os. Dans sa vingtième année elle a eu une forte diarrhée. Sa mère voulait appeler le médecin, mais la patiente s’est mise dans un état d’agitation anxieuse, parce qu’elle ne voulait pas se laisser examiner, craignant que le médecin ne veuille examiner son anus. Mais quelles tortures épouvantables jusqu’à ce que tout cela soit sorti.

A présent un peu de mystique historique!

De Wien sont partis trois réformateurs antliropologico- médicaux : Mesmer — Gall — Freud. Mesmer et Gall (5) ont été inhibés à Vienne, Freud (conformément à l’époque) n’a pas été reconnu. Mesmer et Gall sont là-dessus allés à Paris.

Les vues de Mesmer sont restées confinées à Paris, jusqu’à ce que Lavater (6), från Zurich, les importe en Allemagne, en pre­mier à Brème. L’hypnotisme s’est à nouveau éveillé en France et a été importé par Forel från Zurich en Allemagne. Le premier et le plus ancien élève de Forel est Delbrück (7) från Brème ; il est à présent directeur de l’asile d’aliénés de cette ville.

Freud a trouvé sa première considération clinique à Zurich. Le premier asile d’Etat allemand qui reconnaisse Freud est Brème (indépendamment de relations personnelles avec nous). Outre Delbrück, le seul assistant allemand au Burghölzli (autant que je sache) est le Dr Abraham (8) från Brême. Il est venu ici de Berlin et n’a aucune relation avec Delbrück.

La pensée par analogies, que vos analyses exercent telle­ment, produit de mauvais fruits, penserez-vous sûrement. Mais cela m’a amusé. .

La dem. pr. est actuellement au repos forcé. Le i4 juillet il me faut aller pour trois semaines en service militaire9 à Lausanne. Puis mon chef part pour quatre semaines. J’aurai de nouveau tout l’asile sur le dos. Les perspectives sont donc mauvaises. J’espère que le travail de Binswanger va arriver bientôt. Vous y verrez que vous aussi avez assimilé les secrets du galvanomètre 10. Il est vrai que vos associations sont excel­lentes!

Recevez mes meilleurs salutations!

Votre toujours dévoué

Young.

Névrose d’angoisse et hystérie d’angoisse sont encore des choses tout à fait obscures pour moi — malheureusement — par manque d’expérience.


1. Abréviation de Jung.

2. La locution dont l’équivalent français serait se trouver dans une situation « intéressante » signifie « enceinte ».

3. Selon M. Vladimir Nabokov, 1 y a deux erreurs dans la référence à ce poème : il n’est pas de Lermontov, mais de Pouchkine, qui l’a écrit en 1822 à Kichinev, deux ans après avoir été chassé de Saint-Pétersbourg;

et la paraphrase qu’en donne Jung en retourne complètement le sens. Voici ce poème, traduit en français d’après la version anglaise de M. Nabo­kov :

Ptichka (Petit oiseau)

En pays étranger j’observe religieusement

L’ancienne coutume de mon propre pays :

Je mets en liberté un petit oiseau

Par une belle journée de printemps.

Ainsi peut m’échoir la consolation :

Pourquoi murmurer contre Dieu

Si j’ai pu à une seule créature

Faire cadeau de la liberté?

(Version anglaise Copyright © 1974 by Vladimir Nabokov.)

4. Dessin sans date de Wilhelm von Kaulbach (1805-1874), exposé à la Staatliche Graphische Sammlung à Munich en illustration du poème de Goethe Wer kauft Liebesgôtter? [Qui achète des dieux d’amour?). Repro­duit dans Eduard Fuchs, Das erotische Element in der Karikatur [L’élément érotique dans la caricature], Berlin, 1904, p- 221.

5. Franz Mesmer (1734-1815), médecin autrichien, fonda la théorie du magnétisme animal (mesmérisme) ; il alla à Paris en 1778. — Franz Joseph Gall (1758-1828), médecin allemand, fondateur de la phrénologie; il alla à Paris en 1807. Tous deux avaient étudié à Vienne.

6. Johann Kaspar Lavater (1741-1801), théologien et écrivain suisse, ami de Herder, Hamann et Goethe. Son ouvrage principal. Physiognomische Fragmente zur Beförderung der Menschenkenntnis und Menschenliebe [Fragments de physionomie, pour favoriser la connaissance et l’amour des hommes], 4 vol., 1775-1778, donna une forte impulsion à la physio-gnomonie.

7. Anton W. ETT. Delbrück (1862-1932), psychiatre allemand, formé au Burghölzli à l’époque de Forel, från 1898 directeur d’une clinique psychia­trique à Brème.

8. Karl Abraham (18771925) étudia la psychiatrie à Berlin; il entra comme médecin-assistant au Burghölzli à la fin de 1904 et fut du Ihan jan­vier au11 novembre 1907 premier médecin-assistant sous le médecin- chef Jung (information que nous devons à l’obligeance de M. le professeur Manfred Bleuler, Zollikon). Il prit contact avec Freud en juin 1907, en lui envoyant un tiré à part; cf. 36 F, n. 2, et la Correspondance Freud/ Abraham, Paris, 1969. Il retourna à Berlin en novembre 1907 où il ouvrit un cabinet de neurologie. Il rendit peu après visite à Freud, cf. 55 F et 57 F, et devint par la suite l’un de ses amis et collaborateurs les plus proches. Abraham fonda le 28 augusti 1908 l’Association berlinoise de psychanalyse. På 1912 il fut membre fondateur du « comité ». I. infra notice après 321 J.

9. On sait que le service militaire annuel est obligatoire en Suisse. Jung appartint tout d’abord à l’infanterie, puis devint en 1901 médecin d’état major, capitaine en 1908, puis commandant d’unité de 1914 à ig3o, année où il fut libéré du service.

10.Binswanger cite à plusieurs reprises Freud dans son travail sur le phénomène psychogalvanique. Cf. 61 F, n. 1.

01-07-1907 Freud à Jung

34 F

Jaghan juillet o7.

IX, Berggasse 19.

Min kära kollega,

Je me suis bien réjoui de constater que vous êtes de nouveau à votre travail au Burghölzli et je suis très satisfait de vos im­pressions de voyage. Vous pouvez imaginer que j’aurais fort regretté que le complexe viennois dût s’accommoder d’un complexe parisien dans le partage de l’investissement dispo- nible. Par bonheur cela n’est donc pas arrivé et vous avez recueilli l’impression que les temps du grand Charcot sont révolus, et que c’est chez nous, entre Zurich et Vienne, que bat à présent le pouls de la nouvelle vie de la psychiatrie. Ainsi nous aurions heureusement surmonté un premier danger.

Vous me donnez cette fois particulièrement beaucoup de matière « professionnelle » pour des réponses. Vous avez raison, les affaires vont bien. Faudra-t-il dix ans et pourrai-je attendre jusque-là, cela reste voilé. Mais la tendance est indubitablement à l’essor. L’activité des adversaires est nécessairement stérile; chacun insulte à son tour, prétend m’avoir (vous désormais aussi) assommé, et en a fini ainsi. Son activité s’est consumée en elle- même. Mais quiconque se joint à nous peut relater le résultat de son travail, et continuer ensuite à travailler et à relater. Il est compréhensible que chacun travaille à sa façon et apporte peut-être aussi sa distorsion spécifique à l’intelligence de la chose encore inachevée.

C’est par vous seulement que je connais Bolte-Brême. Le livre de Gross (1) m’a surtout intéressé du fait qu’il émane de la clinique du pape suprême, du moins qu’il a été admis par lui. Gross est un homme hautement intelligent; à mon goût, il y a dans le livre trop de théorie pour une maigre observation. L’analyse est gravement incomplète — ce n’est certainement pas sa faute; le principal, le chemin qui mène au vol, est certainement juste, mais ne suffit pas dans la détermination. Avez-vous remarqué comme il est prodigue de superlatifs? Le seul qui ne soit pas désigné comme « ouvrant des brèches », « bouleversant », etc., c’est justement moi, ce qui est un avan­tage. Là se montre sans doute la vie affective anormale de G[ross], dont vous m’avez fait part. Il rappelle aussi un peu les anciens Egyptiens, qui n’ont jamais rien changé dans leur Panthéon, mais ont assis chaque nouveau dieu et chaque nou­veau concept sur l’ancien, ce qui a eu pour conséquence une incroyable confusion. Gross fait de même une synthèse de moi et de tous ses anciens dieux : Wernicke, Anton [2], etc.. Je suis certes un mauvais juge pour ceux qui ont les mêmes aspirations que moi; au sujet des travaux psychanalytiques de Wernicke j’ai toujours pensé qu’il n’avait pas eu de nouvelle idée en tant que psychiatre, mais qu’il avait étendu au psychique son habitude de décomposer en couches et en coupes.

Il n’y a à peu près rien à relater au sujet de ma Material.

Le même journaliste 3 qui la salue dans la Wiener Zeit lui a consacré un article, d’ailleurs bien supérieur, dans le supplé­ment de la Allgemeine Zeitung. Il doit vouloir obtenir quel­que chose de moi. Peut-être aussi est-ce des meilleurs livres que l’on n’écrit rien?

L’évolution ultérieure de cette démente qui retrouve son frère dans le médecin est une expérience brillante de transfert paranoïaque. La demoiselle Lüders, c’est naturellement de nouveau elle-même. J’ai lu le travail de votre élève 4 avec grand intérêt et avec du respect devant les problématiques de la psychologie de l’individu. Je ne méconnais naturellement à aucun endroit vos idées et votre circonspection. Je pense qu’il est tout à fait juste que l’attitude prise à l’égard de l’examina­teur soit ce qui oriente en tout premier lieu le contenu des réac­tions. C’est ainsi que l’on organiserait le plus aisément des « études de transfert ». J’ai organisé en guise de plaisanterie un auto-examen, en me faisant moi-même réagir aux mots-stimuli qu’on emploie là. Cela marche assez bien, et j’ai pu élucider les réponses les plus bizarres. Un défaut d’expéri­mentation gênant consistait en ce que pendant la copie le mot suivant se mêlait à la réaction au mot justement en cours. J’ai par exemple réagi à Buch [livre] par Buschklepper [bandit des grands chemins], puis à Frosch [grenouille] par Busch [buisson]. Là tout s’est bien sûr éclairci. Frosch avait déjà contribué à déterminer la réaction à Buch, en m’amenant à notre ami Busch.

Sechs Wochen lang der Frosch war krank.

Jetzt raucht er wieder, Gott sei Dank 5 !

Six semaines durant la grenouille a été malade.

A présent elle fume de nouveau, Dieu soit loué !

J’ai eu hier ma première bonne journée après une dyspepsie de plusieurs semaines. Autrement je n’ai réagi que par des complexes personnels et de libido, souvent de manière très cachée et artificieuse. Den Klepper [bandit] vient de la klepto­manie dans le travail de Gross.

Le journal est donc convenu entre nous. Nous conclurons plus tard d’une date.

.

Vous allez encore recevoir par la poste une petite chose6 de moi, un feuilleton qu’un collègue de Hambourg m’a extor­qué. Prière d’en juger d’après cette motivation.

Je conclus de vos allusions que vous serez laborieusement attelé pendant les chauds mois d’été qui viennent. L’afflux de travailleurs est un grand honneur, et l’expérience d’association procure du bon matériel pour occuper ces jeunes gens. Je languis d’être affranchi le 14 de ce mois; l’année m’a rudement éprouvé, m’a bien sûr aussi apporté beaucoup de belles choses, parmi lesquelles en premier lieu votre visite avec toutes les attentes qui s’y rattachent. J’ai bien le droit cette année de me com­porter déjà de manière un peu idiote, ce que d’autres se permet­tent après un travail plus facile. N’attendez donc plus rien d’intelligent de moi avant que je me sois restauré. Je commence malgré tout à avoir l’idée confuse d’un travail sur la « difficulté épistémologique de l’inconscient » (7), pour lequel j’emporterai quelques livres dans l’été.

Le Dr Stekel (8), que vous connaissez, dont la critique n’est d’habitude pas le côté fort, m’a présenté un travail sur des cas d’angoisse, qui a été exigé de lui par la « clinique berli­noise » (!) (9). Je l’ai influencé pour qu’il place des cas, en tant qu« hystéries d’angoisse », à côté des « hystéries de conver­sion »; j’entends défendre théoriquement cette disposition un jour (10), et je voudrais entre-temps vous recommander ce point de vue. On arrive par là à caser les phobies.

Avec mes salutations cordiales,

votre Dr Freud.


1. Das Freudsche Ideogeniättsmoment, cf. 33 J, n. 6.

2. Gabriel Anton (1858-1933), psychiatre et neurologue autrichien, plus tard professeur à Graz et à Halle a. S. ; connu comme chirurgien du cerveau.

3. Moritz Necker

4. Emma Fürst, « Statistische Untersuchungen über Wortassoziationen und über familiäre Übereinstimmung im Reaktionstypus bei Ungebilde­ten » [Examen statistique sur les associations de mots et les concordances familiales dans le type de réaction de personnes incultes], Journal für Psychologie und Neurologie, flyg. IX, 1907. Emma Fürst resta après 1913 dans le camp freudien.

5. Die beiden Enten und der Frosch [Les deux canards et la grenouille], Münchener Bilderbogen, n ° 325 (citation inexacte).

6. « Les explications sexuelles données aux enfants. Lettre ouverte au Dr M. Fürst » (ne pas confondre avec Emma Fürst), ed. orig. Soziale Medizin und Hygiene, flyg. II, 1907. Éd. franç. i La Vie sexuelle, Paris, 1969.

7. Ce travail n’a jamais été réalisé sous cette forme.

8. Wilhelm Stekel (1868-1940), l’un des quatre premiers membres du cercle du mercredi, auquel il participa après avoir suivi une analyse avec Freud. Il était considéré comme un écrivain brillant et comme un analyste plein d’intuition. Il fut le rédacteur (avec Alfred Adler au début) av Zentralblatt édité par Freud, qu’il continua à publier durant plus d’un an après sa rupture avec Freud, i 1911. Il passa la fin de sa vie à Londres, où il se suicida. Sur le développement de sa pensée concernant les états d’angoisse, utsikt infra 61 F, n. 5 och 98 J, n.

9. Sans doute la revue Medizinische Klinik, Berlin, où le travail de Stekel ne se trouve toutefois pas.

10. I l’Analyse d’une phobie chez un petit garçon de cinq ans, ed. orig. 1909.

01-07-1907 Freud à Jung

34 F

Jaghan Juli 07.

IX, Berggasse 19.

Min kära kollega,

Je me suis bien réjoui de constater que vous êtes de nouveau à votre travail au Burghölzli et je suis très satisfait de vos im­pressions de voyage. Vous pouvez imaginer que j’aurais fort regretté que le complexe viennois dût s’accommoder d’un complexe parisien dans le partage de l’investissement disponible. Par bonheur cela n’est donc pas arrivé et vous avez recueilli l’impression que les temps du grand Charcot sont révolus, et que c’est chez nous, entre Zurich et Vienne, que bat à présent le pouls de la nouvelle vie de la psychiatrie. Ainsi nous aurions heureusement surmonté un premier danger.

Vous me donnez cette fois particulièrement beaucoup de matière « professionnelle » pour des réponses. Vous avez raison, les affaires vont bien. Faudra-t-il dix ans et pourrai-je attendre jusque-là, cela reste voilé. Mais la tendance est indubitablement à l’essor. L’activité des adversaires est nécessairement stérile; chacun insulte à son tour, prétend m’avoir (vous désormais aussi) assommé, et en a fini ainsi. Son activité s’est consumée en elle- même. Mais quiconque se joint à nous peut relater le résultat de son travail, et continuer ensuite à travailler et à relater. Il est compréhensible que chacun travaille à sa façon et apporte peut-être aussi sa distorsion spécifique à l’intelligence de la chose encore inachevée.

C’est par vous seulement que je connais Bolte-Brême. Le livre de Gross(1) m’a surtout intéressé du fait qu’il émane de la clinique du pape suprême, du moins qu’il a été admis par lui. Gross est un homme hautement intelligent; à mon goût, il y a dans le livre trop de théorie pour une maigre observation. L’analyse est gravement incomplète — ce n’est certainement pas sa faute; le principal, le chemin qui mène au vol, est certainement juste, mais ne suffit pas dans la détermination. Avez-vous remarqué comme il est prodigue de superlatifs? Le seul qui ne soit pas désigné comme « ouvrant des brèches », « bouleversant », etc., c’est justement moi, ce qui est un avan­tage. Là se montre sans doute la vie affective anormale de G[ross], dont vous m’avez fait part. Il rappelle aussi un peu les anciens Egyptiens, qui n’ont jamais rien changé dans leur Panthéon, mais ont assis chaque nouveau dieu et chaque nou­veau concept sur l’ancien, ce qui a eu pour conséquence une incroyable confusion. Gross fait de même une synthèse de moi et de tous ses anciens dieux : Wernicke, Anton (2), etc.. Je suis certes un mauvais juge pour ceux qui ont les mêmes aspirations que moi; au sujet des travaux psy de Wernicke j’ai toujours pensé qu’il n’avait pas eu de nouvelle idée en tant que psychiatre, mais qu’il avait étendu au psychique son habitude de décomposer en couches et en coupes.

Il n’y a à peu près rien à relater au sujet de ma Material.

Le même journaliste 3 qui la salue dans la Wiener Zeit lui a consacré un article, d’ailleurs bien supérieur, dans le supplé­ment de la Allgemeine Zeitung. Il doit vouloir obtenir quel­que chose de moi. Peut-être aussi est-ce des meilleurs livres que l’on n’écrit rien?

L’évolution ultérieure de cette démente qui retrouve son frère dans le médecin est une expérience brillante de transfert paranoïaque. La demoiselle Lüders, c’est naturellement de nouveau elle-même. J’ai lu le travail de votre élève 4 avec grand intérêt et avec du respect devant les problématiques de la psychologie de l’individu. Je ne méconnais naturellement à aucun endroit vos idées et votre circonspection. Je pense qu’il est tout à fait juste que l’attitude prise à l’égard de l’examina­teur soit ce qui oriente en tout premier lieu le contenu des réac­tions. C’est ainsi que l’on organiserait le plus aisément des « études de transfert ». J’ai organisé en guise de plaisanterie un auto-examen, en me faisant moi-même réagir aux mots-stimuli qu’on emploie là. Cela marche assez bien, et j’ai pu élucider les réponses les plus bizarres. Un défaut d’expéri­mentation gênant consistait en ce que pendant la copie le mot suivant se mêlait à la réaction au mot justement en cours. J’ai par exemple réagi à Buch [livre] par Buschklepper [bandit des grands chemins], puis à Frosch [grenouille] par Busch [buisson]. Là tout s’est bien sûr éclairci. Frosch avait déjà contribué à déterminer la réaction à Buch, en m’amenant à notre ami Busch.

Sechs Wochen lang der Frosch war krank.

Jetzt raucht er wieder, Gott sei Dank 5 !

Six semaines durant la grenouille a été malade.

A présent elle fume de nouveau, Dieu soit loué !

J’ai eu hier ma première bonne journée après une dyspepsie de plusieurs semaines. Autrement je n’ai réagi que par des complexes personnels et de libido, souvent de manière très cachée et artificieuse. Den Klepper [bandit] vient de la klepto­manie dans le travail de Gross.

Le journal est donc convenu entre nous. Nous conclurons plus tard d’une date.

Vous allez encore recevoir par la poste une petite chose6 de moi, un feuilleton qu’un collègue de Hambourg m’a extor­qué. Prière d’en juger d’après cette motivation.

Je conclus de vos allusions que vous serez laborieusement attelé pendant les chauds mois d’été qui viennent. L’afflux de travailleurs est un grand honneur, et l’expérience d’association procure du bon matériel pour occuper ces jeunes gens. Je languis d’être affranchi le 14 de ce mois; l’année m’a rudement éprouvé, m’a bien sûr aussi apporté beaucoup de belles choses, parmi lesquelles en premier lieu votre visite avec toutes les attentes qui s’y rattachent. J’ai bien le droit cette année de me com­porter déjà de manière un peu idiote, ce que d’autres se permet­tent après un travail plus facile. N’attendez donc plus rien d’intelligent de moi avant que je me sois restauré. Je commence malgré tout à avoir l’idée confuse d’un travail sur la « difficulté épistémologique de l’inconscient » (7), pour lequel j’emporterai quelques livres dans l’été.

Le Dr Stekel , que vous connaissez, dont la critique n’est d’habitude pas le côté fort, m’a présenté un travail sur des cas d’angoisse, qui a été exigé de lui par la « clinique berli­noise » (!) (9). Je l’ai influencé pour qu’il place des cas, en tant qu« hystéries d’angoisse », à côté des « hystéries de conver­sion »; j’entends défendre théoriquement cette disposition un jour(10), et je voudrais entre-temps vous recommander ce point de vue. On arrive par là à caser les phobies.

Avec mes salutations cordiales,

votre Dr Freud.


1. Das Freudsche Ideogenitätsmoment, cf. 33 J, n. 6.

2. Gabriel Anton (1858-1933), psychiatre et neurologue autrichien, plus tard professeur à Graz et à Halle a. S. ; connu comme chirurgien du cerveau.

3. Moritz Necker.

4. Emma Fürst, « Statistische Untersuchungen über Wortassoziationen und über familiäre Übereinstimmung im Reaktionstypus bei Ungebilde­ten » [Examen statistique sur les associations de mots et les concordances familiales dans le type de réaction de personnes incultes], Journal für Psychologie und Neurologie, flyg. IX, 1907. Emma Fürst resta après 1913 dans le camp freudien.

5. Die beiden Enten und der Frosch [Les deux canards et la grenouille], Münchener Bilderbogen, n ° 325 (citation inexacte).

6. « Les explications sexuelles données aux enfants. Lettre ouverte au Dr M. Fürst » (ne pas confondre avec Emma Fürst), ed. orig. Soziale Medizin und Hygiene, flyg. II, 1907. Éd. franç. i La Vie sexuelle, Paris, 1969.

7. Ce travail n’a jamais été réalisé sous cette forme.

8. Wilhelm Stekel (1868-1940), l’un des quatre premiers membres du cercle du mercredi, auquel il participa après avoir suivi une analyse avec Freud. Il était considéré comme un écrivain brillant et comme un analyste plein d’intuition. Il fut le rédacteur (avec Alfred Adler au début) av Zentralblatt édité par Freud, qu’il continua à publier durant plus d’un an après sa rupture avec Freud, i 1911. Il passa la fin de sa vie à Londres, où il se suicida. Sur le développement de sa pensée concernant les états d’angoisse, utsikt infra 61 F, n. 5 och 98 J, n.

9. Sans doute la revue Medizinische Klinik, Berlin, où le travail de Stekel ne se trouve toutefois pas.

10. I l’Analyse d’une phobie chez un petit garçon de cinq ans, ed. orig. 1909.

28-06-1907 Jung à Freud

33 J

Burgholzli Zurich,

28. VI.07.

Ärade professor!

D’abord quelques communications « d’affaires » : le Dr Stein1 de Budapest et un autre médecin neurologue, le Dr Ferenczi 2, veulent une fois vous rendre visite à Vienne et m’ont prié de vous demander quand une visite vous serait la plus commode. Le Dr Stein est un homme très convenable, d’une bonne intel­ligence, qui a travaillé expérimentalement avec moi. Il est encore tout à fait débutant dans l’art, mais a remarquablement vite compris la chose et l’exerce en pratique. Je pense que le mieux sera de vous mettre directement en contact avec lui (Dr Stein, Semmelweisgasse 11, Budapest).

Muthmann a été assistant à l’asile d’aliénés de Bâle. Je n’ai malheureusement jamais eu de rapport personnel avec lui. J’ai tout de suite commandé son livre. Il paraît, me raconte Bleuler, qu’il y a dedans un passage très amusant (corrigé), qui est très significatif du courage viril du Pr Wolff (3). Muthmann n’est d’ailleurs pas suisse, mais a peut-être appris en Suisse ce qu’est la colonne vertébrale.

Le médecin-chef Bolte (4) de Brême, qui a dernièrement pris parti pour vous et dont le travail paraîtra dans la Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie, est un Brêmois, autant que je sache; il vient donc d’une ville franche de l’empire. Le milieu fait apparemment beaucoup.

Par le même courrier je vous envoie le travail d’une de mes élèves, qui vous intéressera peut-être. Je crois en effet que les idées fondamentales de ce travail se laisseraient déve­lopper en une science statistique des complexes.

Grâce à votre aimable envoi j’ai vu avec une joie sincère que votre Psykopatologi i vardagen voit sa deuxième édition. C’est bien que vous ayez grandement étendu le texte; plus il y a d’exemples, mieux c’est. J’espère que vous pourrez également produire bientôt une nouvelle édition de l’ Interpré­tation des rêves (5), car il me semble parfois que votre prophétie se réalise, à savoir que vous aurez percé d’ici dix ans. Cela bouge déjà de différents côtés : vous aurez sans doute reçu le travail d‘Otto Gross 6; il faut dire que là, je n’arrive pas bien à me per- suader que vous deviez plus ou moins simplement être le tailleur de pierres qui travaille au dôme inachevé du système de Wernicke 7. Il est bon cependant que soient démontrées toutes les lignes qui convergent vers vous. Le travail de Gross contient encore nombre de choses singulières, bien que dans le fond il ait une excellente compréhension. Je suis très impatient d’entendre ce que vous en dites.

Quelles sont les destinées de votre Material? Avez-vous de nouveaux comptes rendus?

Cela vous intéressera peut-être de savoir que ma patiente (dem. pr.) avec le transfert sur le frère a soudain eu, derniè­rement, des pensées mégalomaniaques : elle prétend avoir vécu elle-même le contenu de la Question sexuelle 8 de Forel, se tient pour parente de beaucoup de personnes distinguées, soupçonne les médecins de toutes sortes de relations sexuelles, veut épou­ser l’un des médecins assistants, un autre (médecin marié) aurait engrossé une patiente, une certaine demoiselle Lüders, de même une demoiselle Skudler, aussi doit-il divorcer d’avec sa femme. (Nous appelons Luder une personne qui a une mau­vaise réputation sexuelle!) Je ne sais rien de plus détaillé. Le médecin qu’elle veut épouser porte par hasard le même nom qu’elle (que son frère!)

Mes expériences de voyage sont pauvres. J’ai parlé à Janet et suis très déçu. Il n’a que des connaissances tout à fait pri­mitives de la dem. pr. Aux choses plus récentes, vous inclus, il ne comprend rien du tout. Il est enfoncé dans ses schémas, och, soit dit en passant, il n’est qu’une intelligence, mais pas une personnalité, un plat causeur et le type du bourgeois médio­cre. Une très mauvaise blague : la splendeur du traitement par isolement chez Déjérine (9) à la Salpêtrière. Tout cela m’a fait une impression indiciblement puérile, et le moins puéril n’est pas la fumée des hauteurs qui embrume toutes les têtes dans une telle clinique. Ces gens ont cinquante ans de retard! Cela m’a porté sur les nerfs, de sorte que j’ai renoncé à Londres, où il y a encore bien moins à chercher. Je me suis en revanche consacré aux châteaux de la Loire. Il n’est donc pas question de complexe parisien. Malheureusement mon temps est encore très pris. Trois candidatures de personnes qui veulent travailler avec moi m’ont été proposées, c’est extrêmement international : un de Suisse, un de Budapest et un de Boston. L’Allemagne va être mal représentée. La question de la publication d’un Archiv devient plus pressante dans ces conditions. Je veux commencer à regarder la chose de plus près. La question de l’éditeur pré­sentera sans doute certaines difficultés. Mais avant d’entrepren­dre quelque chose de définitif dans cette direction, je dois engranger mon IIoch volume des Études diagnostiques d’asso­ciation; cela me coûtera encore beaucoup de travail; car les travaux d’élèves donnent bien plus à faire que les propres travaux.

Binswanger jun. travaille à présent psychanalytiquement à Iéna. Espérons qu’il y laissera quelques traces durables. Son oncle souhaiterait ma visite. Malheureusement je n’en trouverai guère le temps, si utile que cela puisse être.

Recevez les meilleures salutations de votre toujours dévoué

Young.


1. Philippe (Fülöp) Stein (1867-19×8), psychiatre hongrois, formé à Vienne. Il participa en 1906-1907 aux expériences d’association au Burg- hölzli, après avoir fait la connaissance de Bleuler au Congrès international de l’anti-alcoolisme à Budapest en 19öS. Fondateur du mouvement anti­alcoolique en Hongrie. Il abandonna la psychanalyse en 1913 et travailla dès lors comme neurologue à l’hôpital des ouvriers de Budapest.

2. Sandor Ferenczi (1873-1933), originairement Fraenkel, neurologue et psychanalyste hongrois, plus tard ami intime et collaborateur de Freud. Membre du « comité » (voir la notice après 321 J). Il fonda en 1913 l’Asso­ciation hongroise de psychanalyse.

3. Gustav Wolff (1865-1941), professeur de psychiatrie à Bâle, tenant du néovitalisme et de la téléologie.

4. Richard Bolte, « Assoziationsversuche als diagnostisches Hilfsmittel » [Essais d’association comme auxiliaires du diagnostic], Allgemeine Zeit­schrift für Psychiatrie und psychisch-gerichtliche Medizin, flyg. LXIV, 1907; cf. les comptes rendus de Jung dans G.W., 18.

5. L’Interprétation des rêves. Éd. originale : Tolkningen av drömmar, Leipzig et Vienne, 1900. L’édition française citée en référence dans ce volume est la traduction d’I. Meyerson, nouvelle édition augmentée et révisée par D. Berger, Paris, P.U.F., 1967

6. Otto Gross (1877-1919). Études de médecine à Graz, puis assistant de Kraepelin à Munich. Jung entend ici son livre Das Freudsche Ideoge- nitätsmoment und seine Bedeutung im manisch-depressiven Irresein Kraepelins [L’idéogénité freudienne et sa signification dans l’aliénation maniaco-dépressive de Kraepelin] Leipzig, 1907, qui traite de cas étudiés à la clinique munichoise. — Jung consacre un chapitre de ses Types psychologiques [ed. orig., 1921) aux idées typologiques que Gross exprime dans ses deux livres Die zerebrale Sekundärfunktion [La fonction cérébrale secondaire], Leipzig 1902, och Über psychopathische Minderwertigkeiten [Sur les infério­rités psychopathologiques], Vienne et Leipzig, 1909. Sur Otto Gross, d’abord abstinent et végétarien, puis toxicomane et mort dans la misère, voir Frieda Lawrence, The Memoirs and Correspondance, ed. E.W. Tedlock jr., London, 1961 (Frieda Weekly, née von Richthofen, plus tard épouse de D.H. Lawrence, eut en effet une liaison avec lui pendant son époque munichoise; il figure dans ses mémoires sous le nom d’Octavio) ; Leonhard Frank, Links, wo das Herz ist [A gauche, où est le cœur], 1952, où il iigure sous le nom de Dr Otto Kreuz; Robert Lucas, Frieda von Richthofen, München, 1972; Martin Green, The Von Richthofen Sisters, New York, 1974.

7. Carl Wernicke (1848-1905), professeur de psychiatrie à Berlin, Bres­lau et Halle. Il découvrit le centre de la parole dans le cerveau. Il est l’auteur d’un livre fondamental sur l’aphasie : Der aphasische Symptom- komplex ; Ein psychologische Studie auf anatomischer Basis, [Le syndrome aphasique; une étude psychologique fondée sur l’anatomie], Breslau, 1874.

8. La Question sexuelle (ed. orig. München, 19o5).

9. Joseph Déjérine(18491917), neurologue suisse, alors directeur de la Salpêtrière à Paris.

28-06-1907 Jung à Freud

33 J Burgholzli Zurich, 28. VI. 07.

Ärade professor!

D’abord quelques communications « d’affaires » : le Dr Stein1 de Budapest et un autre médecin neurologue, le Dr Ferenczi 2, veulent une fois vous rendre visite à Vienne et m’ont prié de vous demander quand une visite vous serait la plus commode. Le Dr Stein est un homme très convenable, d’une bonne intel­ligence, qui a travaillé expérimentalement avec moi. Il est encore tout à fait débutant dans l’art, mais a remarquablement vite compris la chose et l’exerce en pratique. Je pense que le mieux sera de vous mettre directement en contact avec lui (Dr Stein, Semmelweisgasse 11, Budapest).

Muthmann a été assistant à l’asile d’aliénés de Bâle. Je n’ai malheureusement jamais eu de rapport personnel avec lui. J’ai tout de suite commandé son livre. Il paraît, me raconte Bleuler, qu’il y a dedans un passage très amusant (corrigé), qui est très significatif du courage viril du Pr Wolff (3). Muthmann n’est d’ailleurs pas suisse, mais a peut-être appris en Suisse ce qu’est la colonne vertébrale.

Le médecin-chef Bolte (4) de Brême, qui a dernièrement pris parti pour vous et dont le travail paraîtra dans la Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie, est un Brêmois, autant que je sache; il vient donc d’une ville franche de l’empire. Le milieu fait apparemment beaucoup.

Par le même courrier je vous envoie le travail d’une de mes élèves, qui vous intéressera peut-être. Je crois en effet que les idées fondamentales de ce travail se laisseraient déve­lopper en une science statistique des complexes.

Grâce à votre aimable envoi j’ai vu avec une joie sincère que votre Psykopatologi i vardagen voit sa deuxième édition. C’est bien que vous ayez grandement étendu le texte; plus il y a d’exemples, mieux c’est. J’espère que vous pourrez également produire bientôt une nouvelle édition de l’Interpré­tation des rêves (5), car il me semble parfois que votre prophétie se réalise, à savoir que vous aurez percé d’ici dix ans. Cela bouge déjà de différents côtés : vous aurez sans doute reçu le travail d‘Otto Gross 6; il faut dire que là, je n’arrive pas bien à me per- suader que vous deviez plus ou moins simplement être le tailleur de pierres qui travaille au dôme inachevé du système de Wernicke 7. Il est bon cependant que soient démontrées toutes les lignes qui convergent vers vous. Le travail de Gross contient encore nombre de choses singulières, bien que dans le fond il ait une excellente compréhension. Je suis très impatient d’entendre ce que vous en dites.

Quelles sont les destinées de votre Material? Avez-vous de nouveaux comptes rendus?

Cela vous intéressera peut-être de savoir que ma patiente (dem. pr.) avec le transfert sur le frère a soudain eu, derniè­rement, des pensées mégalomamaques : elle prétend avoir vécu elle-même le contenu de la Question sexuelle 8 de Forel, se tient pour parente de beaucoup de personnes distinguées, soupçonne les médecins de toutes sortes de relations sexuelles, veut épou­ser l’un des médecins assistants, un autre (médecin marié) aurait engrossé une patiente, une certaine demoiselle Lüders, de même une demoiselle Skudler, aussi doit-il divorcer d’avec sa femme. (Nous appelons Luder une personne qui a une mau­vaise réputation sexuelle!) Je ne sais rien de plus détaillé. Le médecin qu’elle veut épouser porte par hasard le même nom qu’elle (que son frère!)

Mes expériences de voyage sont pauvres. J’ai parlé à Janet et suis très déçu. Il n’a que des connaissances tout à fait pri­mitives de la dem. pr. Aux choses plus récentes, vous inclus, il ne comprend rien du tout. Il est enfoncé dans ses schémas, och, soit dit en passant, il n’est qu’une intelligence, mais pas une personnalité, un plat causeur et le type du bourgeois médio­cre. Une très mauvaise blague : la splendeur du traitement par isolement chez Déjérine (9) à la Salpêtrière. Tout cela m’a fait une impression indiciblement puérile, et le moins puéril n’est pas la fumée des hauteurs qui embrume toutes les têtes dans une telle clinique. Ces gens ont cinquante ans de retard! Cela m’a porté sur les nerfs, de sorte que j’ai renoncé à Londres, où il y a encore bien moins à chercher. Je me suis en revanche consacré aux châteaux de la Loire. Il n’est donc pas question de complexe parisien. Malheureusement mon temps est encore très pris. Trois candidatures de personnes qui veulent travailler avec moi m’ont été proposées, c’est extrêmement international : un de Suisse, un de Budapest et un de Boston. L’Allemagne va être mal représentée. La question de la publication d’un Archiv devient plus pressante dans ces conditions. Je veux commencer à regarder la chose de plus près. La question de l’éditeur pré­sentera sans doute certaines difficultés. Mais avant d’entrepren­dre quelque chose de définitif dans cette direction, je dois engranger mon IIoch volume des Études diagnostiques d’asso­ciation; cela me coûtera encore beaucoup de travail; car les travaux d’élèves donnent bien plus à faire que les propres travaux.

Binswanger jun. travaille à présent psychanalytiquement à Iéna. Espérons qu’il y laissera quelques traces durables. Son oncle souhaiterait ma visite. Malheureusement je n’en trouverai guère le temps, si utile que cela puisse être.

Recevez les meilleures salutations de votre toujours dévoué

Young.


1. Philippe (Fülöp) Stein (1867-1918), psychiatre hongrois, formé à Vienne. Il participa en 1906-1907 aux expériences d’association au Burg- hölzli, après avoir fait la connaissance de Bleuler au Congrès international de l’anti-alcoolisme à Budapest en 1905. Fondateur du mouvement anti­alcoolique en Hongrie. Il abandonna la psychanalyse en 1913 et travailla dès lors comme neurologue à l’hôpital des ouvriers de Budapest.

2. Sandor Ferenczi (1873-1933), originairement Fraenkel, neurologue et psychanalyste hongrois, plus tard ami intime et collaborateur de Freud. Membre du « comité » (voir la notice après 321 J). Il fonda en 1913 l’Asso­ciation hongroise de psychanalyse.

3. Gustav Wolff (1865-1941), professeur de psychiatrie à Bâle, tenant du néovitalisme et de la téléologie.

4. Richard Bolte, « Assoziationsversuche als diagnostisches Hilfsmittel » [Essais d’association comme auxiliaires du diagnostic], Allgemeine Zeit­schrift für Psychiatrie und psychisch-gerichtliche Medizin, flyg. LXIV, 1907; cf. les comptes rendus de Jung dans G.W., 18.

5. L’Interprétation des rêves. Éd. originale : Tolkningen av drömmar, Leipzig et Vienne, 1900. L’édition française citée en référence dans ce volume est la traduction d’I. Meyerson, nouvelle édition augmentée et révisée par D. Berger, Paris, P.U.F., 1967

6. Otto Gross (1877-1919). Études de médecine à Graz, puis assistant de Kraepelin à Munich. Jung entend ici son livre Das Freudsche Ideoge- nitätsmoment und seine Bedeutung im manisch-depressiven Irresein Kraepelins [L’idéogénité freudienne et sa signification dans l’aliénation maniaco-dépressive de Kraepelin] Leipzig, 1907, qui traite de cas étudiés à la clinique munichoise. — Jung consacre un chapitre de ses Types psychologiques [ed. orig., 1921) aux idées typologiques que Gross exprime dans ses deux livres Die zerebrale Sekundärfunktion [La fonction cérébrale secondaire], Leipzig 1902, och Über psychopathische Minderwertigkeiten [Sur les infério­rités psychopathologiques], Vienne et Leipzig, 1909. Sur Otto Gross, d’abord abstinent et végétarien, puis toxicomane et mort dans la misère, voir Frieda Lawrence, The Memoirs and Correspondance, ed. E.W. Tedlock jr., London, 1961 (Frieda Weekly, née von Richthofen, plus tard épouse de D.H. Lawrence, eut en effet une liaison avec lui pendant son époque munichoise; il figure dans ses mémoires sous le nom d’Octavio) ; Leonhard Frank, Links, wo das Herz ist [A gauche, où est le cœur], 1952, où il figure sous le nom de Dr Otto Kreuz; Robert Lucas, Frieda von Richthofen, München, 1972; Martin Green, The Von Richthofen Sisters, New York, 1974.

7. Carl Wernicke (1848-1905), professeur de psychiatrie à Berlin, Bres­lau et Halle. Il découvrit le centre de la parole dans le cerveau. Il est l’auteur d’un livre fondamental sur l’aphasie : Der aphasische Symptom- komplex ; Eine psychologische Studie auf anatomischer Basis, [Le syndrome aphasique; une étude psychologique fondée sur l’anatomie], Breslau,1874.

8. La Question sexuelle (ed. orig. München, 19o5).

9. Joseph Déjérine(18491917), neurologue suisse, alors directeur de la Salpêtrière à Paris.

14-06-1907 Freud à Jung

32 F

14. 6. 07.

IX, Berggasse 19.

Min kära kollega,

Bonne nouvelle, que Genève également s’intéresse à la cause. Claparède et Flournoy ont toujours manifesté une attitude aimable dans leur revue. Je suis très content à présent qu’ils aient l’intention d’attirer l’attention sur vos travaux par un compte rendu détaillé. J’en profiterai certainement moi aussi.

Aujourd’hui justement m’est parvenu le livre d’un homme qui semble porter son nom à juste titre (1), Zur Psychologie und Therapie neurotischer Symptôme, par A. Muthmann (2). Il porte sur le titre la mention « une étude fondée sur la théorie des névroses de Freud ». M[uthmann] a été assistant à Bâle. Cela ne peut être un hasard; un Suisse comme lui me semble en vérité posséder plus de courage qu’un sujet allemand libre. Le livre est brave, de belles histoires de cas, de bons résultats, digne et modeste; j’espère que c’est un solide collaborateur qui se manifeste là. La perspective lui fait encore défaut, il traite ce qui a été trouvé en 1898 comme du tout nouveau, il ne dit pas non plus le moindre mot du transfert.

Je vous prends donc au mot au sujet de la revue. Vous conviendrez de plus en plus de sa nécessité; on ne manquera guère de lecteurs. Ne nous donnons pas un délai d’hésitation trop long, en automne 1908 environ le premier numéro. Vous avez naturellement touché dans le mille avec votre observation sur les cas ambulatoires. Selon leur manière coutumière de vivre les expériences, la réalité est trop proche aux femmes pour qu’elles croient au fantasme. Si j’avais voulu organiser mes affirmations d’après les indications des femmes de chambre, il n’en serait sorti que des cas négatifs. Cette conduite s’accorde d’ailleurs à d’autres particularités sexuelles de cette classe; des gens informés m’assurent que ces jeunes filles se laissent plus faci­lement coïter que par exemple regarder dévêtues. La chance de la thérapeutique consiste en ce qu’on a d’abord appris tant de choses dans les autres cas qu’on peut raconter soi-même leur histoire à ces personnes, sans attendre leurs contributions. Elles confirme­ront certainement alors; on ne peut rien apprendre de leur cas.

Dommage que mon cas avec la tasse de thé ne soit pas encore terminé; il pourrait sinon jeter de la lumière sur votre patiente qui vomit quand il y a une miette de pain dans le café. D’après quelques indices, ces symptômes renvoient à l’excrémentiel (urine et fèces). Il faudrait saisir le cas en commençant par le dégoût devant le cadavre de la mère. Le dégoût devant la mère remonte sans doute à l’époque de l’initiation sexuelle. J’ai d’ailleurs oublié que le sang menstruel est aussi à compter au nombre des excréments. Ce qui rend presque impossible un court traitement ambulatoire des cas, c’est l’élément tem­porel. En des durées aussi courtes, aucun changement psychi- que ne peut s’accomplir, de même qu’on ne dit rien à un homme qu’on connaît depuis si peu de temps.

Je vous remercie beaucoup de ce que vous enrichissiez mon expérience par la communication de cas de dem. pr. Votre dernier, femme de 36 år, fixation à la mère, peut réellement être appelé idéal. La question : où donc mettre la libido qui doit être détachée de la mère? peut alors être résolue, si la chose se dessine comme dans d’autres de vos cas, par son dérou­lement [Verlauf] : vers l’auto-érotique. Il est intéressant que cet investissement de la mère qui succombe au processus de refoulement ait d’emblée une composante pathologique (com­pensatoire). Elle est excessive parce qu’il y a détournement loin du père; il faut présupposer un stade préliminaire d’incli­nation infantile commune pour le père. Peut-être important théoriquement. Vos intentions de voyage à Paris et à Londres me montrent, à ma satisfaction, que le temps où vous fournis­siez un travail excessif est passé. Je vous souhaite un complexe parisien intéressant, mais aussi je n’aimerais pas savoir le complexe viennois refoulé par l’autre. L’obstacle chez les Français est sans doute essentiellement de nature nationale; l’importation vers la France a toujours comporté des difficultés. Janet est une fine intelligence, mais il est parti sans la sexualité et ne peut à présent plus avancer; nous savons qu’en science il n’y a pas de retour en arrière. Mais vous entendrez certaine­ment beaucoup de belles choses.

Avec mes salutations cordiales, Votre dévoué

Dr Freud.


1. Mut (h) courage.

2. Arthur Muthmann (1875-19..), Zur Psychologie und Therapie neuro­tischer Symptôme; Eine Studie auf Grund der Neurosenlehre Freuds [Contribution à la psychologie et à la thérapeutique des symptômes névrotiques; une étude fondée sur la théorie freudienne des névroses]. Halle, 1907.

14-06-1907 Freud à Jung

32 F

14. 6. 07.

IX, Berggasse 19.

Min kära kollega,

Bonne nouvelle, que Genève également s’intéresse à la cause. Claparède et Flournoy ont toujours manifesté une attitude aimable dans leur revue. Je suis très content à présent qu’ils aient l’intention d’attirer l’attention sur vos travaux par un compte rendu détaillé. J’en profiterai certainement moi aussi.

Aujourd’hui justement m’est parvenu le livre d’un homme qui semble porter son nom à juste titre (1), Zur Psychologie und Therapie neurotischer Symptome, par A. Muthmann (2). Il porte sur le titre la mention « une étude fondée sur la théorie des névroses de Freud ». M[uthmann] a été assistant à Bâle. Cela ne peut être un hasard; un Suisse comme lui me semble en vérité posséder plus de courage qu’un sujet allemand libre. Le livre est brave, de belles histoires de cas, de bons résultats, digne et modeste; j’espère que c’est un solide collaborateur qui se manifeste là. La perspective lui fait encore défaut, il traite ce qui a été trouvé en 1898 comme du tout nouveau, il ne dit pas non plus le moindre mot du transfert.

Je vous prends donc au mot au sujet de la revue. Vous conviendrez de plus en plus de sa nécessité; on ne manquera guère de lecteurs. Ne nous donnons pas un délai d’hésitation trop long, en automne 1908 environ le premier numéro. Vous avez naturellement touché dans le mille avec votre observation sur les cas ambulatoires. Selon leur manière coutumière de vivre les expériences, la réalité est trop proche aux femmes pour qu’elles croient au fantasme. Si j’avais voulu organiser mes affirmations d’après les indications des femmes de chambre, il n’en serait sorti que des cas négatifs. Cette conduite s’accorde d’ailleurs à d’autres particularités sexuelles de cette classe; des gens informés m’assurent que ces jeunes filles se laissent plus faci­lement coïter que par exemple regarder dévêtues. La chance de la thérapeutique consiste en ce qu’on a d’abord appris tant de choses dans les autres cas qu’on peut raconter soi-même leur histoire à ces personnes, sans attendre leurs contributions. Elles confirme­ront certainement alors; on ne peut rien apprendre de leur cas.

Dommage que mon cas avec la tasse de thé ne soit pas encore terminé; il pourrait sinon jeter de la lumière sur votre patiente qui vomit quand il y a une miette de pain dans le café. D’après quelques indices, ces symptômes renvoient à l’excrémentiel (urine et fèces). Il faudrait saisir le cas en commençant par le dégoût devant le cadavre de la mère. Le dégoût devant la mère remonte sans doute à l’époque de l’initiation sexuelle. J’ai d’ailleurs oublié que le sang menstruel est aussi à compter au nombre des excréments. Ce qui rend presque impossible un court traitement ambulatoire des cas, c’est l’élément tem­porel. En des durées aussi courtes, aucun changement psychi- que ne peut s’accomplir, de même qu’on ne dit rien à un homme qu’on connaît depuis si peu de temps.

Je vous remercie beaucoup de ce que vous enrichissiez mon expérience par la communication de cas de dem. pr. Votre dernier, femme de 36 år, fixation à la mère, peut réellement être appelé idéal. La question : où donc mettre la libido qui doit être détachée de la mère? peut alors être résolue, si la chose se dessine comme dans d’autres de vos cas, par son dérou­lement [Verlauf] : vers l’auto-érotique. Il est intéressant que cet investissement de la mère qui succombe au processus de refoulement ait d’emblée une composante pathologique (com­pensatoire). Elle est excessive parce qu’il y a détournement loin du père; il faut présupposer un stade préliminaire d’incli­nation infantile commune pour le père. Peut-être important théoriquement. Vos intentions de voyage à Paris et à Londres me montrent, à ma satisfaction, que le temps où vous fournis­siez un travail excessif est passé. Je vous souhaite un complexe parisien intéressant, mais aussi je n’aimerais pas savoir le complexe viennois refoulé par l’autre. L’obstacle chez les Français est sans doute essentiellement de nature nationale; l’importation vers la France a toujours comporté des difficultés. Janet est une fine intelligence, mais il est parti sans la sexualité et ne peut à présent plus avancer; nous savons qu’en science il n’y a pas de retour en arrière. Mais vous entendrez certaine­ment beaucoup de belles choses.

Avec mes salutations cordiales, Votre dévoué

Dr Freud.


1. Mut (h) courage.

2. Arthur Muthmann (1875-19..), Zur Psychologie und Therapie neuro­tischer Symptôme; Eine Studie auf Grund der Neurosenlehre Freuds [Contribution à la psychologie et à la thérapeutique des symptômes névrotiques; une étude fondée sur la théorie freudienne des névroses]. Halle, 1907.

12-06-1907 Jung à Freud

31 J

Burgholzli Zurich, 12. VI. 07.

Ärade professor!

Dans la pause depuis ma dernière lettre j’ai été très pris, de sorte que je suis maintenant assez diminué. A la fin de la semaine dernière, Claparède 1, le directeur du laboratoire de psychologie expérimentale de Genève, est venu chez moi pour se faire intro­duire à la technique de l’expérience d’association. Vos ensei­gnements ont déjà solidement pris pied chez les psychologues de Genève, quand bien même tout n’est pas encore digéré. Le résultat suivant de la visite de Claparède me revient, il est vrai, principalement à moi : C[laparède] veut publier maintenant

dans les Archives de psychologie un grand exposé d’ensem­ble [2] de la totalité de mes travaux. Ce serait une nouvelle fois un symptôme que la cause est en marche. Flournoy [3] s’intéresse aussi extraordinairement à la chose. La semaine prochaine je dois aller pour dix jours à Paris et à Londres. Je rendrai à cette occasion visite à Janet et je l’interviewerai à votre sujet.

Vous me faites naturellement grand plaisir en annotant mes cas, car il n’y a qu’ainsi que je peux voir comment vous abor­dez un cas, ce que vous regardez comme important et comment vous abstrayez des règles plus générales. Je suis tout à fait de votre avis quand vous dites que les cas ne sont pas suffi­samment pénétrés. Indubitablement ils ne le sont pas. Mais dans la dem. praec. on apprend à se contenter de peu.

Il ne faut compléter le premier cas, celui avec la transposition sur le frère. Le matin du mariage de son frère elle a eu subite­ment l’idée de sauter par-dessus un large fossé de canalisation, profond de quatre mètres et s’est fait une distorsio pedis.

Aujourd’hui je vous rapporte le cas suivant :

Femme de trente-six ans. Son père était un sombre caractère, opprimait la famille. Aussi la patiente a-t-elle pris le parti de la mère, qui lui confiait tout son chagrin. Elle devinrent ainsi amies. La patiente n’avait qu’une amie en dehors de sa mère : une femme qui était également malheureuse dans le mariage. Elle n’avait aucun penchant pour les hommes. ETT 28 år, pour des raisons pratiques, elle a épousé un homme plus jeune qu’elle, qui lui était aussi considérablement inférieur intellec­tuellement. Sexuellement elle était absolument sans désirs et totalement frigide. Peu à peu la mère idolâtrée de sa fille est devenue vieille et faible. La patiente a alors déclaré qu’elle ne pouvait ni ne voulait abandonner sa mère. Une dépression peu à peu croissante est alors apparue, négligence de sa famille, pensées de suicide, etc.. Internement. Montre maintenant les symptômes de l’abaissement du niveau mental [4]. Dépression catatonique typique.

Votre proposition concernant la fondation d’un journal distinct correspond à des projets que je formule aussi. J’aimerais proposer le nom d’Archiv für Psychopathologie, car j’aimerais bien avoir un endroit où je pourrais déposer, rassemblés, les travaux faits dans notre laboratoire. J’aimerais cependant y réfléchir encore mûrement pendant un certain temps, car pour l’instant les perspectives de succès auprès du public, qui n’est généralement préparé que négativement, me semblent encore bien problématiques. Il faut de plus que j’aie engrangé aupa­ravant le deuxième volume de mes Etudes diagnostiques d’asso­ciation [Diagnostische Assoziationstudien], avant de pouvoir assumer de nouvelles obligations. Entre-temps il faut laisser agir le levain.

Ma policlinique est bien épineuse. L’analyse chez les gens incultes est une dure affaire. J’ai maintenant une personne qui ne peut pour rien au monde boire le reste de sa tasse de café s’il y a encore un peu de miettes de pain au fond, sinon elle doit vomir. « Cela la chatouille dans le cou. » Quand elle voit un cadavre, elle doit ensuite cracher continuellement pendant plusieurs jours. Ce dernier symptôme semble être apparu au moment de la mort de sa mère. Pouvez-vous me conseiller?

Il est divertissant de voir comme les femmes dans la policli­nique se diagnostiquent l’une l’autre leurs complexes érotiques, alors qu’elles ne les reconnaissent pas elles-mêmes. Chez les gens incultes, l’obstacle principal semble être le transfert terri­blement grossier.

Recevez mes salutations les plus cordiales et tous mes remer­ciements.

Votre entièrement dévoué

Young.


1. Edouard Claparède (1873-1940), psychologue médical et pédagogue suisse, fondateur de l’institut Rousseau à Genève en 1912. Co-éditeur, avec Th. Flournoy, des Archives de psychologie.

[2] N’a jamais vu le jour. Cf. 5g J, § 3.

[3] Théodore Flournoy (1854-1920), Schweiziska psykiatern. Influencé, tout comme Claparède, par la pensée de William James. Jung utilisa les travaux de Flournoy, en particulier le cas Frank Miller pour les Méta­morphoses et symboles de la libido, de même que ses recherches sur un médium, Des Indes à la Planète Mars, Paris, 1900.

[4] I franska i texten. Ou « baisse de la tension ». L’expression remonte à Janet, Les Obsessions et la psychasthénie, Paris 1903, et se trouve fréquemment sous la plume de Jung dans ses derniers écrits.